Didier Deschamps : «L’idée de m’arrêter ne m’effleure pas l’esprit»

Equipe de France, Ballon d’Or, salaire, Gilets jaunes, avenir… Le sélectionneur de l’équipe de France a échangé pendant plus de deux heures avec la rédaction du Parisien - Aujourd’hui en France sur les sujets chauds de 2018.

 Paris, le 12 décembre 2018. Didier Deschamps, interrogé sur son avenir par la rédaction du Parisien - Aujourd’hui en France : « L’idée de m’arrêter ne m’effleure pas l’esprit. »
Paris, le 12 décembre 2018. Didier Deschamps, interrogé sur son avenir par la rédaction du Parisien - Aujourd’hui en France : « L’idée de m’arrêter ne m’effleure pas l’esprit. » LP/Olivier Lejeune

    Il est près de 13 heures, en ce deuxième mercredi de décembre, quand une voiture s'immobilise dans le parking de notre journal. Elégant dans un costume gris, Didier Deschamps, accompagné de son adjoint Guy Stéphan et du responsable de la communication des Bleus, descend du véhicule pour rejoindre une salle baignée de soleil, avec vue sur la Tour Eiffel. Très détendu et badin, le sélectionneur se prépare à passer plus de deux heures au cœur de notre rédaction.

    Au préalable, il a prévenu qu'il n'évoquerait pas, ou très peu, des sujets politiques, notamment celui sensible des Gilets jaunes. Pour le reste, en picorant un plateau-repas, il revient sur cette année 2018 exceptionnelle. Le double champion du monde aborde aussi sa vie dans le football et en dehors, dans un environnement normal avec lequel il reste en prise.

    A la fin de l'échange, il prend plusieurs minutes pour faire des photos et signer des autographes aux stagiaires du Parisien - Aujourd'hui en France présents durant cet entretien. Il démontre, au passage, son humour, acceptant même de parapher un t-shirt « la chatte à DD » en référence à sa supposée chance légendaire.

    L'HOMME PRIVÉ, SES LOISIRS, SON REGARD SUR LA SOCIÉTÉ

    Qu'allez-vous retenir de 2018 sur un plan professionnel, mais aussi plus personnel ?

    Sur le plan professionnel, la réponse n'est pas difficile. Il y a bien sûr ce titre mondial. Rien n'est plus grand, plus fort, plus beau. C'était le titre qu'il fallait gagner. Il va marquer cette nouvelle génération, ceux âgés de 5 à 25 ans et qui n'ont pas connu 1998. Ils ont pu vivre cet événement et partager cette émotion. Sur un plan privé, j'avais une vie normale avant. Je l'ai toujours même s'il y a des sollicitations plus importantes. Ma famille a la santé, tout va bien. Même si les gens autour de moi subissent, en bien ou en mal, les conséquences de mon activité professionnelle.

    Nous sommes en pleine période de Noël. Prenez-vous le temps de faire vous-même vos cadeaux ?

    J'aime bien faire des cadeaux. Je préfère en faire qu'en recevoir. J'ai plus de plaisir à faire plaisir. J'ai un garçon qui a 22 ans. Le Père Noël, il y a longtemps qu'il n'y croit plus.

    Vous autorisez-vous quelques folies ?

    Je ne fais pas trop de folies. Ça vient certainement de mon éducation, je connais la valeur des choses. Ce n'est pas parce que j'ai le privilège de pouvoir m'offrir ce que je veux que je vais acheter pour acheter. C'est très dur de me faire un cadeau, car je n'ai pas de désir particulier. Peut-être une bonne bouteille de vin, mais avec modération. La dernière folie que j'ai dû faire, elle remonte à bien longtemps. Dans ma première vie, certainement, pour une voiture. J'ai été joueur moi aussi…

    Quel est votre salaire ?

    Je ne vous le dirai pas. Parce que c'est indécent. C'est impossible de parler de ça. J'ai conscience depuis de nombreuses années que je suis un privilégié. Je n'ai pas honte, bien au contraire. Je pourrais argumenter, mais M. et Mme Tout le monde ne peuvent pas entendre ça, parce qu'ils sont dans la difficulté. Je ne suis pas là pour faire mal ou pour choquer. J'ai pris une position : tant que je suis dans le sport, je ne donnerai aucun avis politique, social, ou quoi que ce soit. Je ne veux pas mélanger. J'estime avoir bien conscience de la réalité. Je connais le prix du smic, combien coûte une baguette, le prix d'un litre d'essence.

