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Justice

Prêts toxiques de BNP PPF : 2 000 plaignants en attente de justice

Le procès en correctionnelle pour «pratique commerciale trompeuse» de la filiale du groupe bancaire, prévu début 2019, est reporté sine die. Cet ajournement déçoit les clients ayant souscrit en 2008 et 2009 un prêt en francs suisses remboursable en euros, dont le montant a explosé avec l’évolution du taux de change.
par Tonino Serafini, Photo Patrick Gherdoussi
publié le 16 décembre 2018 à 19h46

Les époux D. ont emprunté 139 000 euros en 2008 pour faire un investissement immobilier en vue de leur retraite. En dix ans, ils ont remboursé 94 600 euros. Pourtant, aujourd'hui, ils doivent… 167 000 euros à la banque. Un cauchemar financier qui concerne pas moins de 4 655 ménages ayant contracté en 2008-2009 un emprunt Helvet Immo qui s'est révélé toxique. Depuis, certains souscripteurs sont morts et le conjoint survivant a encore plus de difficultés à faire face aux remboursements mensuels. D'autres ont été frappés par des maladies dont ils peinent à se remettre. D'autres encore ont perdu leur emploi et leur situation. Des couples ont explosé. Le temps fait son œuvre, la vie des emprunteurs passe, mais leurs plaintes au pénal pour «pratique commerciale trompeuse» contre BNP Paribas Personal Finance (BNP PPF), qui a commercialisé ces prêts, n'ont toujours pas donné lieu à un procès devant le tribunal correctionnel. Il est pourtant très attendu par les parties civiles. «Le procès qui était prévu pour le premier trimestre 2019 a été reporté sine die. Il pourrait avoir lieu au plutôt en 2020. Mais rien de sûr», proteste l'avocat Charles Constantin-Vallet, qui défend plus de 1 500 victimes de ces prêts.

Spirale angoissante

Il vient d'adresser une lettre au procureur de la République de Paris, Rémy Heitz, et au président du tribunal de grande instance de Paris, Jean-Michel Hayat, pour s'étonner de la situation. «Ce report est injustifiable tant au regard des droits fondamentaux des justiciables que de leurs difficultés économiques dues à Helvet Immo ou encore de la bonne administration judiciaire de l'affaire», indique l'avocat à Libération. Les plaignants décrivent une vie empoisonnée par leurs prêts toxiques.

«Tous les trimestres, la banque nous envoie un point de notre situation. On rembourse, on rembourse, mais le montant restant dû est toujours le même. Pire, parfois il augmente», raconte Benjamin Gomis, infirmier libéral à Aubagne (Bouches-du-Rhône). Avec sa femme Aurélie, ils ont emprunté 141 400 euros en mars 2009. Aujourd'hui, ils doivent 180 200 euros alors qu'ils remboursent 1 045 euros par mois depuis 2011, date de la livraison de leur appartement. Une spirale angoissante. «On a l'impression qu'on va se traîner ça toute notre vie. Que ça ne finira jamais. Qu'on est assis sur une bombe.»

Jean-Bernard Frutoso, à Martigues, dimanche.

Ce paradoxe du capital restant dû qui augmente alors qu’on paye rubis sur l’ongle ses mensualités depuis des années illustre la toxicité d’Helvet Immo. Sa spécificité : il s’agit d’un emprunt souscrit en francs suisses, mais remboursable en euros. Problème : sur le marché des changes, la monnaie suisse s’est envolée face à la devise européenne. Résultat : plus le franc suisse grimpe et plus le capital à rembourser en euro augmente. Voilà comment plus de 4 600 ménages se sont retrouvés pris au piège, avant que BNP PPF ne décide d’elle-même de stopper sa commercialisation au vu des effets catastrophiques, fin 2009.

«La variation des taux de change est inhérente au marché des monnaies. Et avec des prêts de quinze ou vingt ans, la banque savait qu'elle exposait ses clients à des risques inconsidérés. On a déjà vu des devises s'effondrer en quelques mois, estime Me Constantin-Vallet. Nous avons versé dans le dossier pénal des éléments démontrant que BNP Personal Finance avait anticipé une hausse du franc suisse au moment même de la commercialisation d'Helvet Immo en raison de la crise des subprimes qui frappait à l'époque.»

