Par Alexandra Tauziac
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Depuis plusieurs décennies, en divers endroits du monde, 2% à 10% des individus entendent un bourdonnement incessant. On l'appelle "le hum". Mais d'où vient-il ?

On l'appelle le "hum" (bourdonnement, vrombissement) . Ceux qui l'entendent le décrivent comme un bruit sourd, un bourdonnement semblable au moteur d'un camion tournant au ralenti, d'un orage lointain ou d'un avion volant à basse altitude. Il peut se déclencher de manière imprévisible, s'arrêter tout aussi soudainement. Sa durée tout comme son intensité sont variables.

États-Unis, Angleterre, continent européen, Australie : ce mystérieux son est entendu en divers endroits de la planète. Les premiers témoignages remontent aux années 1970-80 et ils se sont multipliés ces dernières décennies. Sur le site LEbruit.com , on en trouve même venant de Nouvelle-Aquitaine.

"Le soir lorsque le bruit est moins intense dans la maison ou quand je suis seule, j'entends un bourdonnement grave, comme si un avion passait à basse altitude au-dessus de ma maison, et quand je sors je ne l'entends plus", raconte ainsi Christelle, qui déclare vivre à Bordeaux. "Cela fait plusieurs semaines que j'entends ce bruit sourd et vibrant, surtout la nuit", raconte également Maryline, qui vit à Thairé, en Charente-Maritime. "Même lorsque je regarde la télé, je n'entends que ce bruit [...]. Comme si un avion volait tout bas ou un bruit de camion".

Si ces témoignages-là sont difficiles à authentifier, il existe des exemples emblématiques ayant fait l'objet de reportages et d'études scientifiques. C'est notamment le cas à Taos au Nouveau-Mexique, à Kokomo dans l'Indiana (États-Unis), à Bristol (Angleterre), ou encore à Windsor (Canada).

Acouphènes, bruit réel ou hallucination collective ?

À chaque fois, le scénario est le même : une partie de la population se plaint d'entendre un bruit persistant. Les personnes qui y sont sensibles affirment que ce son est apparu de manière soudaine et leur vibre dans les oreilles en permanence. Utiliser des bouchons d'oreille ou un casque anti-bruit n'y change rien. Elles continuent à l'entendre en continu, qu'elles soient à l'intérieur ou à l'extérieur et ne parviennent pas à identifier la source de ce vrombissement. Étrange. D'autant que seule une faible fraction de la population est concernée. Alors acouphènes ? Réalité ? Ou hallucination collective ?

De premières études ont été menées à Taos et Kokomo , respectivement en 1993 et 2003, afin de le vérifier. Première certitude le "hum" n'a rien à voir avec des acouphènes . Ces derniers sont des bruits internes (ressentis dans les oreilles ou la tête) qui ne sont pas émis par une source extérieure. De plus, les personnes qui en souffrent les entendent en permanence, où qu'elles se trouvent. Or le "hum" semble en général lié à une aire géographique (une ville, un État). "La plupart des personnes qui le perçoivent ne l'entendent plus lorsqu'elles quittent la zone", selon James P. Cowan, ingénieur en contrôle du bruit qui fut en charge de l'étude menée à Kokomo. La source du "hum" est donc extérieure, localisée . Sachant que la zone peut être très vaste, comme le prouve l'exemple du "Hum de Windsor. Dans ce cas, le bourdonnement ne se limite pas seulement à la ville mais serait aussi entendu à McGregor, distante d'une trentaine de kilomètres, et Cleveland, à plus de 144 kilomètres...

Et même si la fraction de la population capable de l'entendre est assez faible, (entre 2% et 10%), "ces personnes ne sont pas folles", affirme James P. Cowan. " Ce qu'elles entendent est réel ". Au mieux, le "hum" est pour elles extrêmement pénible. Mais dans un certain nombre de cas, il peut même s'accompagner de maux de tête, de nausées, diarrhées, de fatigue et de pertes de mémoire. Reste à savoir d'où il vient. Et c'est bien là le problème.

Un bruit jamais clairement localisé

À Taos, la batterie de mesures réalisées ont mis en évidence un champ électromagnétique élevé , provoqué par les lignes électriques locales, ainsi que des dysfonctionnements d'appareils électriques dans et autour des maisons des "victimes" du "hum", mais aucun signal acoustique n'a été détecté. Conclusion : le "Taos Hum" n'a pas pu être localisé.

