Bahreïn : parce qu’il a dénoncé la torture, Nabil Rajab va rester en prison jusqu'en 2023

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Bahreïn : parce qu’il a dénoncé la torture, Nabil Rajab va rester en prison jusqu'en 2023

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Nabil Rajab, emprisonné à Bahreïn pour avoir dénoncé la torture en prison
Nabil Rajab, emprisonné à Bahreïn pour avoir dénoncé la torture en prison
© AFP - MOHAMMED AL-SHAIKH

La cour suprême de Bahreïn l'a confirmé ce lundi. L'opposant Nabil Rajab est condamné à cinq ans de prison pour avoir dénoncé la torture pratiquée dans les prisons de Bahreïn et les conséquences de la guerre au Yémen conduite par l'Arabie Saoudite. Retour sur notre rencontre avec cet activiste.

Février 2011, Manama, capitale de Bahreïn, est secouée par des manifestations. Ailleurs, le vent des Printemps arabes souffle sur la Tunisie, l’Égypte, le Yémen et la Syrie. 

À Bahreïn, les contestataires réclament plus de droits à la monarchie sunnite des Al Khalifa qui gouverne ce petit royaume à majorité chiite de 1,3 million d’habitants et accapare le pouvoir. Une grande partie de la population descend dans la rue pour réclamer une monarchie constitutionnelle. 

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Certains voient la main de l’Iran derrière les manifestations. L’allié saoudien n’entend pas laisser son voisin s’enfoncer dans la crise qui risquerait de se propager jusqu’au royaume wahhabite : il envoie alors des chars avec l’approbation du Conseil de coopération du Golfe pour aider le camp sunnite à reprendre le contrôle de son pays par la force. La communauté internationale se contente alors d’une condamnation timide comme celle des États-Unis (Bahreïn accueille le quartier général de la Cinquième flotte américaine).

"Les gens appelant à la démocratie ne sont pas des criminels"

Nabil Rajab est une figure incontournable pour tous les journalistes ayant couvert les événements de Bahreïn. Son CV en dit long sur son engagement : président du Centre bahreïnien pour les droits de l’Homme, directeur fondateur du Gulf Center for Human Rights, secrétaire général adjoint de la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH)

Nous avions rencontré Nabil Rajab en mars 2011 chez lui dans la banlieue de Manama. Il nous avait emmené au plus près des manifestants. Dans sa voiture, il nous disait : "Il n’y a pas de danger ici. Les gens protestent pour les droits de l’homme. Je suis en colère de voir le double jeu de l’Amérique, des Anglais, des Européens. Ils ont une certaine politique en Libye et une autre dans le Golfe".

Est-ce à cause du pétrole ? 

"Le respect des droits de l’Homme, c'est le respect des droits de l’Homme, que ce soit à Bahreïn, en Syrie ou en Iran. Je sais que le pétrole et d’autres intérêts sont importants. Mais les gens qui appellent à la démocratie ne sont pas des criminels, et ne devraient pas être accueillis par des tanks et des armes de guerre". 

"Des milliers de Bahreïniens en prison pour avoir critiqué le gouvernement"

Calme, posé, Nabil Rajab savait pourtant qu’il prenait des risques en se rendant sur les manifestations et qu’il pouvait à tout moment être arrêté par les forces de sécurité déployées en masse dans Manama, la capitale. "Ils peuvent nous attaquer aux barrages s’ils savent que nous sommes des activistes, surtout que je fais partie de leur liste noire… L'armée et la Garde Nationale sont ici"

Durant cette période, son domicile est attaqué. Il reçoit également de nombreuses menaces de mort. 

Un an plus tard, Nabil Rajab est arrêté. Il se voit infliger une peine de deux ans de prison. Il est remis en liberté en juin 2014 avant d’être de nouveau arrêté en octobre de la même année. Il fera un mois de détention provisoire. 

Nouvelle arrestation en avril 2015 : il passe quatre mois en prison. Il est libéré par décret royal pour raisons de santé. 

En juin 2016, il est une fois de plus appréhendé à son domicile puis condamné à deux ans de prison pour "diffusion de nouvelles fausses, allégations et rumeurs sur la situation interne du royaume, susceptibles d’entamer le prestige et le renom de celui-ci".  

Depuis sa cellule, il écrit une tribune publiée dans le Monde dans laquelle il dénonce la participation de son pays à l’intervention au Yémen.   

" Quoi de mieux que le Nouvel An pour dissimuler de mauvaises nouvelles ? "

En février dernier, il est condamné à cinq ans de prison supplémentaires pour avoir dénoncé sur Twitter la torture de détenus dans la prison de Jaw où il se trouve actuellement. Il dénonce également l’assassinat de civils au Yémen par la coalition dirigée par l’Arabie Saoudite. Sa condamnation est confirmée en appel en juin 2018. Il dépose alors un ultime recours devant la Cour de Cassation examiné ce lundi et confirmé par la cour suprême de Bahreïn.

Pour son fils Adam, cette date du 31 décembre n’a pas été choisie au hasard comme il l'écrit dans une lettre : 

"Nous pensons que le moment choisi est délibéré, car quoi de mieux qu’un réveillon du Nouvel An pour dissimuler de mauvaises nouvelles ? Mon père va [...] rester en prison jusqu’en 2023 après avoir déjà passé deux ans derrière les barreaux. Mon père a osé parler et élever la voix dans une période difficile. Il recherche la paix. C'est un défenseur des droits humains engagé qui paye le prix fort. Son appel à mettre fin à la guerre au Yémen est profondément enraciné dans sa conviction que les conflits créent des  problèmes, pas des solutions". 

Deux visites par mois

Depuis 2011, les voix des opposants de Bahreïn sont étouffées, les partis d’opposition interdits par le pouvoir. Certains de leurs leaders ont été déchus de leur nationalité. La répression a muselé toute expression politique libre. À l’instar d’autres défenseurs des droits de l’homme qui purgent de longues peines de prison comme Abdulhadi Al Khawaja et Naji Fateel, Nabil Rajab n’a pas eu le droit de quitter le territoire. 

Aujourd'hui, il est emprisonné avec des condamnés pour terrorisme dont certains seraient des membres du groupe État islamique. Selon la FIDH, qui vient de cosigner un communiqué demandant sa remise en liberté et l’abandon des charges qui pèsent sur lui, son état de santé est préoccupant. Il n'a droit qu'à deux visites par mois. Il lui est interdit de lire des livres et n’a accès aux journaux que tous les dix jours. En exil au Liban, son cousin Maytham Al Salman témoigne de son état de santé fragile :

Nabil Rajab est continuellement intimidé, harcelé, pris pour cible même en prison. Il est dans un état de santé instable et ne reçoit pas de traitement.

Le cousin de Nabil Rajab, emprisonné à Bahreïn, alerte sur son état de santé

1 min

Le gouvernement de Bahreïn essaie de frapper Nabil émotionnellement et psychologiquement autant qu'il le peut. Il y a un risque que le gouvernement alourdisse sa peine lors de son procès le 31 décembre, si la communauté internationale n'intervient pas.

En Juin 2018, Nabil Rajab a été nommé citoyen d'honneur de la Ville de Paris. 

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Aujourd'hui, ses proches demandent que la communauté internationale fasse pression sur Bahreïn pour obtenir sa libération. 

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