Après l'Autriche, c'est au tour de la Roumanie de prendre la présidence tournante de l'Union européenne, pour six mois. Une accession critiquée. "Le gouvernement de Bucarest n'a pas encore pleinement compris ce que signifie présider les pays de l'UE" a ainsi déclaré le président de la Commission, Jean-Claude Juncker. Il met en doute la capacité du pays d'être à l'écoute des autres, et mettant ses propres préoccupations nationales au second plan. Un pays qui est en outre divisé entre un président pro-européen de centre-droit et un gouvernement de gauche très critique à l'égard des institutions européennes.
Trop concentré sur les affaires de corruption ?
Selon Jean-Michel De Waele, politologue à l'ULB, "l’Europe a de sérieuses raisons de s’inquiéter et c’est d’ailleurs dommage qu’elle s’inquiète si tard."
"Le gouvernement roumain est un gouvernement qui est totalement concentré sur des affaires de corruption au gouvernement et essaie d’éviter la prison pour un certain nombre de ses membres ; c’est la seule chose qui l’intéresse à l’heure actuelle. On peut donc à la fois douter qu’il ait l’Europe en priorité et qu’il y ait des problèmes d’agenda dans les mesures que le gouvernement roumain va prendre, qui risquent d’être condamnées par la Commission européenne. Je vous ferai remarquer qu’avant ça on avait une présidence autrichienne, où l’extrême droite participait au gouvernement autrichien, donc ça posait aussi quelques questions."
Une affirmation que conteste le PSD, plus grand parti roumain, qui déclare "qu'aucune des décisions du gouvernement actuel n’a eu en aucune manière pour effet de limiter la lutte contre la corruption en Roumanie ni d’empêcher les enquêtes en cours contre les décideurs. Au contraire, ces dernières années, une grande partie des enquêtes DNA ont été conduites devant les tribunaux pour acquitter les accusés. Ces décisions ont appartenu exclusivement aux juges, sans aucune ingérence du gouvernement.
En juillet 2018, ce même gouvernement a obtenu le limogeage de la cheffe du parquet anti-corruption (DNA). Le président Klaus Iohannis (de centre-droit) avait longtemps posé son véto à ce limogeage, mais a été obligé de le lever par une décision de la Cour constitutionnelle.
Roumanie: le gouvernement obtient le limogeage de la cheffe du parquet anticorruption
Laura Codruta Kovesi est connue pour ses critiques envers le gouvernement et ses réformes controversées du système judiciaire. Fin février, la magistrate avait indiqué que malgré "des attaques sans précédent" de la part du gouvernement, son parquet anti-corruption avait renvoyé devant les tribunaux en 2017 un millier de personnes, dont trois ministres, cinq députés et un sénateur. Selon le JDD, ces cinq dernières années, la procureure a renvoyé devant la justice 68 officiels de haut rang — 14 ministres et anciens ministres, 39 députés, 14 sénateurs et un parlementaire européen — dont 37 (soit plus de la moitié) ont été condamnés définitivement.
En octobre 2018, le procureur général roumain Augustin Lazar et d'autres magistrats se sont alarmés mardi après l'adoption par la gauche au pouvoir de nouvelles mesures restreignant, selon eux, l'efficacité des parquets en charge de la lutte contre la corruption et le crime organisé. En cause, une ordonnance imposant au moins dix ans d'ancienneté pour pouvoir travailler au parquet anti-corruption, impliquant la mutation de 90 jeunes magistrats spécialisés.
Le PSD ajoute : "Ni les lois du pouvoir judiciaire ni celles envisageant les codes pénaux n'ont été modifiées par des ordonnances du Gouvernement roumain, mais par un long processus parlementaire soumis chaque fois, même à plusieurs reprises au contrôle de la Cour constitutionnelle. Au contraire, les principales mesures adoptées par le gouvernement au cours des dernières années ont été d'augmenter les revenus des Roumains et d'assurer une croissance économique durable, faisant de la Roumanie l'un des pays les plus développés de l'Union européenne."
Début 2017, des dizaines de milliers de Roumains sont descendus dans la rue pour manifester contre le gouvernement roumain, après qu'il ait adopté de manière assez discrète, dans la nuit du 30 janvier, un décret d'urgence permettant aux fonctionnaires et aux responsables politiques d'échapper à des peines de prison en cas d'abus de pouvoir constituant un préjudice inférieur à 44.000 euros. Face à cette contestation populaire, le gouvernement a fait marche arrière, sans pour autant que la colère de la rue ne se calme totalement.
Plus récemment, ce lundi 22 janvier, le ministre de la Justice roumain Tudorel Toader — qui avait demandé la destitution de la procureure anti-corruption Laura Codruta Kövesi — a annoncé vouloir faire adopter un décret d'urgence qui permettrait de revenir sur des verdicts prononcés par la Haute Cour de cassation et de justice, la plus haute juridiction roumaine qui juge notamment les responsables politiques. Parmi celles-ci, figure M. Dragnea, chef du Parti-social démocrate (PSD, socialiste). Il avait été condamné en appel en 2016 à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, une peine l'empêchant de briguer le poste de Premier ministre.
Le gouvernement roumain s'appuie sur une décision rendue en novembre par la Cour constitutionnelle qui avait déclaré illégal le fait que seuls quatre des cinq juges de la Haute Cour de cassation et de justice soient tirés au sort, et non l'ensemble des cinq magistrats. Les juges constitutionnels avaient donné raison au gouvernement qui les avaient saisis mais ils avaient exclu que leur arrêt soit rétroactif et ait une incidence sur les condamnations prononcées depuis que cette pratique est en vigueur, soit environ 350 verdicts depuis 2014.
Les pays de l'Est sont les boucs émissaires de ce qui ne fonctionne pas en Europe
Le spécialiste de l'Europe centrale estime cependant "qu’aussi bien à la Commission européenne que dans l’Union européenne, c’est toujours beaucoup plus facile de taper sur les pays de l'Est et les nouveaux venus, qui sont les boucs émissaires de tout ce qui ne fonctionne pas en Europe, que de taper par exemple sur l’Autriche. Je suis assez étonné qu’on n’ait pas entendu plus de commentaires sur la présidence autrichienne, alors que le gouvernement autrichien prenait toute une série de mesures qui contreviennent aux valeurs européennes."