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Politique

Gilets jaunes : à l'Assemblée, la gueule de bois des députés En Marche

Au Palais-Bourbon, le retour à la réalité est difficile pour les députés En Marche, qui avaient bénéficié d'un contexte favorable depuis leur élection, avant que les "gilets jaunes" ne viennent tout gâcher.

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Le chef de file des députés LREM Gilles Le Gendre lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 7 mars 2018

A l'Assemblée, la gueule de bois des députés En Marche

AFP/Archives - Philippe LOPEZ

Ils ont senti le sol se dérober sous leurs pieds. Menacés, insultés sur les réseaux sociaux et poursuivis, pour certains d'entre-eux, jusque devant leur domicile, les députés LREM ont perdu en quelques semaines de mobilisation des "gilets jaunes" une bonne partie de leurs illusions politiques. Alors que le groupe En Marche déplorait la semaine dernière "une vingtaine" de dégradations visant les permanences ou les biens de parlementaires de la majorité - un chiffre en augmentation après la dernière journée de mobilisation, samedi 15 décembre -  les 308 députés macronistes constatent avec effarement le rejet qu'ils inspirent au sein d'une partie de la population, déterminée à obtenir la dissolution de l'Assemblée nationale moins de deux ans après son élection. Dans la crise, ils voient également un certain nombre de leurs convictions mises à mal. Sur la hausse du SMIC, sur les heures supplémentaires défiscalisées, sur la CSG... Emmanuel Macron a donné raison aux manifestants contre sa propre majorité parlementaire. Un désaveu qui fragilise l'édifice macroniste autant qu'il altère le lien "magnétique" entre le chef de l'Etat et les députés LREM, élus pour appliquer son programme présidentiel. Au sein de la majorité, l'heure est au doute : faut-il se recentrer ? Ou affirmer son désaccord avec le "virage social" entrepris par le président de la République ? Sans aiguillon politique, et avec un mouvement, La République en marche, aux abonnés absents, les députés essaient difficilement de trouver leur voie.

Les tourments de Gilles Le Gendre

D'autant qu'à ces doutes, s'ajoute un sentiment de flottement à la tête du groupe En Marche. Les députés de la majorité sont de plus en plus nombreux à critiquer la gestion de l'ancien journaliste Gilles Le Gendre, qui a pris la succession de Richard Ferrand au mois de septembre dernier. Fragilisé par ses propos sur la "trop grande intelligence, la trop grande subtilité" du gouvernement face aux "gilets jaunes", le patron des députés LREM est jugé ectoplasmique par certains cadres de la majorité. "Il est aux abonnés absents, critique une élue. Avec sa vice-présidente Amélie de Montchalin, on ne les voit plus qu'aux réunions de groupes et ils refusent systématiquement de s'attaquer aux sujets qui fâchent. Le cas de Sonia Krimi (une parlementaire LREM qui a enfilé un gilet jaune dans sa circonscription, ndlr) a traîné en longueur. Il nous a dit qu'il allait lui envoyer une lettre d'exclusion avant de se raviser. Finalement elle reste, après nous avoir torpillé dans la presse. C'est incompréhensible. Pareil pour le député du Rhône Bruno Bonnell qui a réclamé unilatéralement une évaluation de l'ISF en pleine crise des gilets jaunes sans consulter qui que ce soit." Désormais, certains députés n'hésitent plus à s'interroger sur l'avenir du chef de groupe majoritaire. "Si l'on évoque déjà le départ d'Edouard Philippe en cas de remaniement, combien de temps Gilles Le Gendre peut-il tenir ?", persifle une élue.

Conscient des critiques qui entourent son action, le patron des députés LREM joue la bienveillance et assure qu'il n'y a "pas un seul des députés de la majorité pour lequel il n'ait d'affection." Il concède toutefois une "spécificité managériale" à gérer ce groupe "totalement inédit", formé en grande partie de gens qui n'avaient pas d'expérience politique avant leur élection au Palais-Bourbon. "J'ai pu penser, au début, que l'on pouvait diriger les députés de la majorité comme on le fait d'une rédaction. Il y a une ressemblance lointaine avec les rédactions que j'ai dirigées : des personnalités fortes, riches, variées, éruptives. Mais la comparaison s'arrête là. Un élu de la nation n'a pas de patron, il n'a de compte à rendre qu'à ses concitoyens" Se refusant à faire des exemples ou à abuser de son pouvoir hiérarchique, Gilles Le Gendre s'enorgueillit de voir que sur les textes fondamentaux "aucune voix ne manque à l'appel". "On passe par toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, avec des débats parfois très houleux, mais à la fin tout le monde est là."