Contactée par Libération, BNP PPF attribue l'envolée de la devise helvétique au «décrochage de l'euro face au franc suisse consécutivement à la crise de la dette grecque en mai 2010». Ces prêts Helvet Immo, précise la banque, ont été commercialisés par «l'intermédiaire de conseillers en gestion de patrimoine» dans le cadre d'investissements immobiliers loi Robien ou loi Scellier. Ces dispositifs permettent aux particuliers qui achètent des logements en vue de les louer d'obtenir des dégrèvements d'impôts. «Moi, je suis infirmier libéral, j'avais quelques économies. J'ai voulu faire un investissement dans l'immobilier locatif, raconte Benjamin Gomis. Je me suis tourné vers Hermès Patrimoine. Là, un commercial m'a expliqué qu'ils s'occupaient de tout. C'était un pack appart-prêt. Il m'a dit que ce prêt était en francs suisses, car les taux étaient plus avantageux.» Bien sûr, Benjamin Gomis a posé des questions. «Le commercial m'a rassuré : "Vous n'avez pas de crainte à avoir car le franc suisse est une monnaie stable." Evidemment, j'étais loin d'imaginer qu'il y avait ce piège du taux de change. Moi, je suis infirmier, je ne suis pas banquier. Cette affaire nous a fait renoncer à de nombreux projets. On vit tous les jours avec ça dans la tête. On a l'impression de s'être fait avoir.»

Situation dramatique

Même sentiment exprimé par Jean-Marc Bidault, retraité, et Joséphine Caruso, qui a une micro-entreprise de nettoyage. «Quand on a signé pour faire un investissement immobilier à Pau, on ne nous a absolument pas expliqué qu'on s'engageait dans un prêt pareil», disent-ils, effondrés. Pour faire face financièrement, Jean-Marc Bidault, 64 ans, a repris un emploi.

Dans un mail reçu par Libération, BNP PPF précise qu'il «comprend l'inquiétude de certains de ses clients et continue de les accompagner avec sa cellule dédiée et d'étudier les dossiers de façon individuelle pour proposer des mesures adaptées». Un accompagnement adapté et bienveillant que nient les clients, qui sont plus de 40 % à avoir porté plainte. Benjamin Gomis et sa femme font partie des 2 000 emprunteurs qui se sont constitués partie civile, ainsi que les associations UFC-Que choisir, Consommation, logement, cadre de vie et l'Association Force ouvrière consommateurs. Leur plainte au pénal a abouti à une double mise en examen de BNP PPF et à son renvoi en correctionnelle fin août 2017 pour «pratique commerciale trompeuse», après une instruction judiciaire minutieuse qui a duré plus de trois ans. Depuis, la date du procès n'est toujours pas fixée en dépit de la situation dramatique dans laquelle se trouvent des familles.

Pire : en parallèle de la procédure au pénal, des actions sont engagées devant les juridictions civiles fondées sur le caractère abusif de certaines clauses du contrat Helvet Immo ainsi que le défaut d'information communiquée aux clients lors de l'emprunt. Alors que le procès pénal va de report en report, au civil les choses vont beaucoup plus vite. «Des décisions favorables à la banque sont rendues par des magistrats au civil en l'absence des éléments importants qui ont été révélés par l'enquête pénale, souligne Charles Constantin-Vallet. Les deux juges d'instruction ont ainsi considéré "qu'il résulte des charges suffisantes" à l'encontre de BNP Personal Finance pour son renvoi en correctionnelle.»

La banque indique pour sa part qu'elle «conteste toute pratique commerciale trompeuse» et qu'elle le «fera valoir le moment venu». Les emprunteurs dont la vie est plombée par ces prêts attendent, eux, qu'une date de procès soit enfin fixée.

Jacky Guillot, 63 ans «Au départ, On se dit qu'on a été bête…»