    Avez-vous discuté avec des Gilets jaunes ?

    J'en ai croisé, puisque je suis dans la vie normale, ils ont été très gentils. C'était juste un échange. Comme je l'ai dit, je ne m'exprime pas sur ces sujets. C'est ma position depuis que je suis joueur. J'ai mes idées, mes convictions, mais, par ce que je peux représenter et en étant dans cette sphère sportive, je ne les exprime pas publiquement.

    Chez vous, au quotidien, quel type de téléspectateur êtes-vous ?

    Je ne vais pas être original. Je regarde les matchs ! Il y en a beaucoup le soir et tous les jours à des heures différentes, en France et à l'étranger. C'est ce qui nous prend le plus de temps. Il faut plusieurs télés, des iPad. On suit parfois plusieurs matchs en même temps !

    Votre femme, Claude, regarde-t-elle les matchs avec vous ?

    Parfois oui, ou alors elle est sur une autre télé. Ma femme m'a accompagné depuis le départ, elle a fait sa vie en fonction de moi, de mes changements de clubs comme joueur puis comme entraîneur, nos déménagements. Alors, le foot, elle est complètement dedans. Mais elle me voit un peu plus en tant que sélectionneur qu'avant, ça me laisse la liberté d'avoir enfin une vraie vie de famille.

    Didier Deschamps célèbre la victoire des Bleus entouré de son épouse et de son fils le 15 juillet 2018./AFP/GABRIEL BOUYS
    Didier Deschamps célèbre la victoire des Bleus entouré de son épouse et de son fils le 15 juillet 2018./AFP/GABRIEL BOUYS LP/Olivier Lejeune

    Vous avez une série préférée ?

    Je n'aime pas trop les séries, quand ça ne se finit pas… Aurai-je le temps de regarder la suite ? Un film oui, mais je ne suis pas très cinéma. Je suis plutôt musique. J'écoute de tout, de la variété surtout, il y a des chaînes spécialisées depuis longtemps, et je fais du gainage en regardant des clips, ça m'occupe l'esprit (sourire).

    Y a-t-il un livre que vous avez aimé cette année ?

    « Choisir sa vie : 101 expériences pour saisir sa chance », de Tal Ben-Shahar, que j'avais emmené à la Coupe du monde. C'est de la psychologie positive, qui vous offre une vision, en vous mettant face à des exemples concrets sur des situations de vie.

    Et quand vous sortez, vous faites quoi ?

    J'aime aller au théâtre de temps en temps. J'ai vu une très bonne pièce récemment, « Le Temps qui reste » (NDLR : jusqu'au 12 janvier au théâtre de la Madeleine à Paris), une mise en scène de Philippe Lellouche, avec Christian Vadim. C'est l'histoire d'une femme qui vient de perdre son mari et qui revoit trois amis d'enfance. Et, en fait, c'est très très drôle. Je vous le conseille. Si vous voulez rigoler en continu, la dernière heure est formidable.

    Dans un « Face aux lecteurs » précédent, vous souhaitiez à Emmanuel Macron de réussir. C'est toujours le cas ?

    Bien sûr. Je formulais déjà le même vœu avec ses prédécesseurs et je ferai pareil avec celui qui viendra après. C'est important pour tout le monde, pour le pays, indépendamment de l'étiquette politique. Je raisonne pour le bien de la France et de tous les Français.

    LE RÔLE DU FOOTBALL, SON ÉVOLUTION

    Didier Deschamps face à la rédaction. /LP/Olivier Lejeune
    Didier Deschamps face à la rédaction. /LP/Olivier Lejeune LP/Olivier Lejeune

    Que reste-t-il vingt ans après le phénomène black-blanc-beur ?

    Ça, ce n'est rien, ce sont des récupérations, des étiquettes. Le sport et le football représentent la diversité du peuple français. C'est une richesse et une force. Moi, je sélectionne des joueurs qui sont tous français, avec des sensibilités, des origines, des cultures et des religions différentes. C'est une force et une richesse sur le plan humain. Cette équipe reflète ce qu'est notre société.

    Le football, plus que les autres sports, est-il un facteur d'intégration ?