"La mayonnaise ne prend pas"

C'est vite oublier que le groupe LREM a enregistré trois départs depuis la rentrée, ceux des députés Jean-Michel Clément, Paul Molac et François-Michel Lambert, partis rejoindre le nouveau groupe "Libertés et territoires", fondé autour d'élus sans affiliation parlementaire. Ces derniers décrivent aujourd'hui un groupe majoritaire déconnecté de la réalité. "Certains élus n'ont aucune prise avec le terrain, s'indigne Jean-Michel Clément. Je me souviens, lors de nos premiers échanges à la buvette de l'Assemblée nationale, de députés qui avaient fait tout leur carrière dans le privé, se revendiquant exclusivement de la "société civile", sans aucune attache territoriale". Pour le député du Morbihan Paul Molac, c'est cette attitude qui fragilise le Parlement. "Il n'y a pas de véritable séparation des pouvoirs, maugrée-t-il. Certains députés s'imaginent avoir plus de compte à rendre à Emmanuel Macron, auquel ils estiment devoir leur élection, qu'à leurs propres électeurs en circonscription. Ils ont totalement acté la disparition des corps intermédiaires."

Ce sentiment parcourt aussi l'aile gauche de la majorité, qui regrette le manque de considération pour l'Assemblée nationale. "Le pouvoir présidentiel prend le pas sur tout, il n'y a pas vraiment de co-construction législative", regrette le député de Loire-Atlantique Yves Daniel. Pour cet ancien élu socialiste, député sous le quinquennat de François Hollande, la majorité est réduite à une chambre d'enregistrement, ce qui affaiblit sa capacité à penser une crise comme celle des "gilets jaunes". "Je n'ai jamais eu la sensation, depuis ma réélection sous les couleurs d'En Marche, de participer à une quelconque aventure collective, s'émeut-il. Contrairement à mon mandat précédent, où beaucoup de députés PS avaient une longue carrière de militant, il n'y a pas de fraternité entre élus. On peut se retrouver lors de repas en commun, ou dans l'hémicycle, sans avoir grand chose à se dire... C'est un groupe un peu déshumanisé. La mayonnaise ne prend pas."

L'acte deux du dégagisme

Comment ressouder les rangs ? Certains cadres voient dans la crise des "gilets jaunes" une opportunité unique de consolider le projet macroniste. "C'est l'acte deux du dégagisme, théorise ainsi Bruno Bonnell. Est-en train de se constituer face à nous, sur les ronds points, une force politique profondément conservatrice, que je renommerai le "front insoumis", car elle fait la jonction entre le Rassemblement national et La France insoumise." Pour les macronistes, loin de fragiliser la majorité, la fronde anti-taxe va finir d'achever le clivage gauche-droite et permettre de polariser un peu plus le débat entre "progressistes" et "conservateurs". Le chef des députés LREM, Gilles Le Gendre, ne dit pas autre chose. "On ne va pas se mentir : cette crise des "gilets jaunes" on s'en serait tous bien passés. Mais maintenant, c'est une opportunité formidable qui nous oblige à prendre des mesures fortes, à aborder un virage de méthode, avec ce grand débat national qui doit permettre de trouver des solutions pour calmer la colère".

Encore faut-il réussir le virage politique. Le président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand a d'ores et déjà prévenu : il ne pourra pas y avoir de "carabistouille" sur les promesses du chef de l'Etat. "Début 2019, il faudra qu'une personne qui n'a que le Smic pour vivre constate une augmetation de 100 euros nets par mois, faute de quoi on deviendra inaudible", reconnaît Gilles Le Gendre. "Et nous avons élargi la promesse présidentielle à des personnes ou familles qui, même au dessus du Smic, ont du mal à joindre les deux bouts." Les premiers cafouillages ne se sont pourtant pas fait attendre. Mardi, Matignon a dans un premier temps fait savoir que le gouvernement comptait renoncer à une partie des mesures annoncées par Edouard Philippe mi-novembre, au motif que certaines d'entre elles ne s'imposaient plus en raison de l'annulation de la hausse de taxe sur les carburants. Avant de rétropédaler en fin d'après-midi et de confirmer que celles-ci étaient intégralement maintenues. Un couac de mauvaise augure.

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