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Les escape games à l’assaut des musées

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Depuis plusieurs mois, les escape games, ces jeux d’évasion grandeur nature qui font fureur, s’échappent de l’univers du divertissement pur pour s’infiltrer dans nos musées. Leur mission ? Faire de la visite une expérience plus interactive et séduire les jeunes. Enquête dans les coulisses de ce nouveau loisir arty.
“Projet Exodus – Les couloirs du temps” au musée du Louvre, Paris
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“Projet Exodus – Les couloirs du temps” au musée du Louvre, Paris, 2018

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© anima-agentludique / Photo Luccio Di Rosa

Depuis 2016, les escape games fleurissent partout en France. En famille ou entre amis, on se presse dans des salles dédiées pour tester ces jeux d’évasion grandeur nature, inventés en Asie au début des années 2010. La recette ? Un scénario trépidant en guise d’accroche, un décor – une pièce verrouillée dont il faut sortir en y résolvant des énigmes – et un chronomètre pour pimenter le tout. « J’aime être plongée dans un autre univers pendant soixante minutes avec mon cerveau pour seul allié, explique Katia, vingt-huit ans, qui en a déjà testé plus d’une quinzaine. C’est un moment convivial, avec pour clé la communication entre les joueurs ! »

Depuis deux ou trois ans, le concept est en pleine mutation. En parallèle des jeux « classiques », organisés dans de faux décors, d’autres investissent de vrais bâtiments historiques. À grand renfort de fantômes, de tours verrouillées et de parchemins secrets, châteaux, citadelles et musées d’histoire ont été les premiers à se lancer dans l’aventure en 2016, suivis de près par les musées de science dès l’été 2017, et enfin par les musées d’art à partir de début 2018.

En proposant un escape game pour fêter sa réouverture en janvier 2018, le musée Henri Dupuis de Saint-Omer a donné le coup d’envoi. Suivi, en février, par le musée Cernuschi, à Paris : les joueurs devaient y élucider une affaire paranormale en déchiffrant des indices glissés dans sa collection d’objets venus des quatre coins d’Asie. En avril, le musée Jean-Jacques Henner rejoignait le mouvement avec « Le Sceau des héritiers » : prolongé jusqu’en 2019, le jeu plonge les participants dans l’atmosphère feutrée de cet hôtel particulier, ancienne demeure parisienne d’un peintre du XIXe siècle. Munie d’un iPad, chaque équipe dispose d’une heure pour décrypter des messages cachés dans les tableaux et les salles, et empêcher un fantôme maléfique de s’échapper de sa prison secrète…

« Le Secret de Napoléon I<sup>er</sup> » , escape game Assassin’s Creed aux Invalides, Paris
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« Le Secret de Napoléon Ier », escape game Assassin’s Creed aux Invalides, Paris

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© Paris – Musée De L’Armée, Dist. RMN GP / Anne Sylvaine / Marre Noël

Depuis mai 2018, le phénomène se répand comme une traînée de poudre, du Mucem de Marseille au Rijksmuseum d’Amsterdam. Pour l’ouverture de son exposition « La Fabrique du luxe », le musée Cognacq-Jay accueillait en octobre un jeu de piste à la lueur des bougies, avec musiciens en costumes baroques ! Depuis septembre, les joueurs ont aussi pu débusquer le spectre de la fille de Victor Hugo dans la demeure normande de l’écrivain, trouver la sortie de la Monnaie de Paris le soir d’Halloween, ou déjouer en trente minutes un projet d’attentat contre Napoléon au musée des Beaux-Arts d’Arras. Dans les mois à venir, ils pourront aussi tester une quête masquée sous les ors du palais Garnier, animée par des comédiens en hauts de forme et crinolines (« Inside Opéra »), et une aventure nocturne aux Invalides inspirée de l’univers du jeu vidéo Assassin’s Creed (« Le Secret de Napoléon Ier »), dans une ambiance occulte à souhait…

« Enquête à la bougie – Fiat lux » au musée Cognacq-Jay à l’occasion de l’exposition « La Fabrique du luxe »
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« Enquête à la bougie – Fiat lux » au musée Cognacq-Jay à l’occasion de l’exposition « La Fabrique du luxe », 2018

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© Musée Cognacq-Jay

Un divertissement familial doublé d’une sortie culturelle : en échange d’une somme très variable (de cinq à cent euros selon les jeux), les participants font d’une pierre deux coups. Car chaque escape game permet de découvrir autrement un lieu et les œuvres qu’il abrite, à l’instar du Louvre, décor de « Projet Exodus », encore à l’affiche : nous voilà parachutés dans le plus grand musée du monde, avec pour seuls indices un sac de toile contenant d’obscurs documents et une mallette codée. À nous de trouver le plus rapidement possible notre chemin d’énigme en énigme, jusqu’à un mystérieux point d’arrivée ! L’enquête met en valeur la diversité des collections de l’aile Richelieu : on plonge dans les grandes peintures de la salle Rubens, on s’arrête devant d’extraordinaires bas-reliefs assyriens, on repère des symboles sur l’épaule d’une statuette, on débusque un détail étrange à l’arrière-plan d’un tableau anonyme…

