Jugée "meilleure au goût" que le tabac, moins "dangereuse" et "plus saine", l'herbe de cannabis a une image positive et "dédramatisée" auprès des adolescents, selon une étude de l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) publiée mardi.

La contrebande de tabac sur Internet pèserait déjà entre 4 et 5 % du marché français.

afp.com/JOEL SAGET

Les coups de filet sont rares, mais celui-là était juteux. En mars dernier, à Villeurbanne, dans la banlieue de Lyon, les gendarmes français ont interpellé sept personnes qui stockaient dans un discret entrepôt quelque 2,4 tonnes de cigarettes, soit plus de 120 000 paquets. Ce réseau revendait ces cigarettes de contrebande sur Facebook entre 3 et 5 euros le paquet, contre 8 euros en moyenne chez un buraliste. Un magot estimé à près de 600 000 euros.

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Officiellement, la vente et la distribution de tabac sur le Net sont totalement interdites en France. Reste que le trafic de cigarettes sur la Toile a littéralement explosé depuis deux ans. Certes, les fins limiers des Douanes ont fait quelques jolies prises ces derniers mois, largement médiatisées par le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, et les amendes viennent d'être doublées (de 2 500 euros à 5 000 euros). Mais cet arsenal reste insuffisant pour enrayer l'essor du phénomène.

Une contrebande qui pèse près de 5 % du marché français

A combien se monte cette fraude ? Difficile de quantifier ce trafic 2.0. Selon les industriels, il pèserait déjà entre 4 % et 5 % du marché français, estimé à 18 milliards d'euros. Un récent rapport du cabinet KPMG - largement alimenté par l'industrie -, évalue à 88 millions le nombre de paquets de cigarettes écoulés sur le Web en 2017. La tendance s'est encore accélérée l'an passé avec l'augmentation de 1 euro du prix du paquet en mars. Du coup, le cap des 100 millions de paquets de contrebande vendus sur la Toile dans l'Hexagone devrait avoir été franchi.

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Il faut dire que le grand écart sur les prix du paquet en Europe - largement lié au poids des impôts - est un véritable pousse-au-crime : de 2,70 euros en moyenne en Bulgarie à 3,50 euros en Lettonie et en Roumanie, jusqu'à 11,30 euros en Irlande. Pour ces fraudeurs de la clope, le business est enfantin : il suffit d'acheter en toute légalité des cartouches là où les prix sont bon marché et de les revendre dans les pays où le tabac est surtaxé, 30 à 50 % moins cher que le prix affiché. Dans tous les cas, la marge reste généreuse.

Ainsi, des dizaines de sites Internet spécialisés ont prospéré, sans être inquiétés, depuis le Luxembourg ou la Pologne. "tabac-boutique.com", "tabac-online.eu" ou "cigarettespacher.fr" font un carton. Le premier, "tabac-boutique.com", a enregistré quelque 240 000 connexions par mois après le nouveau coup de bambou sur les prix en France au printemps 2018, contre 160 000 en 2017. Dans 95 % des cas, les connexions sont faites à partir d'un ordinateur situé dans l'Hexagone.

Des mafias organisées sur les réseaux sociaux

Mais un business plus opaque, plus mafieux aussi et encore plus difficile à démonter est en train de se développer à grande vitesse : les ventes sur les réseaux sociaux. Une fraude qui passe essentiellement par Facebook, à l'aide de "rabatteurs" sur Snapchat ou Instagram. La méthode ? Des groupes fermés, où seul le chef de file peut accepter un nouveau membre, proposent à la vente des cartouches de cigarettes, en général entre 30 et 50 euros l'unité. Les clients intéressés contactent ensuite le vendeur par message privé et les numéros de portable sont échangés.

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La livraison s'opère dans la rue et même à domicile. "Pour plus de discrétion, certains groupes ont même développé leurs propres réseaux de coursiers en scooter, à l'image des livreurs de pizzas", explique le représentant français d'une grande marque de cigarettes. Ni vu ni connu. Le paiement s'effectue en cash ou par virement bancaire. Rien que sur Facebook, près de 350 "groupes" auraient été identifiés, qui réunissent parfois plusieurs dizaines de milliers de membres.

Grosses pertes de recettes fiscales

Bercy commence à sérieusement s'inquiéter du phénomène. Car autant de paquets en moins vendus dans les bureaux de tabac, c'est autant de millions en moins dans les caisses de l'État. D'après les informations recueillies par L'Express, ce sont plus de 600 millions de recettes fiscales - taxes et TVA - qui lui échapperaient. Un montant équivalent à ce que la hausse des prix a théoriquement dû rapporter en 2018...

De fait, les services de l'État semblent débordés par cette "numérisation de la vente à la sauvette". "Les Douanes cherchent à attraper des marchandises alors que la vente sur Internet se stoppe par le démantèlement des réseaux, se plaint un dirigeant de l'industrie. Seule la police sait le faire." Sauf qu'elle n'en a pas les moyens. Sur la Toile, elle se concentre sur le trafic de drogue ou d'armes.

Dans la réalité, la justice sanctionne peu les trafiquants de tabac, pourtant passibles de dix ans de prison. Elle se concentre surtout sur les gros bonnets de la drogue. Ce sont pourtant souvent les mêmes personnes, les mêmes bandes organisées. "La vente de tabac permet de gagner de l'argent rapidement pour ensuite acheter de la drogue ou des armes", reconnaît un cadre du ministère de l'Intérieur.

