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Le référendum au risque des colères

La crise des «gilets jaunes» a relancé, en France, le débat sur l’instauration d’un «référendum d’initiative citoyenne» aux contours flous. La Suisse peut-elle servir d’inspiration? Et qu'en est-il du référendum au niveau européen ?

La landsgemeinde de Trogen, en Appenzell, dans les années 1930. La démocratie directe helvétique dans son expression la plus traditionnelle. — © Image d'archive IBA/KEYSTONE
La landsgemeinde de Trogen, en Appenzell, dans les années 1930. La démocratie directe helvétique dans son expression la plus traditionnelle. — © Image d'archive IBA/KEYSTONE

Emmanuel Macron prendra-t-il ce risque? Dans le cadre de la «grande consultation nationale» destinée à tirer les leçons de la crise des «gilets jaunes» en France – dont les grandes lignes et le calendrier devraient être fixés par le Conseil des ministres ce mercredi – le référendum d’initiative citoyenne (RIC) fait désormais office de chantier institutionnel prioritaire.

Une promesse de tournant démocratique aux antipodes de la tradition plébiscitaire de la Ve République qui, même si la Constitution intègre depuis 2008 la possibilité d’un référendum d’initiative partagée avec le parlement, prévoit avant tout de consulter le peuple pour consolider le pouvoir présidentiel. Un virage synonyme, pour les «gilets jaunes», d’une nécessaire réinvention démocratique.

Lire l'interview:  Olivier Meuwly: «Le modèle de démocratie directe suisse n’est pas transposable en tant que tel»

«Une arme contre l’oligarchie»

Difficile, pourtant, d’applaudir sans nuances à cette poussée désordonnée de fièvre citoyenne qui, en Italie voisine, a fait le lit politique du Mouvement 5 étoiles. Sur les barrages en province, et lors des marches organisées ces cinq derniers samedis à Paris et dans les métropoles, les plus fervents partisans du RIC étaient souvent… les militants ou sympathisants du Rassemblement national de Marine Le Pen. Battue au second tour de la présidentielle de mai 2017, la candidate d’extrême droite a toujours, comme son père Jean-Marie – fondateur du Front national et ancien député de la mouvance populiste poujadiste dans les années 1960 – défendu l’idée d’un référendum d’initiative populaire, auquel elle a promis de recourir pour faire voter les Français sur l’appartenance à l’euro et à l’Union européenne.

Sans prôner ouvertement le «Frexit», la patronne de l’actuel RN répète dès qu’elle le peut, y compris en lorgnant vers la Suisse, qu’une forte injection de «souveraineté populaire» est indispensable. Ce que son ancien bras droit Florian Philippot, à la tête de son mouvement Les patriotes, s’est aussi empressé de justifier, estimant que le RIC est «une arme contre l’oligarchie. Une dynamique authentiquement révolutionnaire».

Autre chantre d’un RIC à géométrie variable: Jean-Luc Mélenchon. Le leader de La France insoumise (gauche radicale) a défendu cette semaine à l’Assemblée nationale le droit d’inclure «un référendum permettant d’abroger une loi, d’en proposer une, et le droit de révoquer un élu, quel qu’il soit, du président de la République au conseiller municipal». La réponse du pouvoir exécutif est venue immédiatement: une telle brèche fissurerait l’édifice de la Ve République, ouvrant la voie au fourre-tout du «dégagisme». «On est passé de la techno-parade au Club Mickey», a ironisé pour sa part sur France Culture le philosophe François Sureau, après avoir décortiqué le «modèle Suisse» et réhabilité les «gilets jaunes», comme «le symbole du citoyen qui disparaît sous l’Etat». En s’inquiétant, au passage, de la «décrédibilisation permanente des élus».

