Elle est à l’initiative d’un événement mode qui ne se déroule pas à Paris, est gratuit et accueille tous les publics – trois faits assez rares pour être soulignés. Marseillaise d’origine italienne, Stéphanie Calvino organise depuis 2016 les Rencontres Anti_Fashion, trois jours de conférences qui se déroulent en juin dans la cité phocéenne. Et qui font vivre le mouvement du même nom, estimant que le système actuel de la mode doit impérativement changer, tant au plan environnemental que social. « C’est la deuxième industrie la plus polluante, pourtant personne n’apprend aux jeunes créateurs à produire autrement ni au public à consommer différemment. »
La quadra est à la fois passionnée et réaliste, enthousiaste et clairvoyante : « On s’en fiche du bio ou du made in France, il faut surtout commencer à agir de façon raisonnée. Tout ce qu’on mange, boit ou conduit est un acte politique. Il n’y a rien d’anodin à choisir de porter un tee-shirt à 4,95 €. »
Le manifeste de Lidewij Edelkoort comme détonateur
La mode, Stéphanie Calvino baigne dedans depuis plusieurs années. Diplômée en arts appliqués, elle a longtemps œuvré à la Maison Mode Méditerranée de Marseille. Dévouée aux jeunes créateurs, elle y réalise l’absurdité du système. « On leur demandait d’investir pour obtenir un stand dans les salons professionnels mais, quand cela débouchait sur une commande, ils n’avaient plus les moyens d’en financer la production… Je me suis rendue compte que quelque chose ne fonctionnait plus. »
Elle n’est alors pas la seule à faire ce constat. En 2015, Lidewij Edelkoort, pythie des tendances, publie son manifeste Anti_Fashion. Un pamphlet de huit pages où la Néerlandaise raconte l’obsolescence de l’ensemble de la chaîne, des écoles à la production en passant par les campagnes de publicité et la presse. « Je l’ai écrit pour alerter mes clients et l’ensemble de la profession. Sans penser à la suite », se souvient-elle. Mais, pour Stéphanie Calvino, c’est le détonateur. Après avoir lu ce « pavé dans la mare », elle cherche à rencontrer la chasseuse de tendances. Elle ne la connaît pas ? Peu importe, elle trouve son adresse mail et lui envoie un message. Aussi spontanément qu’elle contactera ensuite Sébastien Kopp, cofondateur de la marque de baskets écologiques Veja, pour qu’il intervienne dans une conférence, ou l’université d’Aix-Marseille pour qu’elle soutienne financièrement Anti_Fashion. Pour le reste, c’était « du troc et ma carte bancaire ».
« L’idée a toujours été de responsabiliser, pas de culpabiliser. En fabriquant un vêtement, les gens se rendent compte du temps et de l’énergie que cela demande. » Monia Sbouaï, créatrice de la marque Super Marché,
En 2016, 450 personnes assistent à la première édition, elles seront plus de 1 500 en 2018. Des étudiants en quête de sens, des retraités curieux, de jeunes créateurs qui recyclent les tissus ou encore quelques groupes de luxe qui craignent de rater le coche. On y débat de mode durable, de recherches sur les matériaux respectueux de l’environnement, d’une nouvelle société plus responsable, mais pas seulement. On y parle aussi de biomimétisme et de la refonte du système d’éducation finlandais. « La porte d’entrée, c’est la mode, mais c’est un projet plus global, confirme Sébastien Kopp, présent depuis la première édition. Aujourd’hui, ce n’est plus une association embryonnaire mais une organisation qui doit grandir tout en restant qualitative. » « On l’a voulue ouverte à tout type d’action, même petite, même imparfaite », ajoute de son côté Lidewij Edelkoort.
Reconnue pour « son énergie » (Sébastien Kopp) et « sa capacité d’empathie » (Lidewij Edelkoort), Stéphanie Calvino a également développé un volet social avec son compagnon, chargé du tutorat auprès d’une quinzaine de jeunes à Marseille et à Roubaix. Et d’évoquer avec un plaisir non dissimulé cette jeune fille qui a décroché un CDI à Veja.
Monia Sbouaï, créatrice de la marque Super Marché, qui travaille à partir de vêtements recyclés, anime des ateliers de création pour Anti_Fashion. Selon elle, « l’idée a toujours été de responsabiliser, pas de culpabiliser. En fabriquant un vêtement, les gens se rendent compte du temps et de l’énergie que cela demande ».
Remettre l’individu au centre
Le mode d’action de Stéphanie Calvino se différencie des opérations coup de poing de Greenpeace ou du lobbying d’éthique sur l’étiquette. « Anti_Fashion ne s’adresse pas qu’aux industriels. Le mouvement remet l’individu au centre, en le rendant plus responsable, en lui faisant prendre conscience de la valeur des choses que les prix pratiqués par la fast fashion [ces grandes enseignes de vêtements à bas coût] nous ont fait perdre de vue », constate Nathalie Ruelle, professeure à l’Institut français de la mode et spécialiste du développement durable. Ces propos, on les retrouve dans la bouche de Stéphanie Calvino quand elle évoque avec nostalgie l’émotion qui devrait accompagner l’achat d’un vêtement mais aussi sa famille modeste, avec laquelle elle a appris à soigner ce qu’elle possédait, et les habits du dimanche qu’on portait autrefois comme une forme de respect de soi. « Dire qu’on me demande encore si Anti_Fashion est contre la mode, s’exclame-t-elle. Alors que c’est justement un cri d’amour pour elle ! »
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