Publicité

En France, l’inquiétante rage antisystème

ÉDITORIAL. En promettant de réprimer plus durement encore les casseurs qui opèrent en marge du mouvement des «gilets jaunes», le gouvernement français espère renouer avec le désir d’ordre d’une majorité de la population. Avec un risque: attiser la rage de la frange la plus dure des protestataires

Une fresque murale de l'artiste Pasal Boyart, aka PBOY, à Paris. — © Benoit Tessier/REUTERS
Une fresque murale de l'artiste Pasal Boyart, aka PBOY, à Paris. — © Benoit Tessier/REUTERS

La France est coutumière des épisodes de violence. Telle est la leçon historique des révolutions de 1789, 1830 et 1848, de la Commune de Paris de 1871, du soulèvement étudiant de mai 1968 ou des émeutes de banlieue de l’hiver 2005.

Que le mouvement des «gilets jaunes» s’accompagne depuis le début de décembre d’affrontements très durs avec les forces de l’ordre n’est donc pas une surprise. Que de nombreux sympathisants de cette cause soutiennent ou affirment leur compréhension pour ces débordements, estimant que le pouvoir exécutif reste sourd à leurs revendications et que la violence policière est encore plus forte, n’est pas non plus étonnant. Dans cette crise de légitimité qui mine les élus et les institutions de la Ve République, la vieille antienne française révolutionnaire resurgit: pour beaucoup, seul le coup de force permettra de faire reculer un gouvernement et une technocratie acquis aux «élites».

Lire l'article lié:  Macron face aux risques d’un «état d’urgence» anti-gilets jaunes

Cet engrenage, vu de l’étranger en 2019, est à la fois déprimant et désolant. Mais la volonté affichée lundi par le premier ministre Edouard Philippe de durcir encore plus l’arsenal répressif, avec pour objectif de cibler les casseurs, n’est pour autant pas de bon augure. Elle rappelle l’impasse de 2005, lorsque l’état d’urgence éteignit provisoirement l’incendie des banlieues dont le bilan, en termes d’interpellations policières, est désormais similaire à celui des huit journées d’action des «gilets jaunes» (près de 5500 gardes à vue). Au bout du compte? Rien. Les plans banlieues se sont succédé. La gangrène islamiste a surfé sur les haines avec un macabre succès. La cocotte-minute française a continué à bouillir…

Lire aussi: Chez les «gilets jaunes», l’heure des extrémistes

La réalité est que la République violentée est aujourd’hui en proie à un mal bien plus profond: la rage antisystème, relayée en surface par Jean-Luc Mélenchon pour La France insoumise ou le Rassemblement national de Marine Le Pen, et dans la rue par les ténors des «gilets jaunes». Cette rage s’auto-alimente via les réseaux sociaux, où rumeurs, fausses informations et théories du complot prospèrent. Elle rêve du référendum révocatoire pour déboulonner élus et hauts fonctionnaires. Elle fait des policiers les boucs émissaires. Les populistes italiens lui apportent officiellement leur soutien. Cette rage n’a que faire du «grand débat national» – il est vrai assez flou – promis à partir du 15 janvier par Emmanuel Macron.

Lire également:  Emmanuel Macron pointe les trois risques français pour 2019

Dans un pareil contexte, le président français ne doit pas se leurrer: réprimer davantage ne fera qu’aggraver les fractures françaises s’il ne parvient pas, simultanément, à apaiser la colère de ses concitoyens. Les revendications des «gilets jaunes» acceptées par l’exécutif doivent impérativement se matérialiser. Le pire, pour ce jeune chef de l’Etat qui promettait de «transformer» la France, serait de parier, avant même la moitié de son mandat, sur le seul désir d’ordre pour se remettre politiquement à flot.