Pédophilie : « L'Église ne s'attaque pas aux racines du scandale »

INTERVIEW. Dans un livre à charge, la journaliste Christine Pedotti démonte la culture de l'abus, sous-jacente, selon elle, à la multiplication des affaires.

Propos recueillis par

Le pape François le 19 décembre 2018 à Rome.

Le pape François le 19 décembre 2018 à Rome.

© AFP

Temps de lecture : 6 min

En ce début d'année, l'Église catholique aura à affronter ses démons. Le cardinal Philippe Barbarin comparaît devant le tribunal correctionnel de Lyon les 7, 8 et 9 janvier pour non-dénonciation de crimes sur mineurs, dans le cadre du dossier du père Preynat. Un procès largement médiatisé qui sera suivi par la sortie du film de François Ozon Grâce à Dieu, basé sur cette affaire et déjà sélectionné au festival de Berlin début févier. Le pape François a convoqué à Rome du 21 au 24 février les présidents des conférences épiscopales pour mettre au point un dispositif afin d'assurer « la protection des mineurs ». La journaliste et éditrice Christine Pedotti, qui a publié récemment Jésus, l'homme qui préférait les femmes , publie ce 3 janvier un petit texte coup de poing pour dénoncer l'attitude des responsables de l'Église dans les scandales d'abus sexuels, Qu'avez-vous fait de Jésus ? (Albin Michel). Entretien.

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Le Point : Pourquoi vous livrer à une charge aussi violente ?

Christine Pedotti : Elle est à la mesure de la colère et du désastre. Dans l'Église catholique, ceux qui ont la responsabilité des fidèles s'appellent évêques parce qu'ils sont « épiscope », ce qui signifie surveillants en grec. C'est leur mission. Or, en l'occurrence, ces évêques ont gravement failli dans l'accomplissement de cette mission. Quand on centralise toutes les responsabilités théologiques, morales et spirituelles entre les mains de quelques-uns et que ces personnes ont fauté, il faut se poser les bonnes questions. On a sacralisé ces hommes, on les a mis à part, séparés du commun des mortels. On a confiné les prêtres dans un statut très spécial, configuré au Christ, et ils se prennent pour Dieu, puisqu'on le leur a dit. Avec une telle théologie du sacerdoce, pas facile de garder un psychisme sain. C'est le cœur du système qui est atteint.

Vous focalisez vos attaques sur les évêques, mais, en fait, c'est tout un système ancien qui est en cause...

Le pape dans sa « Lettre au peuple de Dieu » parle d'une culture de l'abus, ce n'est pas rien. Cette culture est d'abord centrée sur les clercs, mais elle infuse parmi tous les laïcs qui intériorisent cette manière de faire. Il y a une vraie soumission au système, puisque prêtres et évêques doivent « une religieuse obéissance », comme disent les textes du Vatican. Ces hommes manipulent le sacré, ils fabriquent Dieu à la messe et, maintenant, certains sont devenus des criminels, comment voulez-vous que les fidèles catholiques s'y retrouvent ?

Votre colère n'est-elle pas datée ? L'Église a pris des mesures récemment. Le pape convoque les présidents des conférences épiscopales du 21 au 24 février...

L'Église fait tout ce qu'il faut pour circonscrire le problème à quelques abuseurs. On va essayer de les repérer et d'être vigilants pour les éliminer avant qu'ils n'entrent au séminaire. Comme s'il y avait écrit sur leur front : « Je suis un pédophile »... ! Mais on ne touche pas au système, on ne remet pas en cause le prêtre comme un autre Christ. Et il subsiste un rapport pervers à la sexualité, au pouvoir, on use d'un vocabulaire symbolique sur la paternité spirituelle, la maternité de l'Église, sans s'interroger sur le fait que, peut-être, cela produit les abus. Le pape dit qu'il faut s'attaquer à la culture du cléricalisme : mais il ne se passe rien. On ne soigne pas les causes ; pis, on n'envisage même pas de les soigner... Je reste donc très pessimiste.

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Plusieurs responsables ont quand même pris la mesure du problème…

Je ne suis pas sûr qu'ils aient décidé de s'attaquer aux racines du scandale. Tout cela n'est pas arrivé par hasard. Quand le cardinal Decourtray est confronté au cas du père Preynat, son réflexe est de dire que ce prêtre est victime du diable. C'est la seule réponse qui est donnée aux victimes de celui-ci. C'est le prêtre qui est d'abord considéré comme victime. Rendez-vous compte ! Les évêques sont sincères quand ils mettent en place la commission présidée par Jean-Marc Sauvé. Je ne les accuse pas de malhonnêteté, mais, pour moi, ils ne prennent pas la mesure du problème. Ce qui est logique puisqu'ils incarnent le système. Le système, c'est eux. Il faudrait faire preuve d'une grande sainteté pour qu'ils le remettent en cause.