C'est le côté «clés en main» qui a séduit Jacky Guillot. Quand il est démarché, en septembre 2008, ce cadre de la SNCF de 63 ans n'est pas encore à la retraite et court entre Paris et Maretz (Nord), où il réside avec sa femme, Véronique. Réduire ses impôts en investissant dans une résidence de tourisme avec un prêt d'une filiale de la BNP ? «Une bonne affaire, a pensé Jacky. On a plongé d'autant plus facilement que quelques années auparavant, on avait déjà fait un placement via la loi Robien qui s'est avéré très positif.» Deux rendez-vous plus tard, l'affaire est signée. Le package comprend l'acquisition d'un appartement dans une résidence de tourisme à Lourdes et le prêt bancaire qui va avec, d'un montant de 164 000 euros. Ce n'est que fin 2010, en découvrant son premier récapitulatif de remboursement, que Jacky Guillot remarque une incohérence : le capital restant dû, indiqué en euros, est supérieur au capital emprunté au départ, alors que les remboursements ont commencé trois ans auparavant. Un premier courrier à BNP Personal Finance reste sans réponse. «J'ai décidé de creuser sur Internet, raconte Jacky. C'est là que j'ai découvert ces prêts toxiques, qui concernaient notamment les collectivités locales. J'ai compris que c'était dans ça que j'étais tombé.» La suite confirme ses craintes. Dix ans après, les Guillot doivent 246 000 euros et remboursent des mensualités de 1 226 euros. «Au départ, on culpabilise. On se dit qu'on a été bête. Mais dans l'association [de défense des emprunteurs], on rencontre des gens qui ne sont pas des idiots. Le montage est tellement bien ficelé…» Outre l'action en justice collective, l'association permet aussi de garder le moral. «Sinon, on n'en parle pas, soupire Véronique. Il y a une forme de honte… On a passé des nuits à ne pas dormir. Aujourd'hui encore, quand je passe devant une BNP, mes cheveux se dressent !» Les époux Guillot espèrent que la procédure leur permettra au moins de revenir à leur mise de départ. «C'est une question de justice. Pour les collectivités territoriales qui ont contracté des prêts toxiques, des arrangements ont été trouvés, mais pour nous, c'est «débrouille-toi»», peste Jacky. Stéphanie Harounyan (à Marseille)

Jean-Bernard Frutoso, 61 ans «J'ai tenté de joindre la banque, sans succès.»

Jean-Bernard Frutoso avait plutôt l'habitude des placements financiers. «J'en avais déjà fait des tonnes avant ça, raconte ce pompier de 61 ans. Là, c'était tellement bien mené que je n'ai rien vu…» C'est par téléphone que ce pompier à Martigues (Bouches-du-Rhône) est démarché pour placer 100 000 euros dans des SCPI (sociétés civiles de placement immobilier). «Je n'avais pas cette somme, mais pour eux, ce n'était pas un problème puisqu'ils proposaient avec un crédit via une filiale de la BNP.» Lorsqu'il prend rendez-vous avec ses démarcheurs, il s'intéresse surtout à la fiabilité des placements. «L'intérêt, c'est qu'entre la rentabilité du placement et le crédit, j'arrivais à zéro euro déboursé. J'aurais pu revendre le tout avant la retraite, huit ans plus tard. Le crédit, lui, était à taux fixe, c'est tout ce que j'ai vérifié. Au détour d'une phrase, ils m'ont dit qu'il était indexé sur le franc suisse, mais je n'ai pas percuté.» Et rien ne s'est passé comme prévu. «Les trois premières années, le capital restant dû baissait normalement, raconte Jean-Bernard. Peu de temps après, le franc suisse a flambé : sur le relevé, je me suis retrouvé à 130 000 euros à rembourser au lieu d'environ 95 000. J'ai tenté de joindre la banque, sans succès.» C'est en surfant sur Internet que le pompier s'aperçoit qu'il s'est «fait avoir». Depuis, la situation s'est amplifiée. Alors qu'il a déjà payé plus de 70 000 euros, son capital dû s'élève à environ 112 250 euros. «La chance que j'ai, c'est de ne pas être au chômage, relève-t-il. Et les SCPI sont restées stables. Mais je perds 300 euros par mois, et bientôt, à la retraite, je vais perdre environ 1 700 euros de salaire, car en tant que pompier je touche beaucoup via des primes.» Avec l'action en justice, Jean-Bernard Frutoso veut juste revenir à la situation initiale et payer ce qu'il aurait dû payer, en euros. «Ces banques gagnent des millions d'euros, s'énerve-t-il. On n'est pas 50 millions de particuliers concernés, ils pourraient faire un effort ! Ça fait dix ans maintenant que ça traîne, c'est très frustrant.» L'histoire l'a vacciné, le pompier n'a plus fait de placement bancaire depuis : «Y a plus la confiance…» S.Ha. (à Marseille)

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