    Oui, parce que, sans minimiser les autres, c'est le sport le plus populaire. Pour le foot, pas besoin d'argent. Il faut juste un ballon, et encore. Les jeunes, filles et garçons, ne deviendront pas tous des athlètes de haut niveau, mais c'est une formidable école de la vie. C'est pour ça que, dans le monde amateur, les bénévoles, les éducateurs, les dirigeants ont un rôle essentiel. On ne parle que de l'élite, mais ce sont eux, à la base, qui font comprendre le cadre de vie et de travail à des enfants de 5 ou 10 ans… A 20 ans, c'est trop tard pour les récupérer. Donc le football, oui, c'est quelque chose d'important en termes d'insertion.

    Que vous inspire la pratique du fichage ethnique longtemps en vigueur au PSG ?

    C'est inacceptable, c'est intolérable, je ne vais pas en dire plus, ça n'a pas sa place. Ce n'est pas quelque chose qui est audible aujourd'hui.

    Vos joueurs sont très présents sur les réseaux sociaux. Ça vous intéresse ces univers ?

    Non. Je n'y suis surtout pas. Il n'existe aucun compte officiel à mon nom. Des faux, sûrement… Les joueurs, je ne les surveille pas. Ils ont grandi avec les réseaux sociaux, c'est une liberté. Je ne me vois pas le leur interdire. L'important, c'est de cadrer. Qu'ils parlent d'eux, c'est leur problème. Mais qu'ils ne parlent pas de leurs partenaires, des adversaires et des arbitres.

    Ce que postent les joueurs sur les réseaux sociaux peut avoir un impact sur leur sélection ?

    Non, sinon il y en a beaucoup qui n'auraient jamais été sélectionnés ! Il n'y a rien de mal dans ce phénomène. Mais, parfois, pendant une compétition, dans un moment de repos, ils se prennent en photo à la piscine (Ndlr : lors du Mondial 2014). C'est totalement anodin mais, avant un match, les supporters peuvent s'interroger. Tout est commenté et interprété. Mais ce n'est pas ça qui va être un élément décisif dans mes choix.

    Juste après le titre mondial, vos joueurs ont énormément partagé d'images sur les réseaux. C'est très nouveau de pénétrer l'intimité du vestiaire…

    Vous savez ce que m'a dit Guy Stéphan ( NDLR : son adjoint présent à ses côtés )? En 2030, tout le monde sera dans le vestiaire. Des supporters y seront. Déjà, pendant la Coupe du monde, avec les partenariats, le marketing, le jour de la finale, il y a des gens qui ont eu le droit de prendre des photos à la descente du bus, parce qu'ils ont gagné je ne sais pas quoi avec je ne sais pas qui. Et même avant d'entrer sur le terrain. C'est comme ça, il faut s'y faire.

    Vous pouvez dire non ?

    Si on me demande mon avis, je peux dire non. Le président de la FFF décide en dernier lieu. Tout ce qui concerne le sportif, je fais en sorte de comprendre et, quand c'est cohérent, d'ouvrir un petit peu. La Fédération, comme toute entreprise, ce sont des budgets, le sponsoring représente 2/3 du budget. En contrepartie, ils veulent beaucoup de choses. On fait en sorte de les lisser tout au long de l'année.

    Didier Deschamps interrogé par la rédaction du Parisien./LP/Olivier Lejeune
    Didier Deschamps interrogé par la rédaction du Parisien./LP/Olivier Lejeune LP/Olivier Lejeune

    LA LIGUE 1, LE PSG

    Quel est votre regard sur la Ligue 1 ?

    Je la regarde. Surtout les affiches. A la Coupe du monde, 9 joueurs sur 23 évoluaient en Ligue 1.

    Il y en a plus qu'à votre époque ?

    Peut-être. Mais, aujourd'hui, il y a peu de clubs français capables de retenir un international en puissance, pour des raisons économiques. Vraiment très peu. Disons un et demi, avec Paris et Lyon qui peut encore.

    Et Marseille ?

    Oui, il y a trois Marseillais champions du monde, mais si l'OM avait dû venir chercher ces trois joueurs-là après le titre, je ne suis pas sûr qu'il aurait pu le faire. La réalité des clubs français, c'est qu'ils sont souvent obligés de vendre et le font d'ailleurs très bien. Les sommes sont astronomiques, mais ce n'est pas parce que l'on accumule 3, 4 ou 5 gros transferts sur le terrain que cela fait une bonne équipe.