« C’est amusant de parcourir le musée sous cet angle. Le jeu nous dessine un parcours express tout en nous amenant à scruter certaines œuvres. On a envie de revenir pour prolonger la visite », témoigne une jeune participante. Logique, rapidité, observation : au fil d’un escape game, chaque membre de l’équipe apporte ses compétences, sa façon personnelle de réfléchir, et participe différemment à l’effort collectif. Un élément qui intéresse d’ailleurs les entreprises en quête d’activités ludiques destinées à stimuler le travail en équipe : à ces dernières, l’agence Team Ideas, spécialisée dans le team building (renforcement d’équipe), propose ainsi d’emmener des groupes de collègues à la découverte des chefs-d’œuvre du musée d’Orsay le temps d’une chasse au trésor.

« Projet Exodus – Les couloirs du temps » au musée du Louvre, Paris
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« Projet Exodus – Les couloirs du temps » au musée du Louvre, Paris, 2018

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© @anima-agentludique / Photo Luccio Di Rosa

Le hic ? Ce changement de décor chamboule inévitablement quelques principes de base de l’escape game. À commencer par le plus essentiel, contenu dans son nom : l’idée d’un lieu verrouillé dont il faut s’échapper. Difficile en effet d’enfermer les joueurs dans une salle de musée, surtout si le jeu se déroule durant les heures d’ouverture ! Derrière le concept d’escape game brandi par les organisateurs se cachent donc plutôt des enquêtes, des chasses au trésor et des jeux de piste chronométrés, termes moins à la mode, et par conséquent moins vendeurs.

Autre élément-clé à oublier : la fouille et la manipulation d’objets, les participants n’ayant bien sûr pas le droit de toucher aux œuvres exposées. « À la place, on amène les joueurs à scruter les œuvres. C’est notre façon de fouiller le musée ! » explique en souriant Isabelle Terrissol, directrice d’Anima Agent Ludique, l’agence à l’origine de « Projet Exodus », spécialisée dans la création de jeux grandeur nature au cœur du patrimoine parisien. Tout doit donc passer par la vue et l’observation : repérer une inscription, suivre le regard d’un personnage peint, les seuls objets manipulables étant les documents, grilles codées ou iPads distribués aux joueurs en début de partie. À quelques exceptions près : au musée Henri Dupuis, des mises en scène avec accessoires et objets à examiner – comme on en trouve dans les salles d’études – étaient installées dans les différents espaces du musée le temps de la partie.

Des partenariats variés

« Le Sceau des Héritiers » au musée Jean-Jacques Henner
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« Le Sceau des Héritiers » au musée Jean-Jacques Henner, 2018–2019

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© Olaf Meyer Happinov

À chaque jeu sa genèse. À l’initiative du département du Nord, « qui souhaitait proposer une découverte originale et ludique de ses lieux culturels », l’enquête « De faux airs de faussaire » du musée de Flandre a été entièrement élaborée par ce dernier, sans recours à un prestataire extérieur. À l’inverse, « Projet Exodus » a été imaginé de façon totalement indépendante par Anima Agent Ludique, le Louvre n’ayant fait qu’accepter la présence des animateurs… après quelques réticences : le musée craignait que les joueurs ne perturbent les autres visiteurs ! Mais, la plupart du temps, l’escape game est issu d’une collaboration entre le musée et des développeurs : « Nous cherchions une activité innovante et ludique à proposer à nos visiteurs, explique une porte-parole du musée Jean-Jacques Henner. Spécialisée dans la réalité augmentée et les jeux immersifs sur tablette, la société Happinov nous a proposé l’escape game dont elle a conçu les énigmes et le graphisme. Le musée a pu tester régulièrement le jeu pendant son élaboration, apporter son regard sur les éléments historiques et fournir les illustrations d’œuvres. »

Enquête à la bougie : Fiat Luxe

Retour en vidéo sur l’enquête à la bougie : Fiat Luxe au Musée Cognacq-Jay…Un grand merci à tous les apprentis brigadiers qui ont tenté de résoudre cette tumultueuse énigme de faux objets, et un grand bravo à celles et ceux qui ont trouvé la solution – oui, on l’avoue, c’était dur…!Pour prolonger l’enquête, RDV dans l’expo #FabriqueDuLuxe jusqu’au 27 janvier !

