Elysée, #GiletsJaunes, fin de règne et #RIC
« Ambiance délétère », bunkerisation, moitié de l’équipe sur le départ, « blues » de conseillers s’estimant sans influence sur un président préférant écouter des visiteurs du soir — et surtout lui-même … un article du Parisien décrit une ambiance de fin de règne précoce à l’Elysée. Marronnier ? Par-delà les responsabilités politiques de l’actuel pouvoir, et les différences de contexte, on ne peut qu’être frappé par la similitude avec la situation il y a 5 ans. Remplacez « Gilets Jaunes » par « Manif pour tous » et « Benalla » par « Cahuzac », et sans doute trouverez-vous des articles quasiment identiques datés de l’automne-hiver 2013–2014. La répétition, avec une intensité croissante, du même scénario quinquennal est d’autant plus étonnante qu’elle se produit avec des personnalités et des pratiques présidentielles significativement différentes. Il faut donc y trouver des explications plus générales.

Puisque le journalisme politique nous y invite, commençons par le petit bout de la lorgnette : l’Elysée, ses hommes et ses femmes, et d’abord son lieu. L’infrastructure présidentielle est profondément inadaptée aux exigences d’un exécutif moderne et réactif. Le château de la rue du Faubourg Saint Honoré constitue sans doute un très bel écrin pour des Instagram en majesté, et l’accueil avec la pompe requise de chefs d’Etat étranger, mais pas un cadre de travail efficace. Le bâtiment central compte peu de salles de réunions équipées pour du travail d’équipe, et est organisé autour du modèle du bureau individuel à porte capitonnée, où l’on peut passer une journée entière en évitant de voir quiconque, à part les huissiers en faction. De l’atmosphère feutrée de l’omniprésente moquette à l’étonnante acoustique de la cour d’honneur, silencieuse alors qu’à quelques encablures d’avenues ultra-bondées, tout concourt à construire, insidieusement, un isolement d’autant plus prégnant que l’on n’est pas — à la différence de la plupart des cabinets ministériels — en prise directe avec une administration. L’Elysée, est littéralement, hors-sol ; il secrète de l’isolement, parmi ses occupants comme vis-à-vis du monde extérieur, c’est-à-dire de la France. Il renvoie, de surcroît, l’image ambivalente d’un palais, avec tout ce que cela implique dans une période de colère populaire.
Cette « géopsychologie » ne serait qu’anecdotique si elle n’était, en outre, la métonymie d’une bien plus large, et inquiétante, solitude institutionnelle. Le sommet du pouvoir est sans alliés, hors l’appareil d’Etat (et encore). On a beaucoup commenté la dévitalisation des partis politiques et des organisations syndicales et représentatives sous Emmanuel Macron, en partie organisée par lui. Mais on ne peut honnêtement en faire peser toute la responsabilité sur l’actuel président, qui est en au moins autant la conséquence que la cause. Durant le quinquennat précédent, beaucoup avait été fait pour refonder le dialogue social en s’appuyant sur ces partenaires, sans que cela ne guérisse la crise démocratique — la crise de la représentativité des représentants. C’est qu’elle est bien plus profonde, et touche tout autant les « corps intermédiaires » que les « politiciens ». Le cri du cœur souvent entendu chez les Gilets Jaunes, pour être en partie injuste, n’en est pas moins révélateur : « nous ne serions pas là si les syndicats avaient fait leur travail ».
Comment briser l’isolement du pouvoir, sans compter sur le seul appui d’institutions en guère meilleure santé que lui sur ce plan ? Back to basics : retisser le lien direct avec la population. Pas (simplement) en jouant sur des curseurs — injecter de la proportionnelle — ou en faisant du « participatif-washing », comme l’organisation de grandes consultations sans capacité décisionnelle immédiate. Mais en redémontrant que la démocratie n’est pas un concept abstrait, qui se résume au choix par élimination, tous les 5 ans, de représentants auxquels on ne fait plus confiance, avec une immense dilution (quand ce n’est pas une trahison) entre le bulletin de vote et l’action politique réelle. Pour cela il n’y a pas 36 moyens : considérons sérieusement le recours régulier à des processus de démocratie directe — référendum classique, référendum d’initiative citoyenne, votation locale … — et le respect de leur verdict.
Oui, ils auront une fonction de défouloir et possiblement de tir au pigeon contre le pouvoir en place.
Oui, ils pourront être l’objet d’instrumentalisations par des partis extrêmes ou des groupes minoritaires — mais quel étrange manque de confiance en soi des partis « traditionnels », si cela suffisait à en condamner le principe !
Oui, ils pourront avoir un taux de participation décevant, parce qu’un outil n’a jamais permis à lui tout seul de produire de la démocratie. L’engagement citoyen est une culture, qui est sans doute largement à reconstruire aujourd’hui — mais chaque chose en son temps.
Oui, ils ne seront pas un remède miracle. Mais ils constitueront un puissant signal de la part du « système » tant décrié, et la preuve qu’il ne veut pas étouffer la parole populaire — la preuve, en fait, qu’il n’existe pas. Ils permettront même peut-être de revitaliser la démocratie représentative, en redonnant du sens, et du poids, au bulletin de vote en général.
Les Gilets Jaunes ont démontré une soif de participation politique. Il faut saisir cette perche tendue. A moins de se satisfaire de vivre dans une fin de règne désormais récurrente, si ce n’est systémique, de regarder les équipes gouvernementales successives se débattre, seules contre tous, dans l’impuissance de leur solitude … et de s’imaginer que ce cadre politique crépusculaire puisse avoir une fin heureuse.
Romain Pigenel
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