Le cardinal Barbarin, d'après vous, a-t-il failli ?

Je pense que oui. La justice va arbitrer. Mais la faillite morale est dramatique. Ces hommes ont-ils encore le sens commun ? N'importe quel ministre ou chef d'entreprise ne pourrait rester en situation dans ces conditions. Philippe Barbarin, lui, oui. Il est l'incarnation lui-même du problème. Il est cardinal archevêque et, à ce titre, a un lien direct avec Rome. En pleine crise, alors qu'il vient de limoger le père Vignon qui demandait sa démission, il dit qu'il ne fait qu'appliquer les règles dictées par Rome. Il ne s'adresse pas au procureur de la République de Lyon, mais à Rome. Mais Philippe Barbarin est-il citoyen de Rome ? Il dit que les faits sont prescrits, mais au nom de quoi affirme-t-il cela ? L'affaire serait antérieure à sa prise de fonction ? Mais chaque évêque suit une succession apostolique, sans rupture, il est responsable de ce qu'a fait son prédécesseur. Comment Philippe Barbarin peut-il continuer à s'accrocher à sa chaise cathédrale ? Parce que Dieu l'a choisi ? Il a 100 000 signatures contre lui, mais il continue en disant qu'il s'agit d'une affaire entre Dieu et lui... Tout cela heurte le sens commun.

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Autre reproche que vous adressez : l'Église traite ces abus sexuels non comme des crimes, mais comme des péchés...

Et pour lutter contre eux, elle utilise les remèdes destinés à éradiquer le péché, à savoir le repentir et le pardon. Et le pardon réciproque. D'où ces scènes stupéfiantes où l'on espère que les victimes vont pardonner aux coupables. Dans le diocèse de Lyon, imaginez que l'on a quand même réuni une victime et le père Preynat autour d'une table en disant : Donnez-vous la main et récitez le Notre-Père ensemble ! Cet automne, l'évêque de Saint-Étienne, Sylvain Bataille, reçoit la confidence d'un prêtre abusé par un autre. Quelle est sa réaction ? Demander à la victime d'héberger son bourreau dans son presbytère… ! La victime refuse, on lui force la main. Les deux hommes se rencontrent, et le coupable demande pardon. Heureusement, le prêtre abusé, scandalisé à juste titre, a décidé de médiatiser cette affaire.

Pour sa défense, l'Église affirme que la plupart de ces affaires sont anciennes. Qu'en pensez-vous ?

Il y aura évidemment moins d'affaires, parce qu'il y a moins de prêtres et moins d'enfants dans le giron catholique. Mais dans l'Église aujourd'hui, on connaît des cas constants d'abus au sein de nouvelles communautés auxquels se livrent les fondateurs. Il s'agit, certes, d'adultes, mais ce sont les mêmes ressorts qui sont à l'œuvre, à savoir cette culture de l'abus que dénonce le pape.

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Commentaires (42)

  • Ras le bol confirmé

    Que faut-il revoir urgemment ? Le célibat des prêtres, tout simplement. Le concile de Trente (sauf erreur) est celui qui a instauré ce célibat et décidé arbitrairement ce qui devait être cru et ce qui devait être rejeté définitivement, sous peine des pires supplices et d'une mort certaine. C'est ça, une religion d'amour ? Et je ne parle pas de l'Inquisition, même s'il s'agit là d'un tout autre chapitre. Eglise catholique, réforme-toi ! C'est plus qu'urgent ! C'est impératif !

    Gérard NEUFFER

  • franky21

    Pas près de lire le livre de cette harpie Melanchonniste, ou ruffiniste.
    Argumentaire ressassé, et haineux,
    L'église catholique a pratiquement 2000 ans, bien spécieux de la réduire ainsi, au comportement certes critiquable, d'une infime minorité.
    Dans 2000 ans l'église sera très certainement toujours là.
    Pas sûr qu'on parle encore de cette exitée dans 2 ans !

  • beotien1

    On a raison de faire une campagne sur les prédateurs dans le clergé, mais ce systême de protection des prédateurs existe bel et bien dans toutes les organisations. Qui s'intéresse de près à certains silences dans l'Education Nationale, dans les associations sportives et autres.
    Si on veut être sérieusement soutenus dans cette campagne, il ne faut pas confondre anticléricalisme et chasse aux prédateurs.