"Chercher une aiguille dans une botte de foin"

Pour les douaniers, débusquer ces nouveaux "criminels de la clope" revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. "Cyberdouane", le service créé pour débusquer les fraudes sur Internet, ne dispose que de 15 agents pour lutter contre tous les trafics : tabac, drogue, armes, alcool, médicaments... Les réseaux de contrebande sont en outre diffus. "Les trafiquants se font livrer par centaines de kilos des cartouches provenant de Belgique, d'Espagne, d'Andorre ou du Luxembourg, explique Luc Perigne, le responsable des enquêtes douanières. Mais ensuite, ils revendent la marchandise à des grossistes régionaux qui l'écoulent sur Internet via des revendeurs dans chaque ville."

Quant aux contrôles physiques dans les centres de tri, la tâche est herculéenne. Dans le grand centre de La Poste à Chilly-Mazarin (Essonne), 20 000 colis provenant de l'étranger transitent chaque jour... Même 17 douaniers présents sur place ne suffisent pas à effectuer tous les contrôles ciblés nécessaires. D'autant plus que La Poste est attentive à maintenir sa cadence pour tenir ses délais de livraisons, le nerf de la guerre face à Amazon. "On ne doit pas être un frein au commerce", admet Luc Perigne, qui ne cache pas que les réseaux sociaux ont démultiplié les débouchés. Sachant qu'Internet est tout de même surveillé, beaucoup de petits trafiquants n'utilisent la Toile que le temps d'avoir établi leur clientèle. Ensuite, ils disparaissent de Facebook et ne revendent leurs cigarettes qu'en direct, ce qui rend leur arrestation quasi impossible.

Les filiales françaises des majors du tabac trinquent

Officiellement, les industriels du tabac se plaignent, eux aussi, de ce trafic qui leur échappe. Ces derniers mois, Philip Morris s'est lancé dans de nombreuses batailles judiciaires contre certains de ces sites spécialisés. Le groupe américain en a récemment gagné une. Après deux ans de procédure, le site "tabac-boutique.com" ne sera plus accessible depuis la France. En juillet dernier, le tribunal de grande instance de Paris a ordonné que les opérateurs télécoms bloquent son accès aux internautes français.

De fait, les filiales françaises des majors du tabac perdent du chiffre d'affaires dans l'Hexagone et leurs marges baissent. Mais ce sont des groupes mondialisés, présents dans la plupart des pays du globe. "Ce qu'ils perdent en France, ils le rattrapent ailleurs", commente un observateur. "C'est vrai qu'Internet nous aide à maintenir nos volumes, reconnaît sans gêne le responsable français d'un des quatre grands fabricants. Mais nos marges sont plus élevées pour un paquet vendu en France qu'à l'étranger", tempère-t-il.

Certes, les industriels profitent ainsi des différences de fiscalité en Europe pour maximiser leurs ventes. Mais les cigarettes qui se retrouvent en vente sur le Net peuvent aussi venir de beaucoup plus loin. "La plupart des paquets vendus sur Facebook sont fabriqués par Philip Morris en Algérie (voir l'encadré) ou en Ukraine, explique un concurrent. Ils produisent là-bas beaucoup plus que la consommation locale." La suspicion que les fabricants alimentent eux-mêmes la contrebande s'intensifie... au point de susciter la jalousie !

Les blondes de Marlboro, une des marques phares de Philip Morris, représentent l'essentiel des cigarettes vendues sur les sites de contrebande... "Moi aussi, j'aimerais bien trouver mes clopes sur la Toile !" s'amuse un concurrent d'une marque moins connue. En plus de gagner des volumes, ces sites Internet de contrebande sont une vitrine inédite pour les fabricants de tabac. "En France, la publicité pour le tabac est interdite, abonde un bon connaisseur du secteur. Être présent sur Internet est une super pub, gratuite, qui permet de contourner la loi sans être sanctionné !" Gagnant à tous les coups...

ZOOM : L'Algérie, la plaque tournante

A Marseille, chaque jour, des ferrys accostent en provenance d'Algérie. Des milliers de passagers et, chaque fois, la même routine. Les douaniers contrôlent quelques passagers et trouvent des cigarettes rapportées d'Algérie. Mais les trafiquants sont tellement nombreux à passer entre les mailles du filet qu'ils reviennent à chaque traversée.

Une bonne partie des cigarettes de contrebande vendues sur Facebook sont des Marlboro provenant d'Algérie. Marseille est, de loin, la principale porte d'entrée. Le marché algérien pèse 30 milliards de cigarettes par an. Et près de 2,5 milliards arrivent en France par la capitale phocéenne. Des flux si importants que les Douanes ne peuvent pas tout contrôler.

En France, le trafic de cigarettes est largement alimenté par l'Algérie. Les majors du tabac estiment que les Marlboro fabriquées là-bas représentent 26 % de la contrebande de tabac en France ! Les concurrents de Philip Morris l'accusent d'alimenter ce trafic en soulignant que le leader mondial du tabac produit en Algérie beaucoup plus de cigarettes qu'il n'en vend dans le pays.

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