Malgré les affaires de corruption, la Roumanie prend la présidence de l'UE: "L'Europe a de sérieuses raisons de s'inquiéter"

Une Roumanie corrompue prend la présidence de l'UE: "l’Europe a de sérieuses raisons de s’inquiéter"

© DANIEL MIHAILESCU - AFP

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Par RTBF

 

Après l'Autriche, c'est au tour de la Roumanie de prendre la présidence tournante de l'Union européenne, pour six mois. Une accession critiquée. "Le gouvernement de Bucarest n'a pas encore pleinement compris ce que signifie présider les pays de l'UE" a ainsi déclaré le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Il met en doute la capacité du pays d'être à l'écoute des autres, et mettant ses propres préoccupations nationales au second plan. Un pays qui est en outre divisé entre un président pro-européen de centre-droit et un gouvernement de gauche très critique à l'égard des institutions européennes.

Trop concentré sur les affaires de corruption ?

Selon Jean-Michel De Waele, politologue à l'ULB, "l’Europe a de sérieuses raisons de s’inquiéter et c’est d’ailleurs dommage qu’elle s’inquiète si tard."

"Le gouvernement roumain est un gouvernement qui est totalement concentré sur des affaires de corruption au gouvernement et essaie d’éviter la prison pour un certain nombre de ses membres ; c’est la seule chose qui l’intéresse à l’heure actuelle. On peut donc à la fois douter qu’il ait l’Europe en priorité et qu’il y ait des problèmes d’agenda dans les mesures que le gouvernement roumain va prendre, qui risquent d’être condamnées par la Commission européenne. Je vous ferai remarquer qu’avant ça on avait une présidence autrichienne, où l’extrême droite participait au gouvernement autrichien, donc ça posait aussi quelques questions."

Une affirmation que conteste le PSD, plus grand parti roumain, qui déclare "qu'aucune des décisions du gouvernement actuel n’a eu en aucune manière pour effet de limiter la lutte contre la corruption en Roumanie ni d’empêcher les enquêtes en cours contre les décideurs. Au contraire, ces dernières années, une grande partie des enquêtes DNA ont été conduites devant les tribunaux pour acquitter les accusés. Ces décisions ont appartenu exclusivement aux juges, sans aucune ingérence du gouvernement.

En juillet 2018, ce même gouvernement a obtenu le limogeage de la cheffe du parquet anti-corruption (DNA). Le président Klaus Iohannis (de centre-droit) avait longtemps posé son véto à ce limogeage, mais a été obligé de le lever par une décision de la Cour constitutionnelle.


Roumanie: le gouvernement obtient le limogeage de la cheffe du parquet anticorruption


Laura Codruta Kovesi est connue pour ses critiques envers le gouvernement et ses réformes controversées du système judiciaire. Fin février, la magistrate avait indiqué que malgré "des attaques sans précédent" de la part du gouvernement, son parquet anti-corruption avait renvoyé devant les tribunaux en 2017 un millier de personnes, dont trois ministres, cinq députés et un sénateur. Selon le JDD, ces cinq dernières années, la procureure a renvoyé devant la justice 68 officiels de haut rang — 14 ministres et anciens ministres, 39 députés, 14 sénateurs et un parlementaire européen — dont 37 (soit plus de la moitié) ont été condamnés définitivement.

En octobre 2018, le procureur général roumain Augustin Lazar et d'autres magistrats se sont alarmés mardi après l'adoption par la gauche au pouvoir de nouvelles mesures restreignant, selon eux, l'efficacité des parquets en charge de la lutte contre la corruption et le crime organisé. En cause, une ordonnance imposant au moins dix ans d'ancienneté pour pouvoir travailler au parquet anti-corruption, impliquant la mutation de 90 jeunes magistrats spécialisés.

Le PSD ajoute : "Ni les lois du pouvoir judiciaire ni celles envisageant les codes pénaux n'ont été modifiées par des ordonnances du Gouvernement roumain, mais par un long processus parlementaire soumis chaque fois, même à plusieurs reprises au contrôle de la Cour constitutionnelle. Au contraire, les principales mesures adoptées par le gouvernement au cours des dernières années ont été d'augmenter les revenus des Roumains et d'assurer une croissance économique durable, faisant de la Roumanie l'un des pays les plus développés de l'Union européenne."

Début 2017, des dizaines de milliers de Roumains sont descendus dans la rue pour manifester contre le gouvernement roumain, après qu'il ait adopté de manière assez discrète, dans la nuit du 30 janvier, un décret d'urgence permettant aux fonctionnaires et aux responsables politiques d'échapper à des peines de prison en cas d'abus de pouvoir constituant un préjudice inférieur à 44.000 euros. Face à cette contestation populaire, le gouvernement a fait marche arrière, sans pour autant que la colère de la rue ne se calme totalement.

Plus récemment, ce lundi 22 janvier, le ministre de la Justice roumain Tudorel Toader — qui avait demandé la destitution de la procureure anti-corruption Laura Codruta Kövesi — a annoncé vouloir faire adopter un décret d'urgence qui permettrait de revenir sur des verdicts prononcés par la Haute Cour de cassation et de justice, la plus haute juridiction roumaine qui juge notamment les responsables politiques. Parmi celles-ci, figure M. Dragnea, chef du Parti-social démocrate (PSD, socialiste). Il avait été condamné en appel en 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, une peine l'empêchant de briguer le poste de Premier ministre.

