Patrick McGilligan : “Chez Hitchcock, les femmes sont les personnages intelligents et courageux”

Auteur reconnu de nombreuses biographies de cinéastes (Fritz Lang, Nicholas Ray, Clint Eastwood, etc.), l’Américain Patrick McGilligan, 67 ans, a également exploré la vie et l’œuvre d’Alfred Hitchcock. Jusqu’à considérablement adoucir l’image de démiurge sadique de l’auteur de “La Mort aux trousses”.

Par Aurélien Ferenczi

Publié le 20 décembre 2018 à 16h30

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 01h10

En quelques mots, quelles révélations sur Hitchcock et son œuvre votre livre a-t-il apportées ?
C’est assez difficile de résumer un ouvrage de cette taille ! J’ai mis en lumière des faits pour chaque année de sa vie, chacun de ses films. Un exemple : je présente Alma Reville, son épouse, quasiment comme une partenaire de création, traitant d’égale à égal avec lui, intervenant du scénario à la post-production – sur le montage, en particulier. Cette association me paraît unique dans les annales d’Hollywood. Le livre met aussi en valeur l’humanité d’Hitchcock, autant que sa discipline et son pragmatisme. Le mélange unique de romance, de comédie noire et de suspense que constituent ses films n’appartient qu’à lui. Et le secret de ce mélange trouve sa source dans la complexité de sa propre vie.

Les légendes sont dures à combattre. Ma biographie est pour ceux qui veulent connaître la personne derrière le monument – l’artiste faillible, pragmatique, non pas le perfectionniste qu’on imagine mais quelqu’un faisant toujours de son mieux. Beaucoup de ses collaborateurs – scénaristes, acteurs, opérateurs – se sont surpassés pour lui parce qu’il visait toujours le plus haut possible. Ils ont aussi aimé travailler avec lui parce qu’il était assez proche du personnage que l’on voit dans certaines de ses apparitions publiques et dans les « caméos » de ses propres films : il voulait que le travail soit amusant. Il était à l’opposé de la légende qui l’entoure – un ogre sadique. Ce serait un peu comme croire que Stephen King connaît vraiment le diable… !

A-t-on besoin d’empathie quand on rédige la bio d’un créateur ?
Cela peut aider quand on passe trois ou quatre ans à réfléchir, faire des recherches et écrire à propos de quelqu’un. Quoique le sentiment opposé à l’empathie puisse aussi parfois donner un bon et authentique portrait. Dans le cas d’Hitchcock, je l’ai rencontré une fois : j’ai passé une semaine sur le tournage de Frenzy, et je l’ai interviewé. Mais il était âgé et fatigué, et pas très content de mes questions, les mêmes qu’on lui posait depuis plusieurs décennies. Mon empathie pour lui n’est pas née de cette rencontre, ni même de l’admiration que j’ai pour ses films, mais plutôt de la compréhension profonde de sa vie et de sa carrière que j’ai tirée de mes recherches. L’empathie n’a fait que grandir, comme mon admiration, au fil de mon travail.

Hitchcock est-il compatible avec l’ère post #metoo ?
Je défends l’idée que les femmes chez Hitchcock sont le plus souvent les personnages intelligents, courageux, voire intrépides de ses histoires. Elles comprennent souvent la situation avant le héros, toujours avant la police. Certaines meurent de façon dramatique, mais, dans le décompte total des victimes, il y a beaucoup plus d’hommes. Regardez le dénouement de L’Homme qui en savait trop, celui de 1934, il y a beaucoup de morts, dont des policiers, et la personne qui met fin au massacre est une femme qui sait se servir d’une arme.

Alfred Hitchcock et sa femme Alma Reville dans les années 60.

Alfred Hitchcock et sa femme Alma Reville dans les années 60. SP

C’est vrai que Hitchcock avait un regard de voyeur et aimer déshabiller les femmes dans ses films. Ce n’est pas si inhabituel dans le cinéma, ni dans l’histoire de l’art. Mais dans ses films, les femmes sont belles, et son regard est amoureux autant que voyeur. Depuis les accusations de Tippi Hedren – qui ne sont que des accusations – certains spectateurs ont un regard biaisé sur quelques-uns des films d’Hitchcock, sans connaître les autres longs métrages qui contrediraient cette image négative du cinéaste. La légende est tenace, mais je me suis beaucoup documenté sur ses relations avec les femmes – y compris sa femme et sa fille, et je vous mets au défi de citer un autre cinéaste ayant eu une famille si aimante et si soudée. Parmi ses nombreuses collaboratrices – actrices et scénaristes, notamment – beaucoup l’aimaient, aimaient travailler avec lui et n’avaient à se plaindre que de quelques blagues et de son humour « cockney », qui faisaient partie du personnage.

Quel est votre film d’Hitchcock préféré ?
Je n’en ai jamais eu – ni aujourd’hui, ni avant de commencer ce livre. J’ai tendance à adopter son point de vue, et à aimer moins ceux qu’il aimait moins, ou trouvait moins aboutis. C’est le cas de Rebecca, bien que le film ait remporté un oscar et  soit encore très populaire, et de La Loi du silence. Il préférait d’autres films, souvent parce que leur fabrication avait été plaisante, ou sans drame. Il y a des films qui nécessitent une certaine humeur pour les apprécier, comme Vertigo. D’autres, comme Fenêtre sur cour ou La Mort aux trousses, me plaisent à tous les coups. J’ai tendance à avoir un faible pour les moins connus comme Jeune et innocent, Cinquième colonne ou Lifeboat – je montre toujours ce dernier à mes étudiants en cinéma, parce que j’aime le revoir et que c’est un modèle de mise en scène.

Tallulah Bankhead, héroïne brune de Lifeboat, film méconnu de Alfred Hitchcock, 1943.

Tallulah Bankhead, héroïne brune de Lifeboat, film méconnu de Alfred Hitchcock, 1943. 20th Century Fox

Lifeboat est sous-estimé, comme Correspondant 17 – les deux peuvent être vus en double programme : la fin de Correspondant 17 mène au début de Lifeboat. L’un est un grand spectacle, l’autre se déroule entièrement sur un petit bateau. Les deux sont ambitieux, bourrés d’humour noir, politiques et d’actualité, pour l’époque, avec de grandes performances d’acteurs. Les cinéastes revoient toujours la fin de Correspondant 17 pour préparer leur scène de crash d’avion – on ne peut pas surpasser Hitchcock. Et Tallulah Bankhead rappelle que la femme hitchcockienne, souvent forte et intrépide, n’était pas toujours blonde.

À LIRE

Alfred Hitchcock : Une vie d'ombres et de lumière, de Patrick McGilligan, Editions Actes Sud / Institut Lumière.

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