Une marque de sextoys pour femmes a été récompensée au CES de Las Vegas. Puis, les organisateurs ont finalement jugé son produit « obscène », et lui ont retiré son prix.

Osé, c’est le petit nom d’un sextoy féminin inventé par la marque Lora DiCarlo. Alors qu’il figurait parmi les heureux lauréats du CES, la grand-messe des innovations technologiques qui a lieu chaque début d’année à Las Vegas, il en a finalement été banni. Sa fondatrice évoque des motifs sexistes, les organisateurs s’en défendent, et c’est tout un débat de fond qui est à nouveau soulevé autour du CES.

Une récompense vite retirée

Osé a pour particularité de ne pas vibrer, mais d’imiter les sensations que l’on pourrait avoir pendant un rapport à deux. Il s’adresse, est-il expliqué sur le site de la marque, à toute personne ayant un vagin et / ou un clitoris.

Osé est surtout dédié aux femmes. // Source : Lora DiCarlo

Osé est surtout dédié aux femmes.

Source : Lora DiCarlo

Quelques mois avant le CES (la date n’est pas précisée), l’objet a été récompensé par un prix d’innovation du CES grâce à un jury d’indépendants. Lora Haddock, la fondatrice de l’entreprise, raconte que ses équipes étaient ravies, et qu’elles ont fêté l’événement. Mais cette joie a été de courte durée. Un mois après l’annonce de cette récompense, raconte-t-elle dans une lettre ouverte publiée en ligne, elle a été informée du fait que les organisateurs du CES, la CTA (Consumer Technology Association) lui retiraient sa récompense et que Lora DiCarlo ne serait pas autorisée à présenter Osé sur son stand lors du CES.

La raison officielle donnée alors est la suivante : « Les produits jugés immoraux, obscènes, indécents, profanes ou ne correspondant pas à l’image de marque du CTA, à la seule discrétion de [l’association], seront disqualifiés. Le CTA se réserve le droit de disqualifier n’importe quel produit n’importe quand, dès lors qu’il considère qu’il peut mettre en danger la sécurité ou le bien-être de quiconque, ou qu’il ne respecte pas les règles officielles. »

Extrait de l'explication donnée. // Source : Lora DiCarlo

Extrait de l'explication donnée.

Source : Lora DiCarlo

Pour Lora Haddock, cela ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un « biais genré ». Elle qui a créé une marque se revendiquant sex-positive et inclusive fait souligner que certains produits à caractère sexuel destinés aux hommes n’ont pas subi exactement le même sort.

 « La sexualité des femmes, en revanche, est largement passée sous silence »

En janvier 2018, des poupées sexuelles aux dimensions irréalistes ont ainsi été lancées lors du CES (toutefois seulement présentées sur des stands de média ou dans un hôtel adjacent au CES), de même que des dispositifs pour regarder de la pornographie (encore très largement destinée aux hommes hétérosexuels) en réalité virtuelle. Des hommes testaient le produit très librement lors du salon, remarque Lora Haddock. Une marque de strip-club avait quant à elle organisé une performance de « strip-tease de robots » où des robots sexualisés dansaient sur des podiums.

« La sexualité des hommes peut être présentée de manière explicite (…). La sexualité des femmes, en revanche, est largement passée sous silence, lorsqu’elle n’est pas bannie », assène Haddock. « Vous ne pouvez prétendre ne pas être biaisés si vous autorisez un robot sexuel pour les hommes mais pas un robot de massage focalisé sur le vagin pour obtenir des orgasmes. »

D’autres sextoys ont pourtant été présentés lors du CES 2017 et récompensés par des Awards, y compris des produits créés par et destinés aux femmes comme le Osé. Ceux-ci ont toutefois la particularité d’avoir une forme beaucoup moins phallique.

Le CTA change de communication, et plaide une erreur de catégorie

À bien y regarder, le problème est en fait plus large. Les femmes et personnes LGBT, explique la fondatrice de Lora DiCarlo, sont également moins représentées et prises en compte dans les milieux de la tech, et l’industrie dédiée au plaisir sexuel.

« Le CES et le CTA ont un long historique de biais genrés, de sexisme, misogynie et de règles à deux vitesse, comme le monde de la tech en général », regrette également la CEO. En 2012, le CES avait notamment fait parler de lui à cause de la présence controversée d’hôtesses en petites tenues embauchées pour distraire les participants. Des efforts ont depuis été faits, reconnaît Lora Haddock, comme le fait qu’il y ait autant de femmes que d’hommes qui présentent des conférences. En 2018, seul 1 sur 5 était une femme, selon The Verge.

Elle conclut en disant croire en une société où le sexe ne serait plus un tabou. « C’est un sujet de vie et de santé important, dit-elle, qui doit absolument entrer dans le discours commun. Pas de honte, pas d’embarras, juste le confort et la liberté d’être soi-même et de pouvoir jouir de son propre corps. »

Parce que le message de Lora Haddock commençait à être beaucoup partagé sur les réseaux sociaux, le CTA a modifié son explication officielle. Dans un message transmis à la CEO, l’organisation a expliqué que la décision avait été prise parce que Osé n’entrait pas dans la catégorie dans laquelle il avait été récompensé, dédiée à la robotique. Pourtant, le produit a été élaboré en partenariat avec un laboratoire d’ingénierie robotique réputé aux États-Unis, argumente Lora Haddock. Interrogé à ce propos par The Verge, le CTA n’a pas indiqué dans quelle catégorie un sextoy devrait se trouver.

La polémique a au moins eu un effet bénéfique pour une chose : sur son stand, même sans sextoys à présenter, la marque a énormément de succès, ont remarqué nos confrères de FrAndroid présents sur place.


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