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Nurcan Baysal : "En Turquie, depuis la tentative de coup d’Etat, tout a empiré"

Nurcan Baysal
Nurcan Baysal. © Olivier Papegnies
Interview Kahina Sekkai , Mis à jour le

Défenseure kurde des droits humains, Nurcan Baysal est une activiste de terrain, éditorialiste en Turquie depuis six ans. Arrêtée cette année pour avoir dénoncé l'offensive turque à Afrine, elle revient pour Paris Match sur la situation des Kurdes dans le pays, profondément marqué par la tentative de coup d'Etat de juillet 2016.

Paris Match. Depuis le mois d'octobre, Recep Tayyip Erdogan appelle à ce que toute la vérité soit faite sur le meurtre de Jamal Khashoggi , commis dans le consulat saoudien à Istanbul. Vous qui êtes une activiste dénonçant les violations des droits humains, notamment les atteintes à la liberté de la presse, comment voyez-vous cette détermination du président turc ?
Nurcan Baysal. Il y a beaucoup de journalistes emprisonnés en Turquie, qui est un des plus grands geôliers de journalistes au monde. Nous avons plus de 150 journalistes emprisonnés en Turquie, certains depuis deux, trois ans, mais ils n’ont pas été condamnés. La moitié d’entre eux sont des journalistes kurdes.
C’est difficile d’être journaliste en Turquie, mais c’est encore pire d’être un journaliste kurde, surtout depuis deux ans et demi et la tentative de coup d’Etat. Beaucoup de médias ont été fermés, dont la quasi-totalité des médias kurdes. Même la chaîne kurde pour enfants a été fermée. La plupart des ONG kurdes ont également été visées. Cent cinquante mille personnes ont été renvoyées de leurs emplois, sans compter ceux qui ont été emprisonnés sans raison, qui attendent encore leur procès. 

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Avez-vous vu une évolution de la situation dernièrement au Kurdistan?
Depuis trois ans, la situation s’est durcie, les affrontements entre le PKK et les forces turques aussi. Pour la première fois en 40 ans, ces combats ont touché les villes, et non seulement les régions montagneuses. L’Etat turc a déclaré des couvre-feux militaires, qui durent des années. Pendant cette période, il y a des opérations militaires, des bombardements chaque jour. Les gens sont bloqués chez eux sans nourriture ni eau. Ils ne peuvent même pas enterrer les corps de leurs enfants.
Depuis la tentative de coup d’Etat de l’armée, tout a empiré. Des milliers d’enseignants kurdes qui travaillaient dans des écoles kurdes ont été renvoyés, comme les médecins renvoyés des hôpitaux, accusés de soutenir «les terroristes». C’est devenu le terme le plus utilisé dans le pays pour toute personne critiquant le gouvernement.
J’ai été arrêtée cette année pour avoir publié cinq tweets sur l’offensive sur Afrine : j’avais noté que l’opération «Branche d’olivier» n’avait rien avoir avec la paix mais que les bombes étaient réelles et tuaient des enfants. Ils ont forcé ma porte, m’ont arrêtée devant mes deux enfants et m’ont emprisonnée. J’ai fini par être remise en liberté mais, dans les médias, j’étais présentée comme une terroriste. Je n’ai fait que demander la paix. 

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"C’est non seulement la culture kurde, mais le multiculturalisme qui est visé"

Comment est perçue cette répression envers les Kurdes par la société turque ?
Malgré toutes les opérations et les couvre-feux, la presse turque ne parle pas de ce qui se passe dans la région kurde. Ils ferment complètement les yeux, même si des cadavres jonchent le sol. Les institutions internationales aussi.
Depuis la tentative de coup d’Etat, l’oppression est forte, toute la société turque est aussi sous pression, mais à un niveau différent de la société kurde. 

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A voir : A Kobané, le martyre des Kurdes

Quel est l’impact du conflit syrien dans cette répression ?
Il est fort. Une des raisons de l’échec du processus de paix en Syrie est la volonté des Kurdes syriens de vouloir contrôler leurs propres terres de Rojava, ce que la Turquie voit comme une grosse menace. Je pense qu’être kurde est un péché impardonnable aux yeux de l’Etat turc, qu’il a toujours détesté et craint le peuple kurde.
L’an dernier, j’ai été poursuivie pour avoir employé le mot «Kurdistan». Même les chanteurs qui utilisaient la langue kurde ont été emprisonnés, comme les professeurs qui utilisaient des signes culturels kurdes.
Les maires ont été remplacés par des mandataires de l’Etat, qui ont même fait remplacer les panneaux de signalisation. Avant, ils étaient écrits en trois langues : en turc, en kurde et en arménien. Mais les deux dernières langues ont été retirées, au profit d’une nation, une langue, une religion. C’est non seulement la culture kurde, mais le multiculturalisme qui est visé.
Nous avons tant perdu en trois ans, aussi pour l’égalité des genres. Avant, nous avions des départements spécialisés dans l’égalité des genres, mais ils ont disparu. 

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Avez-vous espoir que ce que vous avez perdu ces trois dernières années puisse être sauvé ?
J’ai de l’espoir mais sur le long terme. Si cette autocratie prend fin, la Turquie pourra revenir à ce qu’elle était avant. Pas vraiment une démocratie, mais au moins nous avions des cours de justice, des lois. Quand nous étions arrêtés, nous avions pourquoi. Maintenant, vous pouvez passer un an en prison sans être mis en examen.
La liberté est comme une rivière, elle s’écoule, parfois fort mais parfois en silence. Elle ne s’écoule pas fortement en ce moment à cause d’un trop plein d’oppression. Dès que deux, trois personnes se rassemblent, elles peuvent être arrêtées
C’est une période sombre, mais nous avons encore des gens qui luttent pour montrer leur solidarité avec le peuple.
Il y a encore des courageux qui osent s’élever. Je suis fière d’en faire partie, cela me donne de l’énergie. Il serait bon de s’allier entre défenseurs de différents pays, j’ai en partie été libérée grâce à la solidarité internationale. 

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