Initier les enfants au code, un apprentissage d’utilité publique 

Chaque enfant devrait aujourd’hui pouvoir apprendre à coder. Si certaines associations s’attachent à relever ce défi, l’Education nationale n’en est pas encore là.

Par Julia Vergely

Publié le 06 janvier 2019 à 12h00

Mis à jour le 30 juin 2021 à 12h28

«Au triptyque lire, écrire, compter, nous ajoutons coder ! » avait lancé en 2015 Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Education nationale, pour annoncer l’entrée dans les programmes de ce drôle d’animal qu’est le code. La phrase avait fait polémique. Coder ? L’apprentissage de la pensée informatique est-il si indispensable, s’interrogeaient alors nombre d’enseignants et de parents. Où en est-on aujourd’hui ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y a jamais eu autant d’ateliers payants proposant aux enfants des cours de code. Il existe un bonne vingtaine de sociétés, partout en France : Code Code Codec, Abracodabra, Magic Makers… En novembre dernier, par exemple, le festival du code créatif Grow Paris proposait une initiation, exceptionnellement gratuite, aux enfants de tout âge. On y croisait Ronan, petit blondinet super à l’aise du haut de ses 8 ans. « Tu vois, je veux que mon bonhomme marche sur la lune, alors j’ai fait un script, c’est très simple. » Il faisait une démonstration fort convaincante à l’aide du logiciel Scratch for kids – développé par le MIT pour que les enfants puissent aisément construire des algorithmes – tout en filant un coup de main à sa camarade Olga, qui elle essayait de faire dire « bonjour » à son personnage. « Ça me faisait peur au début, mais en fait c’est rigolo », commentait-elle fièrement. Ronan avouait que s’il était si calé et enthousiaste, c’est parce que son père était programmeur et que lui voulait fabriquer des robots quand il serait plus grand. Plus loin, Riham regardait ce que son fils Alex, 7 ans et demi, avait réalisé : « Je suis moi-même designer d’interface, je l’ai inscrit à l’atelier parce que je voulais qu’il comprenne comment fonctionne l’avant-jeu. Maintenant il veut qu’on installe le logiciel à la maison ! »

De là à conclure que ces ateliers s’adressent à des enfants d’un certain milieu, il n’y a qu’un pas. « Envisager ce genre d’activité n’est pas un réflexe pour tous les parents, c’est évident. J’adore ce que font des sociétés comme Magic Makers mais ils comblent, en partie, une carence de l’école, et cela crée des discriminations supplémentaires », explique Gille Dowek, chercheur à Inria (Institut national de recherche en informatique et en automatique) et coordinateur du Conseil de la société informatique de France. En partant de ce constat, Céline Godin Dartagnan a imaginé une solution pour toucher une population plus large. « J’ai grandi à Malakoff, entre trois cités, avec des parents qui avaient quitté l’école à 13 ans. Petite, j’écrivais les chèques pour ma mère, explique cette consultante en planning stratégique chez TF1, d’origine arménienne et touareg d’Algérie. Le bibliobus qui passait en bas de chez moi a été mon ouverture au monde et à la lecture. Pour fonder une école du code, j’ai imaginé un Coding Bus gratuit. Le monde est devenu fondamentalement numérique et il est indispensable d’en connaître les rouages. Le bus doit permettre d’aller surtout dans les zones rurales et d’éducation prioritaire qui n’auraient jamais accès à un tel enseignement. »

Aidé par la fondation de son entreprise et plusieurs partenariats, notamment avec Microsoft – qui fournit les tablettes et logiciels – et la RATP – qui a prêté le premier bus aménagé –, le Coding Bus a pu voir le jour en octobre 2018. Il a été testé auprès d’une classe de 6e d’un collège de Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, et d’une classe de CM1 d’un groupe scolaire de Villiers-le-Bel, dans le Val-d’Oise. « Les élèves étaient ravis ! Ils ont vécu ça comme une sortie scolaire et ont appris plein de choses, notamment à coder avec Scratch », s’enthousiasme Céline Godin Dartagnan, qui a enfin pu acquérir un premier bus qui devrait bientôt commencer à sillonner les routes de France à la rencontre des élèves.

Atelier pour apprendre à coder, chez Magic Maker.

