L'investigation : un moyen pour les médias de regagner la confiance ?

De droite à gauche : Fabrice Arfi (Mediapart), Luc Bronner (Le Monde), Jacques Monin (Cellule investigation de Radio France), Élise Lucet (France Télévisions) et Jacques Trentesaux (Mediacités). ©Radio France - Martin Broyer
De droite à gauche : Fabrice Arfi (Mediapart), Luc Bronner (Le Monde), Jacques Monin (Cellule investigation de Radio France), Élise Lucet (France Télévisions) et Jacques Trentesaux (Mediacités). ©Radio France - Martin Broyer
De droite à gauche : Fabrice Arfi (Mediapart), Luc Bronner (Le Monde), Jacques Monin (Cellule investigation de Radio France), Élise Lucet (France Télévisions) et Jacques Trentesaux (Mediacités). ©Radio France - Martin Broyer
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Méfiance envers les journalistes et haine des médias, fausses informations sur les réseaux sociaux, premiers effets de la loi sur le secrets des affaires... Secrets d'info ouvre le débat sur l'avenir et le rôle du journalisme d'investigation.

Avec

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  • Élise Lucet, journaliste à France Télévisions, présentatrice et rédactrice en chef de Cash Investigation et d’ Envoyé Spécial, 
  • Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, co-responsable du pôle enquête
  • Luc Bronner, directeur de la rédaction du journal Le Monde
  • Jacques Trentesaux, directeur de la publication de Mediacités

D'où vient la méfiance qui semble s'installer entre les journalistes et une partie des citoyens, et comment y remédier ? 

Pour Élise Lucet, "la connivence supposée [entre les journalistes et le pouvoir] et le manque de proximité avec les gens 'invisibles'" est à l'origine de ce ressentiment. Pour la journaliste, même si certaines émissions d'informations donnent la parole à une France que l'on ne voit pas, "le sentiment existe de ne pas être écouté et de ne pas être représenté".

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D'après Jacques Trentesaux, "il y a une méconnaissance crasse du travail des journalistes, et cela vient nourrir le scepticisme et la défiance". Pour regagner la confiance, le directeur de Mediacités invite la profession "à travailler autrement, avec le public, en expliquant mieux le fonctionnement des rédactions, comment on choisit un sujet, comment on le travaille, etc.".

Le directeur de la rédaction du journal Le Monde, Luc Bronner estime qu'une partie du traitement de l'information pose problème. "Il y a un jeu, notamment sur les chaines d'information en continue, de polémiques à la demi-journée, de résumés de l'actualité en quelques caractères. J'ai arrêté de regarder ces chaines, cela ne sert à rien, il n'y a pas de densité d'information, on est généralement sur la recherche de spectaculaire à très court terme. Cela n'a juste aucun intérêt."

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Réseaux sociaux et fausses informations : la vérité devient-elle une opinion comme une autre ?

Pour Fabrice Arfi, journaliste à Mediapart, si la question de la connivence s'exprime avec plus d'acuité aujourd'hui_, "c'est parce qu'il y a une horizontalité de la prise de parole, notamment grâce au numérique, qui permet une amplification de cette colère et de cette inquiétude. Le spectacle de l'opinion a pris le pas sur le régime des faits. La frontière entre le vrai et le faux s'efface. La vérité devient une opinion comme une autre."_

Pour Jacques Trentesaux, sur les réseaux sociaux, l'information fait face à des bulles de filtres, "qui vous renvoient à vos convictions", et aux fausses informations "qui sont beaucoup plus virales que les informations sorties par des journalistes. Dans un cas sur deux, une personne qui partage une information sur les réseaux sociaux ignore sa source".

Secrets d'info ouvre le débat sur l'avenir et le rôle du journalisme d'investigation.
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© Radio France - Martin Broyer

Le travail de la presse n'est-il pas en train de préférer décrypter les fausses informations plutôt que traiter du réel ?

"Il faut mener de front ces deux batailles" explique Luc Bronner. "Il y a une sorte de communautarisation de l'information. On s'informe entre soi, on partage les informations que l'on a envie de croire, et on ne regarde pas le reste. Il y a une irresponsabilité des plateformes, qui considèrent que leur modèle économique ne doit pas les emmener à réguler cela." Pour le directeur de la rédaction du journal Le Monde, il ne faut pas surtout pas lâcher l'investigation. "On doit assumer notre fonction de contre-pouvoirs" (politique et économique).

Fabrice Arfi ajoute que "les réseaux sociaux sont des accélérateurs fabuleusement inquiétants, sur le complotisme, la haine, le déchaînement des passions tristes, l'émotion. Le propre du journalisme, c'est la hiérarchie de l'information. Les réseaux sociaux effacent la surprise de l’événement."

