Chaque samedi avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur un épisode de l’histoire du sport tel que l’a raconté la presse française.
«Je vais faire mon service militaire. Peut-être aussi me marierai-je… Mais plus tard.» A priori, rien de passionnant ni d'original dans cette interview d'un jeune homme tchécoslovaque de 22 ans. Pourtant, Paris-Soir l'affiche en une de son édition du 3 janvier 1936. C'est que quelques jours plus tôt, l'interviewé aurait été une interviewée. Ses ami·e·s ont souhaité joyeux Noël à Zdenka Koubkova et bonne année à Zdenek Koubek, officiellement devenu homme quelques jours plus tôt, après une formalité administrative et «une toute petite opération vraiment sans douleur». Zdenka Koubkova n'était pas n'importe qui : une athlète de valeur internationale, quintuple championne de son pays en 1934 (sur 100, 200, 800 m, sauts en longueur et en hauteur, une polyvalence inimaginable aujourd'hui), double médaillée, la même année, aux Jeux mondiaux féminins au cours desquels elle bat le record du monde du 800 m.
Dès le 6 décembre précédent, le Populaire faisait état des doutes concernant le genre de Zdenka Koubkova et s'interrogeait sur l'attitude de la Fédération internationale d'athlétisme au cas où elle se révélerait être un homme. Le 3 janvier, après «le sensationnel changement de sexe de l'athlète tchécoslovaque» l'Echo d'Alger annonce qu'«il est possible qu'à l'avenir, les candidates désireuses de participer à des épreuves féminines se voient dans l'obligation de se soumettre à un examen médical». Car le cas de Koubkova-Koubek, n'est pas unique. Le 30 mai 1936, le Petit Journal s'interroge : «Serait-ce une épidémie ? Après la fameuse athlète tchécoslovaque Koubkova, qui vient de changer de sexe après son opération, voici qu'une championne anglaise à son tour vient de laisser "sur le billard" d'un chirurgien le droit de s'appeler miss Mary Edith Weston pour se nommer maintenant M. Mark Weston.» Ce qui a «donné le courage» à Mary Edith (championne de Grande-Bretagne aux lancers du poids, du javelot et du disque, à la fin des années 20) d'aller voir un médecin ? «Depuis quelque temps je me trouvais dans l'obligation de me raser. Mes amis s'en étaient aperçus et se moquaient de moi…»
Dans son interview à Paris Soir du 3 janvier, Zdenek Koubek annonçait son intention de poursuivre l'athlétisme. Pas Mark Weston, qui dit dans le même journal le 30 mai 1936 : «Je suis fermement décidé à lâcher le sport et à gagner ma vie comme masseur.» Le journal indique qu'il a croisé 25 cas analogues au sien à l'hôpital où il a été opéré. Et de s'offusquer : «Où allons-nous si maintenant hommes et femmes peuvent changer de sexe aussi aisément que de chemises ?» (1)
«Les transformations de sexe continuent d'être à la mode!» écrit Paris-Soir le 17 avril 1936. C'est au tour de la lanceuse de poids polonaise Sophie Smetkowna, qui se confie au journal : «Je deviens un homme et je désire en finir avec cette situation ridicule qui me fait l'objet de railleries. […] Les sentiments masculins et féminins se combattaient en moi mutuellement. Puis, peu à peu, sous l'influence des sports et de la lutte pour la victoire les sentiments de femme ont cédé la place à ceux des hommes.»
Trois ans plus tard, l'envoyé spécial de Paris-Soir à Varsovie, part à la recherche de celui qui est devenu Joseph Smentek, modeste ouvrier dans une usine d'aviation, qui ne veut pas confesser grand-chose à l'importun journaliste venu le traquer à la sortie de son boulot. Lequel trouvera quand même une surprenante histoire à raconter à ses lecteurs, où il est également question de changement de sexe. On vous laisse la découvrir…
Suite et fin dans l'histoire. En 1938, deux ans après les Koubek, Weston, Smetkowna, un autre cas de changement de sexe défrayera la chronique. Celui de la sauteuse en hauteur allemande Dora Ratjen. Une histoire d'autant plus glauque qu'on ne sait pas vraiment si l'intéressé·e a sciemment triché sur son genre ou si elle a été instrumentalisé·e par le régime nazi pour gagner des médailles et contribuer à la gloire sportive du Reich. Elle a fait l'objet d'une précédente chronique RetroNews.
(1) Wikipédia nous apprend qu'une sœur de Mark Weston a également changé de sexe à la même époque. Si Mary Edith/Mark a vécu jusqu'en 1978, Harry, précédemment Hilda, dépressif, s'est pendu en 1942.