Publiée par Musée Cognacq-Jay sur Mercredi 24 octobre 2018

« L’approche par le jeu, en équipes, en présence de comédiens et non de guides, permet de « désacraliser » le musée, de le rendre moins intimidant. »

Côté prestataires, les musées ont l’embarras du choix. D’abord, les agences connues pour leurs live escape games en salles : le musée Cognacq-Jay a ainsi fait appel à La Pièce, l’une des pionnières dans ce domaine. Pour sa série de mystères « Les Reliques de l’amour », le département de la Seine-Maritime s’est tourné vers l’entreprise Brainscape, présente dans plusieurs villes du nord-ouest de la France. Quant au Louvre, c’est à l’enseigne parisienne Gamescape qu’il a confié la création du mystère proposé cet été dans le jardin des Tuileries. Les musées se tournent aussi vers des développeurs de jeux vidéo, comme Ubisoft (créateur du jeu Assassin’s Creed) pour l’escape game du musée de l’Armée aux Invalides, ou le studio Ys Interactive, qui a conçu, sous la forme d’une application sur smartphone, un escape game digital lié à l’exposition « L’Histoire du monde en 100 objets », présentée au musée des Beaux-Arts de Valenciennes en mars 2018. Ou encore des sociétés spécialisées dans divers projets innovants, comme TF1 Entertainment, filiale du groupe TF1, pour « Inside Opéra »…

Une aubaine pour les musées

Pour les musées, ces jeux prisés par les jeunes et les familles ont une réelle utilité : « L’escape game nous a permis d’élargir notre public en faisant venir davantage d’adolescents et de jeunes adultes. L’approche par le jeu, en équipes, en présence de comédiens et non de guides, permet de « désacraliser » le musée, de le rendre moins intimidant », explique une porte-parole du musée de Flandre. Pari gagné : parmi les participants en novembre, 55 % visitaient le musée pour la première fois et 48 % avaient moins de vingt-cinq ans ! Un succès qui a poussé le musée à programmer de nouvelles séances pour décembre et janvier. Même constat au musée Jean-Jacques Henner, lieu méconnu qui, grâce à l’escape game, a pu « gagner en visibilité et faire venir des visiteurs qui ne seraient jamais venus autrement : un public plus jeune, plus éloigné de Paris, moins familier des musées… et davantage d’adolescents, d’ordinaire peu présents ».

“De faux airs de faussaire” escape game au musée de Flandre à Cassel
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“De faux airs de faussaire” escape game au musée de Flandre à Cassel, 2018-2019

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© musée de Flandre, Cassel / Photo Dominique Lampla

Seul bémol : tous les jeux n’ont pas le même intérêt culturel. Certains, comme l’enquête policière du musée de Flandre, deviennent de vrais outils éducatifs permettant d’obtenir par soi-même des informations sur les œuvres. « Toutes les énigmes ont été pensées par rapport aux collections du musée et à l’histoire du bâtiment. Certaines ont même nécessité d’avoir recours à des analyses scientifiques avec caméra infrarouge et dossier d’œuvre, ce qui a permis de sensibiliser le public aux questions d’expertise, d’authentification, d’archivage et de conservation des collections », souligne la porte-parole du musée. D’autres en revanche restent de purs divertissements. Ainsi, « Projet Exodus » nous amène à regarder des œuvres, mais sans nous renseigner sur elles. Apprendre davantage à travers le jeu, voire même utiliser ses connaissances en art pour déchiffrer les énigmes : voilà des pistes à explorer pour de prochaines créations. Avis aux développeurs : les possibilités sont infinies !

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Infos pratiques

« Le Sceau des héritiers »

Escape game au musée national Jean-Jacques Henner, 43, avenue de Villiers, Paris 17e, prochaine session le 16 mars 2019 de 17 h à 22 h. [email protected]

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« Projet Exodus »

Escape game au musée du Louvre, Paris 1er  • Prochaines sessions les 14, 15, 27 et 28 décembre 2018, puis les 4 et 5 janvier 2019 • Billetterie : www.anima-agentludique.com

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« De faux airs de faussaire »

Escape game au musée de Flandre, 26, Grand-Place, 59670 Cassel • Prochaines sessions à 18 h et 19 h 30 les 28 décembre 2018 et 4 janvier 2019 • Réservation : https://museedeflandre.fr/des-faux-airs-de-faussaire-enquete-du-nord

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« Le Secret de Napoléon Ier »

Escape game Assassin’s Creed à l’hôtel des Invalides – musée de l’Armée, 129, rue de Grenelle, Paris 7 • Du 15 décembre au 16 janvier • Billetterie : https://www.cultival.fr/visites/lexperience-assassins-creed-aux-invalides-

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« Inside Opéra »

Escape game à l’opéra Garnier, Paris • De 10 h à 17 h certains week-ends jusqu’au 17 mars • Billetterie : https://www.inside-infos.fr/opera/

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« Monsieur Madame »

Visite de l’exposition « Monsieur Madame » à la manière d’un escape game au Musée en Herbe, 23, rue de l’Arbre-Sec, Paris 1er • Tous les jeudis jusqu’au 20 janvier • Jeu destiné aux plus de 15 ans.

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Musée d'Orsay

Chasse au trésor pour les entreprises (team building, par l’agence Team Ideas) au musée d’Orsay : https://www.team-ideas.com/produit/chasse-au-tresor-au-musee-dorsay-paris/

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