Le gouvernement roumain s'appuie sur une décision rendue en novembre par la Cour constitutionnelle qui avait déclaré illégal le fait que seuls quatre des cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice soient tirés au sort, et non l'ensemble des cinq magistrats. Les juges constitutionnels avaient donné raison au gouvernement qui les avaient saisis mais ils avaient exclu que leur arrêt soit rétroactif et ait une incidence sur les condamnations prononcées depuis que cette pratique est en vigueur, soit environ 350 verdicts depuis 2014.

Les pays de l'Est sont les boucs émissaires de ce qui ne fonctionne pas en Europe

Le spécialiste de l'Europe centrale estime cependant "qu’aussi bien à la Commission européenne que dans l’Union européenne, c’est toujours beaucoup plus facile de taper sur les pays de l'Est et les nouveaux venus, qui sont les boucs émissaires de tout ce qui ne fonctionne pas en Europe, que de taper par exemple sur l’Autriche. Je suis assez étonné qu’on n’ait pas entendu plus de commentaires sur la présidence autrichienne, alors que le gouvernement autrichien prenait toute une série de mesures qui contreviennent aux valeurs européennes."

 

 

 

Corruption au sommet de l'Etat

En novembre dernier, les eurodéputés ont déjà pointé du doigt la réforme judiciaire roumaine, qui ne protégerait pas le pays de la corruption, et menacerait l'indépendance de la justice. De nombreux scandales de corruption secouent le monde politique roumain, qui essaye par tous les moyens de protéger ses députés de sanctions judiciaires.


►►► La corruption en Roumanie: scandale au plus haut sommet de l'État


"Le rêve de ce gouvernement est de faire voter des lois qui empêchent un certain nombre de responsables politiques ou de ministres d’aller en prison, soit parce qu’ils vont être condamnés, soit parce qu’ils sont condamnés, et dès lors, de devoir revoir le système juridique roumain qui le ferait sortir de ce qui est acceptable pour l’Union européenne, commente Jean-Michel De Waele. Ça la mettrait évidemment assez mal que le gouvernement roumain présidant l’Union européenne prenne des mesures qui contreviennent aux législations européennes. C’est un exemple parmi d’autres, la gestion des fonds communautaires et le fait que la Roumanie n’est pas le centre du monde. L’agenda est mondial et non pas d’essayer d’éviter la prison à M. Dragnea ou à d’autres mafieux au pouvoir en Roumanie à l’heure actuelle."

Face à ces déclarations, le PSD a tenu à clarifier le fonctionnement du système judiciaire roumain. "Bien que la Constitution dispose en Roumanie que les procureurs sont subordonnés hiérarchiquement et agissent sous l'autorité du ministre de la Justice, la réforme judiciaire a assuré leur indépendance dans les enquêtes et la conduite des enquêtes pénales. Contrairement à de nombreux pays européens, le ministre de la Justice ne peut demander aux procureurs d'ouvrir ou de suspendre une enquête criminelle et ne peut pas déclencher une enquête disciplinaire sur les magistrats."

Autre question que pose le politologue, est celle de la composition des grands partis politiques au Parlement européen. "Le Parti social-démocrate roumain, totalement mafieux, est membre du Parti socialiste européen ; [le président hongrois] Orbán, (connu pour ses positions extrémistes, ndlr) est membre du Parti populaire européen. Au moment où il y a une défiance des citoyens vis-à-vis de la construction européenne et du pouvoir politique, il y a un souci de cohérence de la part de nos élus. Le gouvernement roumain appartient à une grande famille politique européenne, c’est la même chose en Hongrie, il est temps que les partis politiques belges, membres des grandes organisations ou des partis politiques européens, prennent des mesures fortes."

 

 

Grand développement économique

Et de rappeler que l'Union européenne permet, aussi, à ses derniers membres de se développer... Ces mêmes pays qui sont très critiques envers la politique européenne.

"Dans les pays d’Europe centrale, dont la Roumanie, ce qui est remarquable, c’est que l’Union permet le développement de pays, certes de façon inégalitaire, certes avec des problèmes de corruption, mais les progrès sont là. Si on veut voir à quoi sert l’Union européenne, voyons le développement d’un certain nombre de pays d’Europe centrale. Mais ce qui est évidemment très paradoxal, c’est que l’argent de l’Union européenne sert à des gouvernements qui n’ont de cesse de critiquer l’Union européenne. Alors, je suis très sensible aux critiques de l’Union européenne, qui a commis un certain nombre d’erreurs en imposant partout des politiques d’austérité, mais ceci étant, l’Union européenne apporte des choses positives, entre autres à la Roumanie. La difficulté, c’est que si la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Bulgarie vont bien, c’est grâce à l’Union européenne."

Le PSD soutient également que la politique d'austérité était un mauvais chemin, que la Roumanie n'a pas suivie. "La Roumanie a enregistré ces dernières années les taux de croissance économique les plus élevés, précisément parce qu'elle a cessé de suivre les politiques d'austérité recommandées par la Commission européenne. Encourager la production industrielle, augmenter les revenus de la Roumanie, assouplir les finances publiques et soutenir l'agriculture roumaine ne sont que quelques-unes des politiques gouvernementales qui ont donné l'impulsion à la croissance économique de la Roumanie ces dernières années."

 

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