Lire notre éditorial:  Voter souvent, c’est apprendre à perdre

Les scénarios

Reste donc, pour satisfaire l’appétit de participation populaire, à trouver une issue médiane. Le premier scénario, si la réflexion institutionnelle s’engage, pourrait consister à revenir à ce que proposait, durant la campagne présidentielle, un certain… Emmanuel Macron: un grand oral annuel du président de la République devant un jury citoyen. Autre option: celle des députés et sénateurs socialistes, désireux d’utiliser le dispositif existant du référendum d’initiative partagée (possible s’il recueille le soutien de 4,7 millions de citoyens, soit 10% des électeurs inscrits, et d’au moins 185 parlementaires) pour réinstituer l’impôt sur la fortune, dont l’abrogation au début du quinquennat est devenue le symbole du «président des riches».

Impossible, en tout cas, de nier que le RIC fait peur. Le politologue français Olivier Duhamel, importateur en France du système des «primaires» présidentielles à l’américaine, l’a qualifié d’«extrêmement dangereux». Le journaliste homonyme Alain Duhamel, qui le juge difficile à instituer, met en garde contre «une forme de défiance». Dans une France où la rue tente souvent de contourner les urnes, et où les réseaux sociaux sont l’explosif carburant démocratique des «gilets jaunes», référendum citoyen et référendum de la colère s’entremêlent.

Sauf si la fièvre retombe et que des garde-fous sont trouvés. «S’exprimer, participer, contrôler l’action des élus… En soi, cela participe de la ferveur démocratique», nuance le constitutionnaliste français Dominique Rousseau. «L’exigence la plus nouvelle est celle d’une démocratie continue. Les citoyens européens ne veulent pas demeurer des intermittents de la vie politique.»

Référendum européen, cette utopie

On le sait peu, mais le Traité de Lisbonne de 2007 a ouvert la voie à une «initiative citoyenne européenne». Explication

L’instrument est peu connu, mais il existe. Adopté en 2007 – après le rejet du projet de Constitution européenne par référendum en France et aux Pays-Bas deux ans plus tôt –, le Traité de Lisbonne permet à au moins un million de citoyens de l’UE d’obliger la Commission européenne à se saisir d’un sujet et à élaborer une proposition de directive.

Cette «initiative citoyenne européenne» a notamment été utilisée par les opposants au glyphosate, ce pesticide controversé dont le Parlement européen a voté in extremis, en novembre 2017, la reconduction controversée de l’autorisation pour cinq ans. Au total, depuis l’ouverture de la procédure en 2012, plus de quarante initiatives ont été déposées. Quatre ont abouti à des propositions législatives communautaires.

Le Brexit, exemple célèbre

Le cas de l’Italie est souvent cité en exemple par les partisans de référendums émanant du peuple. L’article 75 de sa Constitution permet à 500 000 pétitionnaires et au moins cinq conseils régionaux (représentants des collectivités territoriales) d’obtenir l’abrogation complète ou partielle d’une loi. Les révisions de la Constitution peuvent aussi faire l’objet d’un référendum, mais seulement si la Chambre des députés et le Sénat en acceptent le texte à la majorité des deux tiers.

Parmi les grands pays de l’UE, le dernier référendum à avoir bouleversé la donne politique communautaire est bien sûr celui organisé le 23 juin 2016 au Royaume-Uni sur le Brexit (approuvé à 51,9%). Le référendum britannique précédent avait eu lieu le 5 juin 1975 sur l’intégration du Royaume dans la communauté européenne (67,2% de oui).

Référendums locaux

En Allemagne, la Loi fondamentale (constitution) de mai 1949 ne prévoit de consultation populaire directe qu’en cas de changement des frontières nationales ou des Länder. Des référendums locaux peuvent en revanche être organisés.

Une idée a souvent été avancée au niveau européen, par exemple par l’ancien eurodéputé vert Daniel Cohn-Bendit: celle d’un référendum qui se tiendrait le même jour, dans tous les pays de l’UE, autour de la même question. Une idée qui n’a jamais percé sur le plan institutionnel. R.W.