Au sommet du pouvoir, la presse est ciblée

Des États-Unis à la France, un certain nombre de leaders politiques ont appelé en 2018 à la haine des journalistes. "C'est devenu un argument politique de dire que les journalistes ne font pas leur boulot et ne reflètent pas le monde réel, déplore Élise Lucet. C'est inexcusable, car ils savent très bien qu'ils sont en train de monter les citoyens contre les médias."

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Pour Luc Bronner, l'inquiétude est venue durant l'affaire Benalla. "Emmanuel Macron prononce un discours assez grave en plein cœur de cette affaire. Quand il dit 'qu'ils viennent me chercher', on voit que cette phrase a une répercussion politique durable. Il s'en est aussi pris à tous les contre-pouvoirs, judiciaires, parlementaires et médiatiques, en reprenant des rumeurs. Mais cette décision politique s'est retournée contre lui, et il est aujourd'hui en grande difficulté, car il a choisi de s'opposer à ces contre-pouvoirs."

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Jean-Luc Mélenchon, lui aussi a  appelé à la haine des médias. "Les politiques sont les premiers responsables de la délégitimation du journalisme, affirme Fabrice Arfi. Le président de la République lui-même vient légitimer la haine du journalisme et des journalistes en prononçant la phrase 'Nous avons une presse qui ne cherche plus la vérité'."

Premier bilan inquiétant de la loi sur le secret des affaires

Adoptée en juin 2018, cette loi fait déjà ses premiers effets. Ce texte, qui transpose une directive européenne sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales, est vivement critiqué comme attentatoire à la liberté d'informer. Ces craintes se sont vérifiées lors des révélations sur les Implant Files  et dans le cadre du dossier du Levothyrox. Dans les deux cas, ce sont des organismes publics (Commission d'Accès aux Documents Administratifs et ANSM) qui ont refusé de communiquer des informations ou communiqué des informations partielles au nom du secret des affaires.

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"C'est encore plus grave que ce que l'on pouvait craindre, déplore le directeur de la rédaction du journal Le Monde, Luc Bronner. Cette loi a des conséquences sur des missions de service public. Le secret des affaires vise à nous empêcher, nous médias, de sortir une partie des informations notamment dans le domaine économique et de la santé."

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"Ce qu'on avait annoncé se produit, confirme Fabrice Arfi, de Mediapart. Et cela fait des victimes. Les victimes de cette loi sont des patients, ce sont des gens qui ont un problème de santé. On leur enlève ce qui leur appartient, c'est-à-dire l'information."

Le journalisme d'investigation doit-il se mondialiser pour exister ?

L' ICIJ (International Consortium of Investigative Journalists) et l' EIC (European investigative collaborations) sont quelques exemples de consortiums internationaux qui regroupent des journalistes travaillant sur le même sujet. Est-ce l'avenir de la profession ?

"Cela permet de créer une intelligence collective, se rejouit Fabrice Arfi. Il faut que les médias mutualisent leur travail pour faire face à des problématiques mondiales, comme la fraude fiscale ou la corruption par exemple. Quand des dizaines de grands médias internationaux décident de faire leur Une sur le même sujet, cela permet de reprendre la main sur le récit."

Le data journalisme, c'est-à-dire d'analyse de données, est aussi en plein essor. Une pratique dont s'emparent aussi les citoyens. Élise Lucet, à travers l'exemple de la plateforme Bellingcat, y voit "la possibilité de faire émerger de manière plus large de nouvelles pratiques et une vérité plus réelle avec plein d'outils différents".

Le 1er octobre 2018, le site d'investigation local Mediacités a lancé une plateforme locale qui permet aux lanceurs d'alerte de s'exprimer en toute sécurité. "Une cinquantaine de témoignages nous sont déjà parvenus, explique Jacques Trentesaux. C'est une base de départ solide. Il y a au niveau local en enjeu majeur de faire remonter des informations qui pour le public sont très importantes parce qu'elles concernent leur ville. La proximité permet de regagner la confiance".

Pour aller plus loin

  • Forbidden Stories, un réseau de journalistes qui s'engagent à reprendre et publier le travail de confrères qui sont menacés, emprisonnés ou ont été assassinés.
  • Disclose, premier média à but non lucratif, dont la cellule investigation de Radio France est partenaire.
  • Lanceur d’enquêtes, la plateforme d’alertes locales sécurisée de Mediacités
  • ICIJ, consortium international de journalistes d'investigation
  • EIC, consortium européen de journalistes d'investigation
  • Bellingcat, plateforme de journalisme citoyen, à l'origine notamment de révélations sur l'affaire Skipal

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