C’est un film muet de quelques secondes, vingt-neuf très exactement. Une pellicule nitrate datant de 1898. Elle se cachait parmi le lot de films muets qu’avait amassés un collectionneur de Louisiane. Elle montre un couple en train de s’embrasser. “Something Good – Negro Kiss [‘Quelque chose de bon. Baiser nègre’] a été authentifié comme étant la première représentation cinématographique d’une scène de tendresse entre deux personnes noires”, nous apprend le site Hyperallergic.

Allyson Nadia Field, une experte en cinéma africain-américain qui travaille à l’université de Chicago, a réussi à dater le film ainsi qu’à en identifier le réalisateur (William Selig, un des tout premiers producteurs de cinéma et ancien artiste de variétés) et ses acteurs (Saint Suttle et Gertie Brown). La scène aurait été tournée dans la région de Chicago, détail qui n’est guère surprenant : à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, avant que l’industrie du septième art ne mette le cap vers le ciel plus clément de la Californie, la ville de l’Illinois était une capitale du cinéma. C’est là, entre autres, que Charlie Chaplin tournera les premières aventures de Charlot en 1915.

Un contrepoint au sinistre “blackface”

Comme le relève Hyperallergic, Something Good semble être le pendant à A Kiss (“Un baiser”), un film muet produit par Thomas Edison en 1896 et qui reste dans les annales comme le premier baiser filmé de l’histoire du cinéma. Un baiser échangé entre deux acteurs blancs qui avait été censuré lors de sa sortie, vilipendé par les ligues de vertu. Le film de William Selig fait plus que renouveler la provocation. Pour les spécialistes, il apparaît comme un pied de nez au racisme qui imprégnait les minstrel shows, les spectacles de variétés alors en vogue. Ceux-ci, qu’ils mettent en scène des comédiens blancs grimés en Noirs (blackface) ou des comédiens noirs, livraient tous la même caricature, celle de Noirs stupides et ignorants, tout juste bons pour danser et jouer de la musique.

Rien de tel dans Something Good. Comme le souligne Allyson Nadia Field, selon des propos rapportés par le site d’information :

“Ce film nous aide à regarder d’un œil plus critique la question raciale et la distribution des rôles aux premiers temps du cinéma. Il n’efface pas toutes les caricatures racistes de l’époque, mais il nous montre que la situation était plus complexe qu’escomptée.”

Le 12 décembre, la bibliothèque du Congrès a annoncé que Something Good figurerait désormais dans le National Film Registry, un ensemble de films distingués pour leur importance culturelle, historique ou esthétique. Un honneur que le film partage avec des œuvres comme Cendrillon de Walt Disney ou Le Secret de Brokeback Mountain d’Ang Lee.