Vous avez un papounet à qui vous pouvez vous confier, sans crainte de ses réactions : « Tu sais papa, j’ai rencontré quelqu'un, c’est du sérieux ». Vous vous engueulez avec des parents aimants qui finiront toujours par vous dire : « L’important, c’est que vous soyez heureux ensemble ». Même si votre partenaire ne correspond pas à leur idée du « gendre idéal ». Vous avez des frères et sœurs qui ne se mêlent pas de vos choix amoureux. C’est votre affaire, et ils ont déjà assez à faire avec les leurs. Savourez, exultez. Parce que toutes les femmes n’ont pas cette chance.

Il y a des jours où l’on peine à imaginer que certains faits divers se passent en France. Ainsi, quand les Haddad, de la banlieue de Tours, ont appris que depuis cinq ans, leur fille, nièce et sœur, filait en secret le parfait amour et comptait épouser l’élu de son coeur, le clan a vu rouge. Car, scandale, le chéri n’est pas kabyle. En tous cas c'est ce qu'a expliqué la famille. Pour empêcher cette mésalliance, ils ont organisé en parallèle un mariage arrangé avec un cousin en Algérie.

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C’est donc ce qui est arrivé à Mounia Haddad, 31 ans, cadre administrative au CHU de Tours, et élue LaREM au Conseil départemental d'Indre-et-Loire. À la mi-novembre, son père Karim, ses oncles Mohamed et Omar ont été condamnés à des peines allant de 18 mois à deux ans et demi de prison ferme, pour avoir enlevé Mounia en juillet dernier à Antibes, où elle s’était installée, (pour ne pas dire réfugiée), avec Slimane, son compagnon. Le père et les tontons flingueurs de l’amour l’avaient localisée, et poussée dans une voiture pour la ramener de force en Touraine. Il a fallu l’intervention de la police pour la délivrer. Marlène Schiappa est-elle au courant de cette histoire ? Sans doute. Des Twittos l’ont interpellée, avec le hashtag #MouniaHaddad.

 "Pas de pute chez nous, casse toi"

Entre temps, la conseillère départementale a reçu de charmants SMS de son petit frère, Zakaria : «Remets un pied ici et je te mets une balle dans la tête. Pas de pute chez nous, casse-toi. » (C’est là qu'on se dit, « il est pas mal finalement, mon frangin !») À une sœur passée dans le camp du père, Zakaria a aussi écrit « Il faut qu’elle meure, il faut vider son compte ». Il y a du crime d’honneur (et de l’escroquerie) dans l’air.

Le frère a d’ailleurs été condamné à 10 mois de prison avec sursis pour menaces de mort.

On apprend aussi dans La Nouvelle République que les Haddad avaient prévu une visite chez un gynéco algérien pour vérifier la virginité de Mounia. Rien d’étonnant : il y a quelques années, j’avais enquêté sur ces femmes qui subissent une hyménoplastie, une réfection de l'hymen, dans des cliniques privées parisiennes pour pouvoir se marier « vierge ». J’avais alors reçu d’innombrables mails de jeunes femmes paniquées en quête d’une adresse pour pouvoir se marier "vierges", ou d’un gynéco complaisant. A se demander comment certaines familles engluées dans la tradition,  réagiraient si leur fille recevait le Médicis ou un prix Nobel. Est-ce que la seule chose qui les intéresserait serait « Oui mais est-ce qu’elle est encore vierge ? »

L’histoire de Mounia Haddad rappelle évidemment toute une flopée de films sur le sujet comme Noces, de Stephan Streker. Zahira, belgo-pakistanaise de dix-huit ans est très proche des membres de sa famille jusqu’au jour où on lui impose un mariage traditionnel. Il ne faut surtout pas qu’elle sorte avec un Belge, et vive à l’occidentale, comme ses copines. Son rêve de liberté, Zahira le paiera cher : poignardée à mort par son frère, pour l’ « honneur » de la famille.

 "Je suis assez grande pour me trouver un mec toute seule"

En France, des Mounia, il y en a bien plus qu’on ne le croit. Je ne parle pas de ces gamines qui croient partir en vacances au Maghreb, et dont on prémédite le viol (pardon, le « mariage » forcé) et saccage la vie. Je parle de ces célibataires ou divorcées, considérées comme d’éternelles mineures bien qu’indépendantes financièrement, par des familles qui n’acceptent ni leur autonomie, ni leur liberté sexuelle. 

Je me souviens des confidences d’amies de culture marocaine. S. par exemple, parisienne, 42 ans à l’époque, divorcée, bloggeuse. Elle s’est fait tabasser par son frère aîné, directeur d’une salle de sport en banlieue parisienne. Il n’avait jamais vu d’un bon œil le mariage de sa sœur avec un « Français ». Traduire : non issu de l’immigration maghrébine. Ni sa liberté de femme séparée. Lui aussi avait organisé un mariage arrangé à l’insu de sa sœur, au Maroc. Quand il a voulu lui présenter son « fiancé », S. a explosé : « Je t’ai demandé quelque chose ? J’ai 42 ans putain, occupe toi de tes fesses ! Je suis assez grande pour me trouver un mec toute seule ! » Mais… C’est que l’aîné s’était engagé. Son « honneur » étant en jeu, il a tabassé sa soeur. A coups de poings. A quand un mouvement #BalanceTonMariageForcé, pour que la parole se libère ? Et que la honte change de camp. 

J’ai souvent demandé à mes copines, sidérée par une certaine indulgence pour leur famille, « mais enfin, à ton âge, pourquoi tu ne coupes pas les ponts avec eux ? » Bien que traitées de « kharba » (pute), accusées de coller la « hchouma » (la honte), à la famille, elles continuaient d’invoquer le « respect » dû aux parents, alors même que ceux-ci, clairement, ne les respectaient pas eux-mêmes. Respect ou soumission à l’emprise familiale ? Immanquablement, il y a toujours un moment où je disais : « Tu as lu Parents toxiques ? Dans ce best-seller Suzan Forward a bien décrit le comportement de ces parents manipulateurs, dominateurs, psychologiquement violents et intrusifs, mais toujours « pour le bien »  de leur fille.

Un livre que nous devrions toutes lire. On comprend qu’il est illusoire d’espérer que des parents malveillants, par névrose ou au nom d’une tradition, changent, même en leur répétant en boucle, « Papa, maman, j’aimerais juste que vous soyez heureux pour moi ». Les seules choses à faire : cesser de se justifier, avec des « non je ne suis pas une pute parce que je vis ma vie ». Se détacher de parents incapables de se remettre en cause. Leur rappeler la loi (le mariage forcé est interdit en France), et leur dire, avant de claquer la porte :

Tu peux toujours essayer de me faire culpabiliser, ça ne marche plus.
Tes opinions n’engagent que toi.
C’est moi qui décide de ma vie, ce n’est pas négociable.

Mounia et Slimane se sont mariés cet été. Tous nos voeux de bonheur.