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Par Axel Vorotynzeff
Publié le 06 janvier 2019 à 07h00
« Surtout, ne me demandez pas de raconter?! », plaisante Anthony dès le début de l’entretien. C’est la pire question que l’on pourrait poser à un voyageur fraîchement rentré de deux années de voyage : deux années de vie ne tiennent pas en un petit récit…
Cela fait moins d'un mois qu’il est de retour à Saint-Flour. « Non, je ne m’en suis pas encore remis… Je suis très content d’être rentré, surtout que j’étais témoin du mariage d’un ami, mais mon esprit n’est pas vraiment tout à fait là. » Revenir en France après des pérégrinations sur d’autres continents, le choc culturel est éprouvant.
L’idée de départ était de rencontrer des agriculteurs étrangers afin d’apprendre de leurs méthodes de production alimentaire. Anthony est allé voir ceux qui cultivent la terre avec respect, intelligence, voire originalité. Pour ce voyage, il a utilisé son vélo, celui avec lequel il est parti il y a deux ans. 23.000 km sont désormais affichés au compteur. Son plan d’attaque était simple et efficace : pour chaque pays visité, un aliment typique à étudier, avec la manière dont il est produit.
Ces rencontres se sont déroulées, pour nombre d’entre elles, comme prévu. Il a ainsi pu étudier la culture de l’orange en Espagne, de l’huile d’olive au Maroc, de la pêche artisanale au Sénégal, du café en Colombie ou encore du cacao en Equateur. Souvent planifiés, ces rendez-vous ont été autant de reportages qu’il a pu consigner dans ses carnets personnels.
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Tous les jours, j’écrivais dans mes cahiers les kilomètres parcourus et ce qui m’était arrivé.
« Cela me servira peut-être de matière pour faire des livres. Mais pour l’instant, mes notes sont dépourvues d’intérêt, aucune idée forte n’en ressort. » Il admet avoir besoin d’un peu de temps pour mettre ses idées en place, et ses projets au clair.
La partie “planifiée” de son voyage ne représente qu'une portion de ce qu’il a vécu. L’Afrique après le Chili, par exemple, n’était pas prévue. Le voyageur, parti avec quelques notions d’anglais, a plus appris qu’il se l’imaginait. « Au départ, je voulais surtout étudier les méthodes de production alimentaire, mais tous les imprévus m’ont mené vers d’autres environnements et d’autres questionnements, concernant la société et la manière dont on se comporte avec les autres. »
Avec émotion, il parle de ces nombreuses fois où on lui a offert gîte et couvert alors qu’il ne demandait qu’à planter sa tente à côté d’une habitation.
« Souvent, ils n’avaient rien, et pourtant leur générosité était sans limites. »
« Certains villageois étaient vraiment pauvres, sans eau ni électricité chez eux. Et pourtant, ils m’offraient à boire et à manger. » Des anecdotes qui font chaud au cœur tout en laissant songeurs.
Son voyage s’est donc déroulé de village en village et de rencontre en rencontre. Il explique que le vélo est un excellent moyen de transport. « C’est considéré comme un véhicule pour les pauvres. Alors, quand on voit un blanc, souvent considéré comme riche, débarquer en vélo en Amérique du Sud, ça facilite les relations. » À l’aide d’un peu de Woofing (offrir ses services en milieu agricole en l’échange d’un logis) et de la générosité des habitants, Anthony a côtoyé de près le quotidien de populations très différentes de la nôtre.
J’ai toujours essayé de ne pas en profiter. J’avais toujours un peu de nourriture avec moi, au cas où. Mais très fréquemment, on m’invitait à manger. C’était presque inévitable?!
