Pouvoir d’achat : le SOS des mères célibataires

Une famille sur cinq est aujourd’hui monoparentale dans notre pays. Et ce sont ultra majoritairement des femmes à leur tête, confrontées à un quotidien de plus en plus difficile.

 Lydie Dumoulin élève seule ses deux enfants 12 et 16 ans à Frapelle (Vosges). Elle s’est mobilisée dès le début du mouvement au côté des Gilets jaunes.
Lydie Dumoulin élève seule ses deux enfants 12 et 16 ans à Frapelle (Vosges). Elle s’est mobilisée dès le début du mouvement au côté des Gilets jaunes. LP/Jean-François Badias

    Parmi les voix des Gilets jaunes qui se sont élevées venant des classes moyennes et populaires, une parole féminine a percé : celle des mères seules. « Et elles sont nombreuses sur les ronds-points », atteste le Premier ministre, Édouard Philippe, dans son interview parue ce lundi dans les Échos.

    Un constat relayant l'allocution présidentielle du 10 décembre, qui a spécifiquement mis en avant cette « colère sincère » de « la mère de famille célibataire, veuve ou divorcée qui ne vit plus, qui n'a pas les moyens de faire garder les enfants et d'améliorer ses fins de mois », décrivait ainsi Emmanuel Macron. « Je les ai vues ces femmes de courage », reconnaissait encore le président.

    Sur certains barrages, ces femmes à la tête d'une famille monoparentale sont en effet en première ligne pour dénoncer la baisse du pouvoir d'achat. Logique. Les plus précaires, ce sont elles. En France, 1 famille sur 5 est monoparentale, dont près de 35 % vivent sous le seuil de pauvreté (soit deux millions de personnes). Or, dans plus de huit cas sur dix, c'est la mère qui élève seule son ou ses enfants.

    Selon l'Insee, le seuil de pauvreté est établi à 1 112 euros mensuels (avec un seuil à 50 % du revenu médian) pour un parent solo avec un enfant de moins de 14 ans à charge. En septembre, une étude a été lancée, portée par la secrétaire d'État à l'égalité Femmes-Hommes, Marlène Schiappa, pour établir un état des lieux précis des difficultés rencontrées par ces familles.

    À quoi ressemble leur quotidien? Quatre de ces femmes, Gilets jaunes ou pas, ont accepté de décrire pour nous leurs conditions de vie.

    «Mon chauffage ? Le bois de la cheminée»

    LYDIE DUMOULIN, 43 ans, assistante juridique, 1 545 euros par mois, mère de deux ados de 12 et 16 ans

    « Le moindre imprévu, comme une panne de voiture, peut faire basculer du mauvais côté. On s'en sort, mais le budget doit être tenu au quotidien. » Lydie Dumoulin parle d'elle-même bien sûr, mais aussi de celles et ceux qu'elle a rencontrés en tenant le rond-point, situé non loin de son domicile dans le village de Frapelle (Vosges) à une heure d'Epinal, la préfecture.

    Cette mère, assistante juridique, élevant seule ses deux ados de 12 et 16 ans, est en effet investie chez les Gilets jaunes depuis le début, soit depuis sa première nuit passée, du 16 au 17 novembre, sur le fameux « rond-point stratégique ».

    « J'y ai vu des profils qui me ressemblent mais aussi des situations bien pires que la mienne. Comme celle de cette femme de 54 ans qui vit avec 350 euros par mois », illustre Lydie, âgée de 43 ans, gagnant un salaire de 1 545 euros mensuel. Pour ses deux enfants, une pension alimentaire et les allocations familiales viennent ajouter une somme d'environ 500 euros à son salaire. Avec les Gilets jaunes, c'est la première fois qu'elle manifeste. « La perspective d'une hausse du prix du carburant a été la goutte d'eau », explique Lydie.

    Un véhicule en zone rurale ? « C'est ce qui me permet d'aller travailler à Saint-Dié, la plus grosse ville à proximité (NDLR : 20 000 habitants) à une dizaine de kilomètres de chez moi, mon aînée y est aussi scolarisée. Je n'ai pas de médecin dans mon village, mais à 8 km. La voiture m'est indispensable ! » Et d'évoquer également la fermeture il y a quelques semaines de la ligne SNCF Epinal/Saint-Dié-des-Vosges. Saint-Dié où Emmanuel Macron s'était rendu au mois d'avril, ce qui avait donné lieu à des échanges musclés avec les cheminots.

    La voiture pour elle, c'est aussi le moyen d'aller dans le pays tout proche qu'est l'Allemagne pour y faire parfois des courses. « Ça vaut le coup pour les vêtements, l'alimentation également, même si je me rends aussi auprès des producteurs locaux. Cette vente directe m'évite de payer les taxes », précise l'assistante juridique. Un petit potager qu'elle cultive la fournit en légumes et sa chaudière au fioul ne lui sert que pour l'eau chaude. « Le chauffage ? C'est le bois de la cheminée. J'ai la chance d'en avoir une dans la maison que je loue. »

    Lydie ne pensait pas s'impliquer autant et évoque avec émotion la fierté que ses enfants lui ont manifestée face à son engagement. « Aujourd'hui, j'ai envie de dire au président de la République : Réveillez-vous et regardez-nous ! »

    «On ne vit pas, on se saigne pour survivre»

    CORINNE DOURGUIA, 36 ans, agent à la Sécurité sociale, 1 115 euros par mois, mère de deux filles de 4 et 10 ans

    Corinne Dourguia et ses filles, à Tourcoing (Nord)./LP/Sarah Alcalay

    « J'ai l'impression d'être prise dans un tourbillon. Je cours tout le temps. On ne vit pas, on se saigne pour survivre. Ce qui me manque le plus ? La sérénité quant à l'avenir de mes enfants. » Corinne Dourguia est une maman élevant seule ses deux filles de 4 et 10 ans avec 1 115 euros par mois, un peu moins que le smic. Depuis trois ans, elle a quitté la région parisienne pour se reconstruire dans le Nord, à Tourcoing, faute de pouvoir accéder à un logement pour elle et ses filles. Trop cher.

