Secrets d'artiste

5 idées reçues sur Camille Claudel

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Publié le , mis à jour le
Les tourments de son existence comme son histoire passionnelle avec Rodin ont nourri la légende de Camille Claudel. Jusqu’à produire quelques clichés et occulter, parfois aussi, sa carrière d’artiste… L’heure de vérité a sonné.

1. Rodin lui a tout volé

C’est faux ! L’idée-même vient de Camille Claudel. Quelques jours après son internement en mars 1913, elle accuse : « C’est Rodin qui se venge et qui veut mettre la main sur mon atelier. » L’idée est ancrée chez les défenseurs de la sculptrice. S’il est vrai que les productions de Claudel et de Rodin durant leur relation, entre 1884 et 1898, sont proches, les influences sont réciproques – c’est ce qui ressort par exemple d’une comparaison de deux figures de Femmes accroupies réalisées à peu d’intervalle. Camille était plus collaboratrice qu’élève, se targuant d’assister le maître dans l’exécution des Bourgeois de Calais. Deux détails achèvent de démentir la rumeur : que Camille Claudel elle-même ait déclaré vouloir se libérer de l’influence de Rodin, et que ce dernier se soit montré favorable, dans ses vieux jours, à ce qu’un espace de son futur musée soit consacré à l’œuvre de Claudel.

Auguste Rodin, Les Bourgeois de Calais
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Auguste Rodin, Les Bourgeois de Calais, 1884–1889 (fonte 1895)

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Bronze • 2,39 m x 2,10 m x 1,80 m • Coll. musée Rodin, Paris • © Jean-Claude N’Diaye / LA COLLECTION

2. L’élève ne dépassera jamais le maître

Faux ou du moins, subjectif ! « On ne parle pas d’une statuette de Tanagra sur le même ton que de la frise du Parthénon. » Cinglante sentence lancée par un journaliste suisse à Mathias Morhardt, pour redescendre l’élève bien en dessous du maître. Il est vrai que, sur une période plus restreinte, l’œuvre de Claudel n’a pas investi tous les champs de la statuaire au contraire de celle de Rodin, qui s’est imposé comme la référence internationale. Le problème est qu’envisager l’art de Camille dans une comparaison systématique à celui d’Auguste les dessert tous les deux. Malgré leur inscription dans un même mouvement esthétique, ils épousent des registres différents : plus introspectif pour elle, plus sensuel pour lui. D’ailleurs, le maître lui-même a regretté que sa collaboratrice ne soit pas appréciée à sa juste valeur et présageait que l’histoire reconnaîtrait un jour sa grandeur.

Camille Claudel, Buste de Rodin
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Camille Claudel, Buste de Rodin, 1888–1889

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Bronze • 40,4 × 24,6 × 28 cm • Coll. musée Rodin, Paris • © Collection Dagli Orti / Musée Rodin Paris / Gianni Dagli Orti / Aurimages

3. Personne n’a reconnu son talent de son vivant

À nuancer… On le sait, il était plus difficile de s’imposer dans le milieu artistique pour une femme, a fortiori pour une sculptrice. Camille n’échappe pas à la règle et il est certain que sa renommée aurait été autre si elle avait été un homme (mais son art aussi). Remarquée dans sa jeunesse par Alfred Boucher, admirée de Rodin, Camille marque aussi la critique de son temps avec, dès 1885, une mention très élogieuse de son buste de Paul en jeune romain, par le renommé Paul Leroi. Dans la décennie suivante, des noms aussi prestigieux que ceux de Camille Mauclair, Mathias Morhardt ou Octave Mirbeau célèbrent le génie de Camille Claudel, enfin élevée en gloire par le fameux article de son frère Paul : Camille Claudel, statuaire (publié en 1905 puis en 1913). Malgré ce succès critique et de rares commandes publiques, Camille Claudel a souffert d’une situation de grande pauvreté, qui a participé à sa chute psychique, et il est vrai que, de son internement à sa mort en 1943, elle a manqué d’une juste reconnaissance.

Camille Claudel, Jeune romain (Portrait du frère de l’artiste)
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Camille Claudel, Jeune romain (Portrait du frère de l’artiste), 1884

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Bronze, patiné noir • 51 × 44 × 25 cm • Coll. Musée des Augustins, Toulouse • © akg-images

4. On a tout fait pour l’isoler

C’est vrai, pour la famille Claudel en tout cas. En mars 1913, quelques jours après la mort de leur père Louis-Prosper, Paul Claudel demande plusieurs expertises médicales en vue d’un internement forcé de sa sœur. Ceux-ci convergent, décelant une forme de psychose paranoïde. L’éloignement forcé de Camille, à Ville-Évrard, à Enghien puis à Montfavet près d’Avignon alors qu’elle demandait régulièrement à être transférée à l’hôpital Saint-Anne à Paris ou encore de revenir à Villeneuve-sur-Fère, ne permet pas de dissiper ce trouble pesant sur le « clan Claudel ». L’attitude de Paul reste pourtant ambiguë, entre tendresse et silence, l’auteur de Tête d’or ne s’étant pas publiquement exprimé sur l’art de sa sœur entre 1913 et… 1943. De peur que son nom soit associé à celui d’une aliénée ? En revanche, Rodin n’a eu aucune influence sur une décision familiale, ce qui l’aurait attristé. Si cruelle soit l’histoire, il est impossible de juger objectivement un cas privé depuis l’extérieur, plus encore quand il s’agit de personnes disparues.

Famille Claudel sur le balcon de l’appartement du 31 boulevard de Port Royal
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Famille Claudel sur le balcon de l’appartement du 31 boulevard de Port Royal

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Camille Claudel apparaît au milieu, au troisième plan.

© Leemage

5. Son histoire avec Rodin l’a fait sombrer dans la folie

Faux, naturellement. L’idée de l’artiste romantique précipitée dans la mélancolie, puis dans la paranoïa, à la suite d’un chagrin d’amour a largement intégré l’inconscient collectif à travers le cinéma et la littérature. Sans jouer les psychiatres d’une morte, il est clair que les troubles de la conscience viennent avant tout de problèmes internes, même si un certain contexte – pauvreté, sentiment d’abandon, accès mystiques… – a manifestement fragilisé encore plus l’artiste. Quoi qu’il en soit, le livre d’Anne Delbée (Une femme, 1982) et le film de Bruno Nuytten (Camille Claudel, 1988), ont accéléré la redécouverte de l’artiste par le grand public et, à côté des travaux de chercheurs comme Jacques Cassar et Anne Rivière, ont permis une meilleure connaissance de sa vie et de son travail. Aujourd’hui et après moult expositions, Camille Claudel a son propre musée à Nogent-sur-Seine. Lors de ventes, ses œuvres atteignent des prix record n’ayant rien à envier à celles de Rodin. On peut dire que justice est enfin rendue.

Camille Claudel de Bruno Nuytten avec Gérard Depardieu et Isabelle Adjani
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Camille Claudel de Bruno Nuytten avec Gérard Depardieu et Isabelle Adjani, 1988

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© Bridgeman Images

Retrouvez dans l’Encyclo : Auguste Rodin Camille Claudel

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