Ces années sur les routes du monde, il en a tiré des enseignements personnels. Pour autant, il est resté en contact avec l’école Diderot, à Clermont-Ferrand. La classe de CE2 avec qui il avait noué des liens à son départ est désormais en CM2. Durant son voyage, ils sont restés en contact grâce à Skype. Début janvier, il y retourne pour parler de son long périple. Ayant voyagé seul, il admet ressentir le besoin de communiquer sur son vécu. Il offre un point de vue original sur ces années, et le rapport des jeunes au voyage. « Avant, il y avait le service militaire obligatoire. Je ne suis pas forcément pour, mais au moins, on sortait de son milieu social pour rencontrer d’autres types de personnes. Maintenant, ce genre de choses n’existe plus vraiment. Il faut une famille aisée ou ouverte d’esprit pour partir en voyage. On se précipite souvent vers le monde du travail sans prendre le temps de remettre en question ses habitudes personnelles, ou penser autrement que son milieu social. »
L’aventurier tire un enseignement fort de son voyage. Il déclare avoir vu directement les effets du changement climatique : le désert qui avance, la saison des pluies qui retarde, la mer qui monte… Il souhaiterait vivre avec plus de sobriété, quitte à se passer d’un peu de confort. « Dans certains pays, il n’y a même pas de chômage : si on ne travaille pas, on n’a rien. Et là, on voit comment les gens s’entraident les uns les autres. » Selon lui, tout commence au niveau local et familial. Être capable de prendre soin de ses proches, ou de parler avec ses voisins, marque le début d’une plus grande chaleur humaine. Selon lui, la France est dotée d’excellents aspects : le climat est bon, l’assurance chômage et maladie est excellente. Il met aussi en relief la nécessité de sortir de sa zone de confort. « Cela permet de se confronter à d’autres réalités, et de voir l’histoire du monde sous d’autres angles. » Quand on voyage, l’histoire est contée par ceux qui l’ont vécue, et non plus par des livres.
Son site internet www.latitudesfood.org/ connaîtra bientôt un regain de vitalité. Laissons notre ami se reposer un peu avant de poursuivre son aventure, d’une autre manière probablement.
Anthony se rappelle quelques exemples d’agriculture intelligente. Dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, la culture des cacaoyers est mêlée à celle d’autres arbres fruitiers. Plantés proches les uns des autres, ils semblent se gêner alors que la réalité est toute autre : « En fait, les papayes et les manguiers plantés tout près ombragent les cacaoyers, tout en leur gardant une réserve d’eau sous la terre. » De même, il évoque une société zambienne qui propose à des paysans de consacrer deux hectares de leur terrain à une culture de haricots ou de pois cassés, qu’elle leur rachète ensuite. Cela fait vivre les petits producteurs apporte à des parcelles de terre une variété de nutriments, et réduit les problèmes liés à l’irrigation. Le bon sens de ces agriculteurs a frappé Anthony. « En Europe, on pratique surtout la monoculture intensive, et on en oublie d’être à l’écoute de la Terre et ses besoins. »
De Clermont-Ferrand, Anthony est parti en Espagne en passant par Saint-Flour. C’était en décembre 2016. De là, il est allé au Maroc, puis en Mauritanie et au Sénégal, jusqu’à Dakar. Il prit ensuite, en juillet 2017, le cap pour Bogota (Colombie) en avion. Il alla jusqu’au Chili en passant par l’Équateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili et l’Argentine. Tout le long, il aura longé la Cordilière des Andes. Fin juin 2018, il quitta le continent pour se rendre en Afrique du Sud (au Cap). Il traversa ensuite la Namibie, le Botswana, le Zimbaboué, la Zambie et la Tanzanie. « Je voulais finir par une montagne?! », s’amuse-t-il?; alors, il élut pour point final de son voyage le Kilimandjaro. Inutile de préciser qu’il a parcouru toute cette distance avec son vélo, un Histoire Bike conçu et assemblé à Clermont-Ferrand. Début décembre 2018, le voici de retour dans le Cantal après une escale à Genève. Il ne le cache pas : le dépaysement est grand…
Axel Vorotynzeff
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