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« Erdogan est le grand vainqueur du retrait des troupes américaines en Syrie »

«En se retirant, le Président Trump prend certainement le pari de ramener la Turquie dans son propre camp», analyse Hadrien Desuin. ADEM ALTAN/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Hadrien Desuin rappelle que le retrait des troupes américaines de Syrie était une promesse de campagne de Donald Trump. Il estime que le grand gagnant de cette décision reste Erdogan, qui poursuit sa stratégie de conquête territoriale.


Spécialiste des questions internationales et de défense, Hadrien Desuin est essayiste. Il a publié La France atlantiste ou le naufrage de la diplomatie (éd. du Cerf, 2017).


Donald Trump aime surprendre mais en l'occurrence, il surprend plutôt par sa constance. Depuis sa campagne présidentielle, il souhaite retirer les troupes de Syrie tandis que son administration, et en particulier le Pentagone, le supplie de les laisser, de peur que l'Iran n'en profite. Quant à la démission de Jim Mattis, elle avait été annoncée avant même les élections de mi-mandat, en octobre. Ne feignons pas l'étonnement.

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Il faut se résoudre à faire ce que les Américains n'aiment pas faire : de la diplomatie.

À part quelques néoconservateurs, aussi bellicistes qu'irréalistes, qui peut souhaiter que l'armée américaine se laisse entraîner dans une guérilla dont les modes d'action sont favorables aux terroristes islamistes de Daech? La volonté de fusionner les Kurdes et les Arabes dans une grande alliance n'a pas résisté à l'épreuve du temps. Faut-il répéter en Syrie ce qui a été fait en Afghanistan et en Irak ces dernières années? Les leçons du Vietnam n'ont-elles pas suffi? Le prestige des États-Unis souffrirait encore davantage d'un nouvel enlisement moyen-oriental. L'opinion publique américaine ne supporte pas que ses impôts partent en fumée et il faut savoir terminer une guerre. Mais pour cela, il faut se résoudre à faire ce que les Américains n'aiment pas faire: de la diplomatie dans une région qu'ils ne comprennent pas. Il est évident que pour régler définitivement le problème syrien, il aurait été intéressant de réunir à Washington les grands acteurs de cette guerre de 7 ans: la Russie, la Turquie, l'Iran, les pays du Golfe, les Kurdes et naturellement le gouvernement syrien. Mais le dogmatisme a tué les relations internationales. On ne parle plus que de sanctions, de démocratie et de frappes. Ce n'est pas la meilleure méthode pour bâtir la paix dans une région aussi émiettée que passionnée.

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Le retrait des troupes américaines du sol syrien et donc la démission du secrétaire à la Défense Jim Mattis peuvent naturellement susciter des inquiétudes. Daech pourrait reconstituer ses forces puisque les Kurdes, menacés par les Turcs, vont concentrer leurs moyens dans leurs bastions montagneux du nord. Dans ce contexte, il faut souhaiter que l'armée syrienne comble le vide et reprenne, si possible avec le consentement des Kurdes, la vallée de l'Euphrate et la partie sud-est du pays. Il lui reviendra ensuite de broyer les derniers restes de l'État islamique.

Le dogmatisme a tué les relations internationales.

En se retirant, le Président Trump prend certainement le pari de ramener la Turquie dans son propre camp. En échange d'un bout de Syrie, il pense pouvoir casser l'alliance turque avec la Russie et l'Iran. Erdogan, grand vainqueur de cette séquence syrienne, joue à merveille de sa position centrale entre les États-Unis et la Russie, entre l'Iran et l'Arabie Saoudite. Après la libération du pasteur Brunson et l'exploitation du feuilleton criminel Khashoggi, il a pu se réconcilier avec Trump sur le dos des Saoudiens. Mais il va continuer à jouer sa propre partition: l'islamo-nationalisme turc.

Les Kurdes sont, comme prévu, les dindons de la guerre contre Daech. L'armée turque, membre de l'OTAN, va les massacrer comme elle l'a déjà fait à Afrine avec l'aide de ses milices djihadistes. Et on ne voit pas qui pourrait les en empêcher puisque l'Amérique tient tant à les garder dans l'alliance atlantique. Sous prétexte de défendre les Arabes contre les Kurdes, Erdogan agrandit son pré carré, profitant de la faiblesse de Bachar Al-Assad et des autres nations arabes. Abusant de sa position dans l'alliance atlantique, il poursuit une véritable stratégie de conquête du nord de la Syrie. Au nom de sa sécurité, il pourrait à terme annexer son butin de guerre.

On pensait approcher de l'épilogue mais nous n'avons pas fini de payer nos erreurs en Syrie.

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27 commentaires
  • Profil974

    le

    Trump a peut-être raison de se désengager en laissant la Turquie encore plus dominante dans la région et devenir un allié encore plus fort avec les USA faisant même hésiter Erdogan quant à son rapprochement récent avec Poutine Il restera comme dominants au niveau régional : la Turquie, l’Iran, Israël, et les petromonarchies (encore que ces dernières sont plutôt fâchées entre elles)
    Je pense que les USA ont une autre vision géopolitique plus axée vers l’extrême orient : la mer de Chine Quant à la Turquie ainsi renforcée elle continuera son rapprochement avec les territoires turcophones d’Asie centrale sous surveillance américaine et imposera ses vues à l’UE; l’UE dont la France qui ne devient plus que spectatrice, docile et soumise

  • Profil974

    le

    Erdogan a les clefs en main
    En disant soit vous partez, soit je continue à me rapprocher de la Russie et fait partie de l’OCS et je me détache de l’OTAN
    Qu’est ce qu’un peu de kurdes tués par rapport a la géopolitique et aux intérêts des états Oui la Turquie est le grand vainqueur...pour l’instant et peut même imposer ses points de vue à l’Europe

  • TIESSE DI HOYE

    le

    Analyse détaillée, argumentée, équilibrée, ce monsieur n'a aucune chance d'arriver au quai d'Orsay.

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