    Et comment situez-vous la L1 par rapport aux autres championnats ?

    Elle fait partie des bons championnats européens mais, plus il y a d'équipes qui tirent vers le haut, mieux c'est.

    Vous sentez ce changement de regard sur la Ligue 1 avec Neymar ?

    Il donne une visibilité mondiale au championnat. Evidemment, le regard se concentre sur le PSG mais la L1 en profite.

    Comment jugez-vous le niveau de cette équipe ?

    Oh là là ! Je ne vais pas aller sur les plates-bandes de mon ami allemand (NDLR : Thomas Tuchel). Je n'aimerais pas qu'il juge l'équipe de France, je ne vais pas juger la sienne.

    Que vous inspire son parcours alors ?

    En Ligue 1, c'est plutôt facile pour eux. En Ligue des champions, 7 ou 8 équipes démarrent avec l'ambition de la remporter. Comme au Mondial. Ce n'est jamais l'année où tout le monde pense que l'on va s'imposer que c'est le cas. Je pense à Chelsea en 2012. Paris a le potentiel et la qualité pour aller au bout en tout cas. Je leur souhaite, pour eux et pour la Ligue 1.

    Est-ce que vous avez des contacts réguliers avec Thomas Tuchel ?

    A peine arrivé, j'ai eu l'occasion de discuter avec lui, Nous étions en stage à Clairefontaine, et il n'avait pas pu voir une partie de ses joueurs. Il m'a sollicité pour les rencontrer et je lui ai bien sûr laissé cette possibilité. J'ai eu l'occasion d'échanger sans y passer des heures non plus.

    LE MONDIAL 2018, LE BALLON D'OR

    Didier Deschamps porté en triomphe par ses joueurs le 15 juillet 2018. /REUTERS
    Didier Deschamps porté en triomphe par ses joueurs le 15 juillet 2018. /REUTERS LP/Olivier Lejeune

    Sans quels joueurs vous n'auriez pas pu gagner la Coupe du monde ?

    (Didier Deschamps marque une pause) Quelle question… Ils sont tous importants, même Adil Rami, le seul qui n'a pas joué une seconde avec Areola. C'est un groupe, mais il y a des joueurs qui sont plus décisifs. Evidemment, vous allez retenir les joueurs offensifs. Mais il ne faut pas que des architectes dans une équipe, il faut des bons maçons aussi. Il y a des architectes, des timides, des expressifs et d'autres qui parlent plus avec leurs pieds qu'avec la bouche.

    La France aurait-elle pu gagner le Mondial en jouant mieux avec plus de possession et sans attendre l'adversaire ?

    Là, je vais mordre (rires). Jouer mieux, c'est quoi ? Avez-vous suivi la Coupe du monde 2010 ? C'est l'Espagne qui a gagné. Ça vous a plu ? (NDLR : le journaliste répond par l'affirmative). Qu'est-ce qui vous a plu ? La possession, la circulation de balle, la maîtrise du jeu ? Mais combien l'Espagne a-t-elle marqué de buts ? Huit dans toute la compétition sur sept matchs et vous avez été enthousiasmé par la possession. Donc, nous on a été mauvais ou on aurait pu faire mieux alors qu'on a marqué quatorze buts durant la compétition, dont quatre en finale, ce qui n'était pas arrivé depuis 48 ans.

    Mais vous avez eu la plus faible possession d'une finale depuis quarante ans…

    Ah oui. Demandez aux Croates ce qu'ils en pensent… L'argumentation ne tient pas la route. Aujourd'hui, le haut niveau, c'est de l'efficacité défensive et offensive. La demi-finale (contre la Belgique, 1-0), on a beaucoup défendu et c'est là où l'on a eu le moins de possession, mais on n'a fait que six fautes et on a frappé deux fois plus au but que notre adversaire. Si la question est de savoir si notre équipe a été esthétique ? Moi, je réponds qu'on a été hyper efficaces et, comme dirait Guy (NDLR : Stéphan), chirurgicaux.

    Pour le trophée Fifa du meilleur joueur, vous avez hiérarchisé en plaçant Griezmann devant Varane et Mbappé. Pourquoi ?

    J'étais obligé, on m'a demandé de voter. Je n'ai pas pu mettre les trois à égalité.

    Pourquoi Antoine Griezmann devant les deux autres ?