Atelier pour apprendre à coder, chez Magic Maker. © Magic Makers

Le réseau d’écoles – ou plutôt de fabriques – Simplon lui a aussi été d’une grande aide. Cette start-up forme, gratuitement, des personnes éloignées de l’emploi – mais aussi des réfugiés ou des personnes en situation de handicap – à l’apprentissage des technologies et du numérique, ainsi qu’à devenir développeurs web. Les formations sont gratuites et chaque « apprenant », selon le terme consacré, est redevable et doit à son tour jouer les médiateurs lors d’ateliers pour enfants, de 3 à 18 ans. « On va en priorité dans les ZEP, en développant une approche très ludique, par le jeu et l’erreur. Apprendre à se tromper, c’est très important pour un enfant. Les apprenants enseignent à leur tour, ce qui est très valorisant pour eux, et certains se découvrent même des vocations de médiateurs », explique Lucie Jagu, chargée du programme Simplon kids. « Nous participons à la semaine européenne du code [qui a lieu en octobre, la 42e semaine de l’année, ndlr] et au projet Hour of code, qui sont autant d’opportunités d’initiation dans les écoles et les tiers-lieux. » Simplon possède également un programme à destination des enseignants qui leur fournit, clé en main, des mooks sur le code et la pensée informatique, en fonction du niveau de leurs élèves et du temps disponible.

Parce que ne serait-ce pas à l’école de s’emparer d’un tel enseignement ? « Aujourd’hui, l’apprentissage de l’informatique est inscrit dans les programmes mais il est laissé à la discrétion des professeurs de mathématiques ou de technologie motivés. Nous avons un grand besoin d’enseignants spécifiques et donc de réfléchir sérieusement à leur formation. En primaire, l’enseignement de l’informatique est suivi d’un manière inégale. Ce n’est pas une question de moyens, mais plutôt de savoir et de volonté des professeurs des écoles. Souvent, ils ne comprennent pas trop ce qu’on leur demande » précise Gilles Dowek. Pour venir en aide aux enseignants et les former aux sciences informatiques, il y a la fondation La main à la pâte, qui a rédigé plusieurs ouvrages, dont le désormais classique 1, 2, 3… Codez !, et qui organise des formations tout au long de l’année. « L’apprentissage du code aux enfants permet de démystifier l’ordinateur. Qui comprend comment une machine fonctionne devient acteur, et non simple consommateur. Les sciences informatiques apportent une façon de penser, de conceptualiser, via la pensée algorithmique ainsi qu’une façon d’analyser les problèmes complexes pour mieux les résoudre ensuite », explique Nathalie Pasquet, professeure des écoles et membre de la fondation La main à la pâte.

Apprentissge du code, par la fondation la main à la pâte.

Apprentissge du code, par la fondation la main à la pâte. © Fondation La main à la pâte

Pour Gilles Dowek, le rôle de l’école est essentiel : « L’école a deux fonctions que je considère d’égale importance. Premièrement, préparer les élèves à vivre libres dans le monde qui est le nôtre, c’est-à-dire leur donner des connaissances dans un but relativement désintéressé. Deuxièmement, les préparer à avoir un métier. Et là il faut que les enseignants aient conscience que quel que soit ce métier, leurs élèves auront tous besoin de connaissances informatiques. » Est-ce alors une question de moyens ? Toutes les écoles ne sont pas équipées de matériel informatique dernier cri, loin de là. « Par chance, l’apprentissage du code et des concepts informatiques peut se faire sans ordinateur, c’est-à-dire dans l’espace réel, avec du papier et un crayon par exemple », précise Nathalie Pasquet. Gilles Dowek cite avec entrain plusieurs exemples d’activités déconnectées qui peuvent se faire aisément en classe sans écran, autour de la notion d’adresse email et de routage, on peut même construire des algorithmes à partir des règles de conjugaison : « La question des moyens n’est donc pas essentielle. » Car c’est bien l’école qui permettra de garantir l’égalité des chances de tous les enfants dans l’apprentissage.

Sur le même thème

Cher lecteur, chère lectrice, Nous travaillons sur une nouvelle interface de commentaires afin de vous offrir le plus grand confort pour dialoguer. Merci de votre patience.

Le magazine en format numérique

Lire le magazine

Les plus lus