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Fleur Pellerin, une ex-ministre soupçonnée de prise illégale d’intérêts

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s’intéresse à ses liens avec un groupe sud-coréen avec qui elle a traité au gouvernement.

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Publié le 19 décembre 2018 à 05h38, modifié le 19 décembre 2018 à 16h46

Temps de Lecture 5 min.

Fleur Pellerin, le 2 décembre 2015.

Fleur Pellerin, ancienne ministre des gouvernements Ayrault et Valls, pouvait jusqu’ici se prévaloir d’une reconversion sans accroc dans le privé, à la tête d’un fonds d’investissement prospère, Korelya. Mais celle qui occupa successivement trois maroquins – le numérique, le commerce extérieur, puis la culture – est dans le viseur de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour des soupçons de prise illégale d’intérêts. Ceux-ci concernent ses liens avec l’entreprise sud-coréenne Naver Corporation, avec qui elle fut amenée à traiter en tant que ministre, et qui est ensuite devenue son principal partenaire en affaires, lors de son passage au privé.

La HATVP a saisi récemment le Parquet national financier (PNF) du cas de Fleur Pellerin, afin que la justice enquête sur le sujet, comme l’a confirmé au Monde la HATVP, après la publication d’un « rapport spécial » visant l’ex-ministre au Journal officiel du mercredi 19 décembre. C’est la première fois que cette autorité administrative indépendante, chargée du renforcement de la probité publique depuis 2014, signale à la justice un possible délit de prise illégale d’intérêts, dans le cadre de sa mission de contrôle du « pantouflage » d’anciens responsables publics optant pour le privé (ex-ministres, ex-présidents d’exécutifs locaux…).

Joint par Le Monde, le PNF confirme cette saisine, sans autre commentaire. Selon nos sources, le dossier vient tout juste de lui parvenir. La prise illégale d’intérêts – qui désigne le fait, pour un responsable public, de prendre un intérêt direct ou indirect dans une entreprise ou une opération qu’il a surveillée ou gérée – est un délit pénal passible de cinq ans de prison et d’une amende de 500 000 euros.

Un axe d’affaires France-Corée du Sud

Concrètement, la HATVP reproche deux choses à Fleur Pellerin : tout d’abord, de n’avoir pas tenu compte de l’avis de compatibilité assorti de réserves, que l’autorité avait émises dès le 21 juillet 2016, au sujet de cette reconversion professionnelle, « en prenant pour client une entreprise privée avec laquelle elle avait conclu un contrat ou formulé un avis sur un contrat ». Autrement dit, un « oui, mais ». Une méconnaissance qui constitue une première infraction au regard de la loi.

Ensuite, elle reproche à MmePellerin d’avoir conclu une relation d’affaires avec le groupe sud-coréen Naver, avec qui elle avait déjà « tissé des liens » lorsqu’elle était au gouvernement. Ce qui pourrait relever d’une possible prise illégale d’intérêts, le cœur du sujet et le délit principal.

De fait, comme l’a écrit la presse économique, la société Korelya Consulting, qui gère un fonds d’investissement dans des entreprises innovantes (K-Fund I), a collecté 200 millions d’euros au total auprès de Naver, afin de faire fonctionner ce fonds et lui permettre d’investir. Alors que Naver est un fleuron de l’économie sud-coréenne et gère le premier moteur de recherche de ce pays, l’idée de Fleur Pellerin, ex-magistrate à la Cour des comptes, est de favoriser l’émergence d’un modèle alternatif aux géants du Web, les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), hégémoniques en Europe. Et ce, en développant un axe d’affaires France-Corée du Sud, un pays qu’elle affectionne pour y être née.

Les griefs de la HATVP envers l’ancienne ministre sont détaillés dans le « rapport spécial » paru mercredi, une démarche dont la forme est inédite, tout comme l’est la procédure. Il n’est, de fait, jamais arrivé qu’un ministre décidant de se reconvertir dans le privé et saisissant à ce titre, pour avis, la HATVP, ainsi que l’exige la loi, passe outre les réserves formulées. Nombreux sont les anciens membres de gouvernement à l’avoir consultée, tels Bernard Cazeneuve, devenu avocat, Axelle Lemaire, qui a versé dans le conseil, ou Jean-Marie Le Guen, reconverti dans l’assurance.

Selon le rapport de la HATVP, Fleur Pellerin, à la tête de Korelya Consulting, gère donc un fonds « intégralement doté par la société Naver Corp ». Or, la Haute Autorité s’est aperçue que Mme Pellerin avait déjà noué des relations avec ce groupe, lorsqu’elle était au gouvernement. Lors d’une visite en Corée du Sud en octobre 2015, alors ministre de la culture, elle avait « évoqué » avec Naver « un projet de partenariat en vue de la diffusion (…) des événements de l’année France-Corée [2015-2016] ».

Un mois plus tard, la ministre signait « pour le gouvernement français » une « lettre d’intention »avec Naver Corp en vue de l’hébergement de contenus vidéos adhoc. Et « sur la base de cette lettre », souligne le rapport, « une convention de partenariat sur le service vidéo » était établie le 17 mars 2016, entre l’Institut français de Corée du Sud et Naver. A cette date, Fleur Pellerin avait quitté le gouvernement de François Hollande depuis un mois.

« Aucun caractère contraignant »

Comme l’impose la loi pour tout « pantouflage », l’ex-ministre a saisi la HATVP le 9 juin 2016, afin qu’elle se prononce sur d’éventuels obstacles à la création de Korelya Consulting. Et le 21 juillet 2016, la HATVP a certes émis un « avis de compatibilité » mais « sous réserve d’un certain nombre de précautions visant à prévenir l’infraction de prise illégale d’intérêts ». Dès lors, explique l’autorité, la société de Mme Pellerin ne pouvait pas, dans le délai de trois ans prévu par la loi, soit « jusqu’au 11 février 2019 », fournir des prestations à des entreprises bénéficiaires d’aides financières ou de décisions du ministère de la culture, ou ayant « conclu des contrats » avec ses services entre 2014 et 2016.

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Invitée à s’expliquer, l’ex-ministre a contesté cette analyse, arguant que la lettre d’intention citée « ne [présentait] en aucune façon le caractère d’un contrat ». « Ce document ne présentait aucun caractère contraignant », souligne-t-elle dans le courrier daté de mai 2018 publié au Journal officiel. La convention de partenariat avec Naver est « le fruit exclusif des discussions engagées entre Naver Corp et les services culturels de l’ambassade, bien avant [sa] visite en Corée du Sud et celle du président de la République », poursuit Mme Pellerin. Ces discussions « se seraient poursuivies quand bien même aucune lettre d’intention n’aurait été signée ». Ces explications n’ont pas levé le doute de la HATVP.

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