    Je vais devoir argumenter, pas me justifier parce que je n'aime pas ça. Sincèrement, les trois pouvaient être à la première place. Mais on me dit de juger sur l'année sportive avec ce qu'ils ont aussi réalisé en club.

    Vous avez regretté que les trois soient devancés par Luka Modric pour le Ballon d'Or ?

    Il le mérite. Mais, c'est vrai, je suis déçu parce qu'on est champions du monde et que mes joueurs ont réalisé de grandes choses avec leur club… Cela m'aurait paru logique qu'un Français soit récompensé même si je perds un peu d'objectivité dans ce dossier.

    SON MÉTIER, L'AVENIR

    Le général de Villiers, l'ancien chef d'Etat-major des Armées, vient d'écrire un livre dans lequel il vous cite en exemple comme chef. C'est quoi un bon chef ?

    Je ne suis pas chef, je n'aime pas ce terme. Il n'y a qu'un chef, c'est le président (NDLR : de la FFF, Noël Le Graët). Moi, je suis responsable, manager. Je représente l'autorité. C'est moi qui fais les choix. Je ne suis pas là pour dire aux joueurs tout ce qu'ils ont envie d'entendre.

    Qu'est-ce qu'un bon manager alors ?

    Manager, entraîneur, ça me plaît plus que chef… Aujourd'hui, il faut de tout. Ce qui est essentiel avec la nouvelle génération, c'est cette fameuse connexion pour maintenir le dialogue. L'arrivée de ces nouvelles technologies n'est pas favorable à une communication naturelle. C'est beaucoup de virtuel.

    Animer le collectif est-il le challenge le plus difficile ?

    Ce n'est pas de l'animer, c'est déjà de choisir. C'est ma première grande décision. Choisir, c'est éliminer. J'ai fait des malheureux. Il y en a qui auraient mérité d'être à la Coupe du monde, je le reconnais, mais j'ai fait d'autres choix. On était 43, staff compris à être resté 55 jours ensemble, 24 heures sur 24. Au-delà des qualités footballistiques, il faut un minimum d'aptitudes sociales, même si je ne dis pas que ceux que je n'ai pas pris n'ont pas de qualités sur ce plan. Quand je choisis un groupe pour une grande compétition, je ne prends pas les 23 meilleurs. Je prends les 23 que je crois capables de vivre ensemble avec le même objectif : aller au bout. Le château se construit, mais ça peut vite s'écrouler.

    On dit que vous avez de la chance. L'expression « la chatte à Dédé » qui a fleuri lors du Mondial vous agace ?

    Je n'ai aucun problème avec ça. J'ai beaucoup d'humour et, d'ailleurs, j'ai fait quelques photos avec un animal qui caractérise cette chance-là (NDLR : il montre son portable en riant). La chance, quand elle se répète, c'est surtout beaucoup de travail. Et, moi, je crois surtout au destin. Parfois, il m'arrive d'avoir une conviction profonde que c'est le moment et c'est pour nous. En sélection, cette sérénité absolue, je l'ai eue deux fois en vingt ans.

    Vous vous voyez continuer jusqu'à quand ?

    L'idée de m'arrêter ne m'effleure même pas l'esprit. Comme joueur, j'ai arrêté l'équipe de France alors que je n'avais pas encore 32 ans. J'aurais voulu que jamais ça ne s'arrête, mais il faut savoir dire stop. Je suis bien au bord d'un terrain, j'en ai besoin pour mon équilibre. Je n'ai pas d'ambitions politiques ou quoi que ce soit.

    Il ne manque que la Ligue des champions à votre palmarès d'entraîneur. Ça vous fait rêver ?

    Je ne vais pas tout prendre non plus ! (rires) D'ailleurs, j'ai failli la gagner il y a 14 ans avec Monaco (NDLR : finale perdue face au FC Porto), mais la course aux records ne m'a jamais animé. J'ai l'ambition de gagner des titres. Ma tête est habituée à la haute compétition, et c'est pour cela que je suis épanoui : avec la sélection, j'ai les meilleurs joueurs, l'élite.

    En 2019, la France accueillera la Coupe du monde féminine. Auriez-vous pu entraîner des femmes ?

    Pour avoir discuté avec des hommes qui ont précédé Corinne (NDLR : Diacre) à ce poste, il y a quand même certaines spécificités qui limitent la fonction d'entraîneur. C'est comme d'aller dans des pays dont je ne parle pas la langue… Inconcevable pour moi.