Depuis que son mari est tombé malade et a été déclaré inapte à travailler, Daphné 48 ans, mère de six enfants, doit cumuler deux CDI en tant que femme de ménage pour faire vivre sa famille. Elle travaille de 7 h 30 à 14 h 30 chez son premier employeur et de 16 h 30 à 19 heures chez le second, pour un salaire de 1 549 € net par mois.

Crise du modèle social français

« La France compte plus de deux millions de travailleurs pauvres et traverse une crise sans précédent de son modèle social. La situation est préoccupante pour les femmes », souligne Pauline Leclère, responsable de campagne « justice fiscale et inégalités » chez Oxfam France, à l’initiative du rapport Travailler et être pauvre : les femmes en première ligne, publié lundi 17 décembre, et qui présente notamment le cas de Daphné.

La limite de l’exercice est que le rapport s’appuie sur des données issues de sources multiples, voire contradictoires… « Sur un sujet aussi important, il faudrait pouvoir disposer d’indicateurs statistiques permettant d’évaluer avec précision l’ampleur des inégalités », reconnaît Pauline Leclère.

78 % des emplois à temps partiel occupés par des femmes

Selon Eurostat, l’office statistique de l’Union européenne, la part de femmes en activité professionnelle et pauvres dans l’hexagone est passée de 5,6 % à 7,3 % entre 2006 et 2017 (1). Les femmes se retrouvent principalement dans des secteurs qui proposent de nombreux emplois à temps partiel, correspondant aux métiers les moins valorisés et rémunérés. Par exemple les métiers du nettoyage, du commerce et du service à la personne. Parmi les employés non qualifiés, 49 % des femmes sont à temps partiel, contre 21 % des hommes.

En 2017, les femmes occupaient 70 % des CDD et des emplois intérimaires et 78 % des emplois à temps partiel. Ce type d’emplois « provoque une insertion discontinue sur le marché du travail et une dégradation des conditions de vie des femmes (horaires atypiques, emplois pénibles…). Cela entrave la consolidation de l’expérience professionnelle ou conduit même à une dépréciation des compétences », souligne le rapport.

Difficulté à combiner vie professionnelle et vie de famille

Les emplois précaires affectent l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale. Dans les métiers peu qualifiés comme l’aide à la personne ou la garde d’enfants, les travailleuses ont souvent des horaires courts et combinent plusieurs employeurs. Ainsi, 85 % des salariés ayant plus d’un employeur sont des femmes.

« Pourtant, parmi les actifs souhaitant travailler plus, 75 % sont des travailleuses, souligne Claire Hédon, présidente d'ATD Quart Monde France. Il y a beaucoup d’idées reçues sur ces mères de famille vivant des aides sociales. La réalité est toute autre, puisqu’elles préfèrent exercer un emploi même s’il ne leur permet pas de subvenir à leurs besoins. »

Un million de travailleuses à la tête d’une famille monoparentale vit sous le seuil de pauvreté

« À la faiblesse du revenu du travail peut s’ajouter un facteur démographique, car pour mesurer les niveaux de vie, on tient compte des revenus de l’ensemble du ménage. Ainsi, une femme qui doit faire vivre une famille avec un seul smic se situe largement en dessous du seuil de pauvreté », constate l’Observatoire des inégalités.

En France, les femmes à la tête d’une famille monoparentale sont particulièrement touchées par ce phénomène : parmi celles qui travaillent, près d’un quart vit sous le seuil de pauvreté, soit un million de femmes.

(1) Eurostat fixe le seuil de pauvreté à 60 % du niveau de vie médian, soit 1 026 € en 2016. En France, le seuil de pauvreté est fixé par l’Insee à la moitié du revenu médian, soit 855 € par mois pour une personne seule.