    Après sa séparation suite à des violences conjugales, elle est restée quatre mois chez ses parents à Créteil (Val-de-Marne) mais la seule solution qu'on lui proposait alors : appeler le 15 pour un hébergement d'urgence à l'hôtel. Direction la province donc, où un particulier accepte de lui louer un logement, avant d'acquérir un appartement dont le crédit lui revient moins cher qu'un loyer. Un crédit qui lui prend toutefois la moitié de son salaire, soit 550 euros mensuels.

    Dans le Nord, elle travaille à la Sécurité sociale mais a dû, avant cela, suivre une formation synonyme de galère pour faire garder ses filles. « La société ne prend absolument pas en compte la situation des parents seuls. Toutes aides confondues, je dois bénéficier d'environ 400 euros par mois dont la prime d'activité. Pas d'APL puisque jeune acquéreur, pas de pension alimentaire versée par le père non plus. On m'a bien dit de le faire constater par huissier mais cela me coûterait environ 150 euros. Je ne les ai pas. Après toutes les factures, il me reste 250 euros pour faire les courses. Rien à la fin du mois », chiffre Corinne, âgée de 36 ans.

    Si elle n'est pas Gilet jaune, c'est uniquement par faute de temps. « Je relaie les actions comme je peux, je les soutiens à mon niveau. Je vais discuter avec eux sur les blocages aussi. » Elle évoque une solidarité des « laissés pour compte », allant de l'extrême droite à l'extrême gauche en passant par les apolitiques.

    Tout est calculé pour que ses filles ne manquent de rien mais les petits plus, on oublie. « Récemment, nous sommes passées à côté d'une fête foraine. Ma petite de 4 ans m'a dit : Je sais que c'est cher mais est-ce qu'on peut y faire un tour ? Celle de 10 ans demande régulièrement à sa sœur de ne pas laisser couler l'eau parce que cela va coûter cher à maman. Ça, ça fait mal. Ce sont des enfants, elles ne devraient pas se soucier de cela », s'indigne la maman… qui connaît en ce moment l'épreuve des listes de Noël. « Je ne peux pas acheter la moitié de ce qu'elles demandent et, pourtant, elles sont raisonnables », souffle-t-elle.

    «Dire non à ses enfants, c'est très frustrant»

    VIRGINIE CHALAUD, 45 ans, adjointe administrative, 1 498 euros par mois, mère de deux enfants de 15 et 10 ans

    Chevrières (Oise), le 10 décembre. Avec d'autres Gilets jaunes, Virginie Chalaud occupe un rond-point à proximité d'un péage de l'autoroute A1./LP/Olivier Corsan

    « Si mes parents ne m'avaient pas soutenue, je pense que je serais à la rue. Pourtant, je me lève tous les matins pour aller travailler. » Veuve depuis 2009, Virginie Chalaud est à la tête d'une famille monoparentale constituée de son ado de fils de 15 ans et d'une fille âgée de 10 ans. Vivant à dix minutes de Compiègne, à Lacroix-Saint-Ouen (Oise), cette maman rejoint après son travail d'adjointe administrative dans une mairie, son autre petite famille : celle des Gilets jaunes.

    « Notre président de la République m'a au moins permis de rencontrer ces gens extraordinaires », lance-t-elle. Il faut dire que depuis la mort de son mari, les amis sont devenus rares… « Cette colère, ce sentiment d'injustice, je l'avais depuis un certain temps. Je voyais bien que, pour un même panier, mes courses me coûtaient de plus en plus cher. Avec ce mouvement, j'ai vu que je n'étais pas la seule à avoir des fins de mois difficiles. C'est la première fois que je manifeste pour une cause », témoigne cette mère seule de 45 ans.

    Avec un salaire de 1 498 euros par mois, elle a acheté la maison de ses grands-parents. « J'ai pu récupérer la part de ma mère pour cela, mais j'ai dû prendre un prêt sur vingt-cinq ans qui me revient à 650 euros par mois. C'est une maison de 1965. Il faudrait refaire l'isolation et l'électricité mais je n'en ai pas les moyens », précise Virginie. Les dépenses mensuelles, elle les estime à 500 euros (gazole, nourriture…). « Il n'y a plus de place pour un ciné avec les enfants, les parcs d'attractions qu'ils adorent c'est devenu trop compliqué. Dire non à ses enfants, c'est très frustrant. »

    Frustrant ? Douloureux même tant cette mère de famille a du mal à terminer ses phrases, submergée par l'émotion. « Cela fait longtemps que je n'ai pas vu de petites étincelles dans leurs yeux. Mon fils n'a pas à me dire : Ne t'inquiète pas maman, je suis là. Ce n'est pas son boulot ! C'est pour eux que je me bats même si j'ai souvent l'impression de perdre pied. »

    Elle insiste. « Faire des efforts, je n'ai jamais été contre mais qu'on vienne vivre ma vie pendant un mois, invite Virginie. On ne choisit pas ce qu'on mange, on prend ce qu'on peut. Les vacances ? On ne part pas. C'est à la maison que ça se passe. » D'autant que « monsieur imprévu », comme elle l'appelle, connaît bien son adresse. Il prend d'ailleurs, le plus souvent, la forme de sa voiture qui a 240 000 km au compteur. Cette fois, ce sont les freins qu'il faudrait changer.