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Exploration

Ultima Thulé : la récupération des Nazis qui embarrasse la NASA

Si le nom d'Ultima Thulé date de l'Antiquité et du Grec Pythéas, les Nazis en ont fait un continent mythique, polaire et englouti, foyer originel des Aryens. Cette référence aurait-elle dû empêcher la NASA de baptiser ainsi l'astéroïde survolé par New Horizons ?

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Ultima Thulé en relief, si on le regarde avec des lunettes 3D anaglyphes.

Ultima Thulé en relief, si on le regarde avec des lunettes 3D anaglyphes.

Credit: NASA/Johns Hopkins University Applied Physics Laboratory/Southwest Research Institute

C’est une polémique que la NASA n’avait pas vu venir. Sa sonde New Horizons a réussi le 1er janvier 2019 le survol d’un petit astéroïde en forme de bonhomme de neige situé à 6,5 milliards de km du Soleil, un corps astral de 31 km de long que l’Agence spatiale américaine a choisi de surnommer Ultima Thulé. Bref, le champagne est de sortie, mais les bulles ne passent plus. Car la NASA se voit désormais reprocher le nom d’Ultima Thulé…

Ultima Thulé est pour les auteurs antiques la fin du monde connu

Si les astronomes de la NASA l’ont choisi, c’est en référence à l’île de Thulé. Jamais placée de façon certaine sur une carte, elle a été mentionnée dès l’Antiquité par un Grec voyageur, Pythéas de Marseille. Ce morceau de terre du nord extrême (peut-être les îles Féroé, entre l’Islande et la Norvège) est devenu dès lors pour les auteurs antiques la fin du monde connu ; voilà l’Ultime Thulé ! "Il ne semble pas que Pythéas y soit allé, explique à Sciences et Avenir l’archéologue et ancien président de l’Inrap Jean-Paul Demoule ; il en a entendu parler, comme située à six jours de navigation vers le nord. Mais l’oeuvre originale de Philéas est perdue, elle n’est donc connue que par des citations par d’autres auteurs".

Une référence féconde, puisqu’elle est devenue une puissante source d’inspiration pour d’innombrables auteurs, comme l’expose dans son essai La Survie littéraire de la Thulé de Pythéas l’historienne belge Monique Mund-Dopchie. C’est ainsi que Virgile et Sénèque ont présenté Thulé comme "un pays des confins, une terre ultime", selon l’expression de la philologue. Une frontière égrenée au long des siècles : on la retrouve aussi bien chez Milton (Le Paradis Perdu), Flaubert (La Tentation de Saint-Antoine), Julien Gracq (Le rivage des Syrtes) ou Umberto Ecco (Le pendule de Foucault) relève Monique Mund-Dopchie.

"La société de Thulé sera fréquentée par certains idéologues du futur parti nazi"

Hélas, Hitler et ses sbires l’ont aussi récupérée en chemin. "Les Nazis ont en fait le foyer originel des Indo-Européens ou Aryens, continent mythique polaire et englouti" nous explique Jean-Paul Demoule, auteur du livre Mais où sont passés les Indo-Européens ? Le mythe d’origine de l’Occident (édité au Seuil en 2014). En fait, c’est dès 1917 que l’aventurier allemand d’extrême droite Rudolf Glauer fonde une « société de Thulé » dont l’emblème est un poignard surmonté d’une croix gammée, en référence à ce berceau fantasmé des Aryens. "La société de Thulé sera fréquentée par certains idéologues du futur parti nazi, comme Alfred Rosenberg ou encore l’écrivain antisémite Dietrich Eckart, mort en 1923 et maître à penser d’Adolf Hitler, qui lui dédiera le second tome de Mein Kampf", écrit Jean-Paul Demoule dans Mais où sont passés les indo-européens ?.

En France, la notoriété de cette société de Thulé connaît un renouveau dans les années 60 avec le livre Le matin des magiciens, compilation d’une série de sujets sensationnalistes et parascientifiques, dont une partie - "qu’il est difficile de parcourir sans malaise" relève Jean-Paul Demoule – est consacrée à Hitler et aux Nazis. "L’obscure société de Thulé, l’une des composantes initiales du parti nazi mais disparue dès 1925, devient ‘un instrument capable de changer la nature même de la réalité’, ‘une société secrète d’initiés en contact avec l’invisible’ et un ‘centre magique du nazisme’" rapporte Demoule dans son ouvrage.

Cet usage d’Ultima Thulé aurait-il dû empêcher la NASA d’employer ce nom ? Pendant une conférence de presse rapportée par le site Space.com, l’un des maîtres d’œuvre de New Horizons a voulu tordre le cou à la controverse le choix de l’Agence spatiale : "New Horizons est sans doute l’un des meilleurs exemples de notre époque d’une exploration totale, et le nom d’Ultima Thulé, qui est très ancien, en est un merveilleux synonyme" a expliqué Alan Stern du Southwest Research Institute. "C’est la raison pour laquelle nous l’avons choisi : et ce n’est pas parce que des sales types ont aimé ce nom que nous allons les laisser se l’approprier". De quoi clore le débat ?

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