À Kokomo, outre un champ magnétique élevé, les scientifiques ont détecté des sons basse fréquence provenant de deux installations industrielles . Une fois l'intensité de celles-ci réduite, certains des habitants qui se plaignaient d'entendre le "hum" ne l'ont plus ressenti. Mais la plupart des personnes affectées ont continué à l'être. Bilan : le "Kokomo Hum" n'a pas non plus été clairement identifié.

Le "Kokomo Hum" n'a pas été clairement identifié.
Le "Kokomo Hum" n'a pas été clairement identifié.
Wikimedia cc-by Cameronloyd03

À Bristol, les médias britanniques ont attribué le "hum" aux ondes émises par l'action des vagues sur le fond marin. Or "cela n'a rien à voir", soupire Fabrice Ardhuin, l'un des auteurs de l'étude sur le sujet . "Ce que nous appelons le bourdonnement de la Terre, ce sont des vibrations qui correspondent au mouvement de la croûte terrestre, qui monte et descend à des fréquences qui se comptent en milli hertz", explique-t-il. "On est loin de quelque chose qui vibre plusieurs fois par seconde. Donc lorsqu’on parle de bruit de la Terre, ce n’est pas au sens audible du terme ." Mais lors de la publication de l'étude, les chercheurs ont employé le mot "bourdonnement", autrement dit "hum". Beaucoup ont donc sauté sur l'explication "et n'ont rien compris", conclut le chercheur de l'Ifremer. Retour à la case départ donc, et aux coupables habituellement pointés par les experts sur place : les bruits basse fréquence émis par des activités industrielles et/ou les lignes électriques.

Les médias britanniques ont attribué à tort le "Bristol Hum" au "bruit de la Terre".
Les médias britanniques ont attribué à tort le "Bristol Hum" au "bruit de la Terre".
Wikimedia cc-by Adrian Pingstone

Quant à Windsor, où le "hum" sévit depuis 2011, les experts estiment que les coupables pourraient être les hauts fourneaux du producteur d'acier américain US Steel situés sur l'île Zug, du côté américain de la rivière Détroit. Mais selon le New York Times , la compagnie fait la sourde oreille et les autorités américaines refusent de coopérer, empêchant les experts de pointer la source exacte du "hum". Comme l'a résumé l'un des scientifiques, le professeur Colin Novak, essayer d'identifier le "Windsor Hum" revient à "chasser un fantôme".

Autant d'exemples qui montrent que si les experts ont des pistes sérieuses concernant le "hum", ils n'ont pas vraiment de certitudes, si ce n'est que son origine est humaine et que ses sources sont multiples.

Pourquoi le "hum" n'est-il entendu que par certains ?

Faute d'explication définitive, les théories complotistes et farfelues fleurissent sur internet. Mais pour l'heure, l'explication la plus communément admise est celle du géophysicien David Deming, auteur d'une étude globale sur le sujet en 2004 . Selon lui le "hum est plus qu'un simple bruit puisqu'il peut aussi se manifester sous la forme de vibrations ressenties à travers tout le corps".

"L'explication la plus probable est que certaines personnes ont la capacité d'interpréter des transmissions radio à certaines longueurs d'onde (notamment à basse fréquence) comme du son"

Voilà pourquoi tout le monde n'est pas sensible au "hum". Selon David Deming, seules 2% à 10% des personnes sont capables de l'entendre, ou plutôt le ressentir, puisqu'il ne s'agit pas d'un son à proprement parler. Et le fait qu'il s'agisse d'ondes radio expliquerait aussi pourquoi le "hum" peut se manifester à divers endroits de la planète, comme le montre la carte ci-dessous, qui ambitionne de recenser les occurrences du "hum". Cela expliquerait aussi pourquoi le phénomène est relativement récent.

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Et dans la mesure où le "hum" n'est "audible" que pour une petite fraction de la population, à qui il pourrit la vie pour dire les choses simplement, il ne faut pas non plus le confondre avec les autres "bruits" non expliqués qui peuvent survenir de manière ponctuelle. Comme le mystérieux "bip" entendu par les Inuits dans l'Arctique fin 2016 et pour lequel l'armée canadienne, dépêchée pour enquêter, n'a pas trouvé d’explication. Cela n'avait en tout cas rien à voir avec le "hum". Gare également aux nombreux canulars qui peuplent le web (et il y en a...).