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Le faible niveau du Rhin contraint les stations-service à s’alimenter en carburant de plus loin

Depuis la mi-octobre, la faiblesse du niveau du Rhin complique l’acheminement du carburant par péniche au port aux pétroles. Pour livrer l’essence aux stations-services alsaciennes, les transporteurs routiers doublent, voire quadruplent, les distances parcourues. Exemple avec l’entreprise Klinzing.

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Le faible niveau du Rhin contraint les stations-service à s’alimenter en carburant de plus loin

« En ce moment, je pars le matin et je ne sais pas quand je rentre. » Éric Krebs, chauffeur routier de Strasbourg, ne compte plus ses heures depuis la mi-octobre. Pour ravitailler des stations-service alsaciennes, le quinquagénaire doit maintenant se rendre à Dijon ou à Saint-Baussant en Meurthe-et-Moselle. En cause : la baisse drastique des livraisons de pétrole vers le port de Strasbourg. Le débit du Rhin est de 450 mètres-cubes par seconde, contre 1 000 en temps normal. La faute à des températures élevées cet été et à un manque de précipitations.

Des péniches moins chargées

Ingénieur technico-commercial, Sylvain Diter doit assurer l’approvisionnement des stations-services Avia dans l’Est de la France. Il explique la baisse du trafic de pétrole sur le Rhin :

« Plus le débit baisse, moins les péniches peuvent être chargées (pour éviter qu’elles ne touchent le fond, ndlr) Il y a eu une période de quatre semaines où il n’y avait plus une seule barge pleine qui a pu circuler. Et quand elles pouvaient circuler, elles étaient chargées de 500 mètres-cubes de produit, contre 2 500 en temps normal. »

Avec des péniches moins chargées, les coûts de transport ont augmenté. À la mi-novembre, le transport d’un mètre-cube de carburant par le Rhin a pu atteindre 105 euros, contre 15 euros le reste de l’année. En Alsace, les grandes enseignes ont donc préféré acheter leur essence dans des dépôts moins chers, mais situés à plusieurs centaines de kilomètres… « Les stations de Strasbourg sont approvisionnées par des dépôts pétroliers à 200 ou 300 km. On marche un peu sur la tête, » concède Sylvain Diter.

L’essence de Saint-Baussant pour Sélestat

Cette situation a chamboulé le quotidien du chauffeur routier de l’entreprise Klinzing. Devant les énormes cuves rouillées du Port du Rhin, Éric Krebs décrit ses dernières semaines de travail :

« C’est un peu comme métro-boulot-dodo. Sauf qu’il m’arrive maintenant de dormir dans mon camion pour respecter les 9 heures de repos obligatoires. J’ai chargé à Saint-Baussant hier soir pour livrer à Sélestat (environ 175 kilomètres de distance, ndlr). Au terminal lorrain, on doit attendre trois à quatre heures parce que tous les hypermarchés de la région commandent là-bas. »

Eric Krebs, 51 ans, chauffeur routier depuis 1986 : « On a jamais vu le Rhin si bas, si longtemps… » (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

Pour ne rien arranger, Intermarché, Carrefour ou encore Leclerc ont lancé début novembre une opération de séduction des automobilistes : « Chaque week-end, jusqu’au 31 décembre 2018, le carburant est à prix coûtant (vendu au même prix que l’achat, ndlr) ». Pour se démarquer entre eux, il fallait donc proposer des offres aux prix les plus bas, en phase avec ceux que l’on trouve en Meurthe-et-Moselle ou en Côte-d’Or. Les tarifs du port strasbourgeois auraient trop élevés et l’opération vite décriée. En Suisse, le faible niveau du Rhin a déjà provoqué une augmentation des prix du carburant dès août…

Les distances doublent, quadruplent…

Pour l’entreprise Klinzing, toute l’organisation du transport de carburant est perturbée. Un conducteur de Colmar faisait 200 kilomètres pour livrer sa région. Il parcourt aujourd’hui 400 kilomètres pour la même livraison. Pire encore, pour le secteur de Brumath, le chauffeur faisait 50 kilomètres en s’approvisionnant au dépôt de Strasbourg. Il doit maintenant parcourir 200 kilomètres pour remplir les stations-services de sa zone. Au mois de novembre 2018, les chauffeurs de la firme alsacienne ont ainsi sillonné des dizaines de milliers de kilomètres de plus qu’en novembre 2017.

Peggy Kohler supervise l’approvisionnement en carburant chez Klinzing. Elle résume l’absurdité de la situation sur le plan environnemental :

« En terme d’écologie, on est très très mauvais. On entend nos chefs d’États prôner la préservation de l’environnement mais aujourd’hui, les supermarchés nous envoient chercher l’essence à 250 kilomètres contre 30 d’habitude… »

Plus d’essence pour livrer du carburant

Au sein de l’entreprise Klinzing, on s’inquiète de risques de pénurie si les Gilets jaunes bloquent à nouveau le dépôt pétrolier de Saint-Baussant. Du côté du port de Strasbourg, le niveau du Rhin pourrait retrouver son niveau normal en mars ou avril « si l’hiver est très pluvieux ou s’il tombe beaucoup de neige sur les Alpes », espère Sylvain Diter.

En attendant, la livraison de carburants en Alsace continue de contribuer à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Selon le dernier rapport du Global Carbon Project, la production mondiale de dioxyde de carbone (CO2) a atteint un nouveau record en 2018 (+2,7%). Dans l’Union européenne, une baisse générale de 0,7% est attendue. Mais la France semble sur une trajectoire inverse. Entre 2016 et 2017, ses émissions étaient reparties à la hausse de 2%.


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