Gilets jaunes

Bordeaux: «On préfère danser notre mécontentement que de le cracher à la gueule des CRS»

La mobilisation ce samedi a été plus calme dans une ville marquée par les violences de la semaine dernière.
par Anaïs Moran, envoyée spéciale à Bordeaux, photos Thibaud Moritz
publié le 15 décembre 2018 à 20h01
(mis à jour le 15 décembre 2018 à 22h07)

Il est 17h40 et la place Pey-Berland est désertée. Le ciel n'est envahi par aucun nuage de fumée. Les bruits de détonation ne se font plus entendre. Au loin, on voit même un homme rouler sur les pavés à bicyclette. Un couple enlacé et muni de ses courses de Noël traverse les lieux avec assurance. Il est 17h40 et les gilets jaunes ne sont déjà plus sur la place Pey-Berland. Ils sont situés quelques mètres plus loin, à l'angle du cours Pasteur, regroupés en un bloc de quelques centaines de manifestants. Ils chantent face à la trentaine de CRS qui leur font face «la police avec nous!» ou encore «posez vos casques, c'est l'heure de l'apéro!» C'est amical, c'est surréaliste : une semaine plus tôt, à la même heure et au même endroit, la ville de Bordeaux était paralysée par un déchaînement de violence inédit et discontinu durant plus de cinq heures. Selon la préfecture de Gironde, vingt-sept personnes étaient en garde à vue en début de soirée, soit deux fois moins que samedi dernier (cinquante-quatre gardes à vue au total).

Ce jour, la mobilisation semblait pourtant se diriger vers le même scénario que durant l'acte IV. Après une première partie de manifestation dans un cortège «pacifiste», les quelque 4500 gilets jaunes (selon la préfecture de Gironde) se sont amassés vers 16 heures sur la place de l'Hôtel de ville pour faire face aux CRS et aux véhicules blindés de la gendarmerie. Tout le monde était là : les retraités, les lycéens, les salariés, les syndicats, les casseurs aussi, malgré la détermination d'une centaine de manifestants «d'éviter à tout prix les heurts et donc le regroupement sur cette place hautement symbolique.»

«Il n’y a qu’en emmerdant le monde qu’on obtient des choses»

Bouchra, employée de Carrefour de 36 ans, présente dans la foule : «Bien sûr, je suis consciente que ça peut dégénérer sur cette place et je suis 100% anti-violence. Mais je sais aussi que Macron a réagi seulement après les épisodes de casses à Paris. Il n'y a qu'en emmerdant le monde qu'on obtient des choses.» Son mari Bertrand, qui «survit avec seulement» 1100 euros mensuels de pension d'invalidité, a acquiescé : «La place de l'Hôtel de ville représente l'Etat et son mépris pour les petites gens, c'est l'endroit idéal pour mener la rébellion.»

Photo Thibaud Moritz pour

Libération

Bouteilles, pavés, œufs, feux d’artifice, ont été lancés vers les CRS et gendarmes qui ont répliqué par des tirs de grenades lacrymogènes, des canons à eau et des tirs de balles en caoutchouc, type flash-ball. Un début d'altercations identique à celui du 8 décembre qui n’a cependant jamais franchi le même degré de violences. Car moins d’une heure après leur arrivée sur la place Pey-Berland, l’intégralité des manifestants a été repoussée - sans trop de difficultés et de dégâts - à l’extérieur du périmètre par les forces de l’ordre. Dispersés, beaucoup d’entre eux ont choisi ce moment pour rentrer chez eux.

A 20 heures, la préfecture comptabilise vingt-deux personnes blessées. Une minorité de gilets jaunes est encore dans les rues du centre-ville, suivis de près par quelques gendarmes. Plusieurs poubelles ont été cramées. Au moins deux voitures ont été brûlées. «Mais rien de dramatique, rien de comparable avec la semaine dernière» assure Adèle, étudiante de 22 ans qui s'est redirigée rapidement vers le Grand Théâtre en fête et rythmée par l'ambiance des tam-tam. «On préfère danser notre mécontentement que de le cracher à la gueule des CRS. La semaine dernière, notre colère électrique était devenue dangereuse pour tout le monde.»

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