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Syrie : la grande peur des Kurdes, abandonnés en terrain hostile

Soutenues par la coalition internationale, les forces kurdes ont construit un territoire qui, sans l’appui américain, pourrait s’effondrer.

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Publié le 20 décembre 2018 à 17h25

Temps de Lecture 4 min.

Des forces américaines et turques dans une patrouille commune, à Manbij, en Syrie, le 1er novembre.

Pour les forces kurdes de Syrie qui ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre l’organisation Etat islamique (EI), la perspective d’un retrait total des forces américaines présentes sur leur territoire relève du risque existentiel. Sans la protection de leurs parrains extérieurs, les Kurdes se retrouveraient seuls face à un environnement hostile. Au nord, l’ennemi historique turc. Au sud, le régime syrien soutenu par Moscou et Téhéran, déterminé à reprendre le contrôle de l’ensemble du pays après huit ans de guerre.

« Nous sommes stupéfaits », résume un haut responsable de l’encadrement politique kurde de passage en Europe, Hassan Mohammed. « Il y a quelques jours encore, nous recevions en Syrie des responsables américains qui nous assuraient que leurs forces militaires et leur personnel diplomatique allaient rester sur le long terme », a-t-il indiqué au Monde, citant notamment des prises de position de James Jeffrey, le représentant spécial des Etats-Unis pour la Syrie.

« Humiliation »

Corroborant le récit d’ONG, M. Mohammed a ajouté que les personnels civils américains sur place ont indiqué à leurs partenaires locaux qu’ils quitteraient la Syrie dès jeudi. La reconstruction des infrastructures dont ont cruellement besoin les populations du nord-est de la Syrie pourrait être laissée en plan, de même qu’une coopération militaire lancée avec succès il y a plus de quatre ans. « C’est extrêmement humiliant pour les militaires déployés sur place qui sont sommés d’abandonner leurs alliés et de laisser derrière eux un potentiel gouffre sécuritaire. Il y a un côté Saïgon 1975… », relève un observateur proche du dossier.

« Si les Américains se retirent aussi brutalement, ils vont créer un vide dont vont profiter des acteurs extérieurs », Hassan Mohammed, cadre politique kurde

Nouée lors du siège de Kobané à l’automne 2014, l’alliance entre la coalition internationale anti-EI emmenée par Washington et les forces kurdes avait pourtant porté ses fruits. Après avoir brisé le siège de la petite ville kurde, la coordination entre les bombardements coalisés et l’efficacité des troupes locales kurdes et arabes a permis de chasser l’EI de la majeure partie de la frontière syro-turque. Cette campagne bientôt soutenue par un nombre croissant de troupes au sol américaines, et en moindre mesure françaises et britanniques, a permis la reprise de Rakka, la capitale du « califat », fin 2017, avant de réduire les dernières poches djihadistes vers le sud et la frontière irakienne.

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Cette politique a créé un Etat de fait aux implications géopolitiques majeures avec la mise en place d’un vaste territoire, riche en ressources et sous influence occidentale sur la rive gauche de l’Euphrate, un levier potentiellement majeur pour toute solution politique au conflit. Les Américains ont fait tampon entre l’hostilité turque et leurs alliés kurdes, perçus par Ankara comme liés aux rebelles du PKK qu’elle combat sur son territoire. Les institutions mises en place par l’encadrement politique kurde, en se liant avec des tribus arabes grâce au soutien américain, pourraient s’effondrer comme un château de cartes. « Si les Américains se retirent aussi brutalement, ils vont créer un vide dont vont profiter des acteurs extérieurs », redoute Hassan Mohammed. 

Voie étroite

Deux scénarios se dessinent. « La Turquie d’un côté et le régime syrien adossé à Téhéran de l’autre mènent depuis des mois des opérations clandestines de déstabilisation dans notre région, notamment auprès des populations arabes », révèle M. Mohammed, confirmant de récents rapports. « Si les forces américaines se retirent, ils pourront passer à l’échelle supérieure. » L’encadrement kurde redoute de voir son territoire pris en étau entre une opération menée à sa frontière nord par la Turquie et ses milices supplétives syriennes déjà massées le long de la ligne de démarcation et par le régime, son allié iranien et des milices pro-Téhéran dont les positions renforcées s’égrènent, au sud, le long de l’Euphrate.

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L’autre solution est politique. « Nous pouvons œuvrer à un accord avec Damas pour éviter la guerre mais nous ne voulons pas du statu quo ante. Or, le régime peut profiter de notre situation pour tenter d’imposer des conditions inacceptables », indique Hassan Mohammed. Pour une source avertie, la voie est étroite :

« La seule marge de négociation qui semble exister porte sur le tempo que prendra le retrait. La question est de savoir si les militaires américains et les autres pays de la coalition qui ne veulent pas de ce retrait ont les moyens de faire traîner le processus pour donner le temps aux Kurdes d’éviter une guerre. »

« Ce que nous risquons, c’est le chaos. Le chaos profitera à un retour de Daech et la coalition perdra les acquis de ces années de lutte », estime Hassan Mohammed. De fait des cellules djihadistes clandestines n’attendent qu’un bouleversement du rapport de force pour être activées. Celles-ci pourraient de nouveau menacer les pays européens par des attentats, souligne le responsable kurde. Un effondrement de la région est aussi susceptible d’accroître le risque de dissémination des djihadistes étrangers, dont des Français, détenus par les forces à dominante kurde dans le nord-est de la Syrie.

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