Hugo Grenier, 31 ans, est infirmier à Lyon. Il s’est engagé en 2016 dans l’ONG allemande Sea Watch pour sauver des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée. Après plusieurs semaines passées sur l’embarcation Sea Watch 3, sur laquelle 32 migrants ont été bloqués pendant près de 19 jours, il a débarqué le 4 janvier.

La Croix : Dans quelles conditions ont vécu les migrants sur le Sea Watch 3 pendant 19 jours ?

Hugo Grenier : Tout le monde était à bout de nerfs. Les personnes arrivées de Libye décrivent toutes avoir vécu l’enfer. C’était prendre la mer ou mourir. Après les deux premiers jours, où elles se sont enfin senties sauvées, est venue l’interrogation : pourquoi est-on coincé aussi longtemps sur ce bateau ? Il y a une grande incertitude qui accentue une fragilité psychologique déjà énorme chez des gens qui ont subi de multiples traumatismes en Libye. On parle de personnes qui ont été torturées, violées, traitées comme des esclaves, qui ont vu des proches se faire tuer…

Le Sea Watch 3 est-il prévu pour accueillir des migrants pendant plusieurs semaines ?

H. G. : Pas du tout. S’il est arrivé que nous ayons plusieurs centaines de personnes à bord, jusqu’à 500, c’est parce que nous devions accoster rapidement, après un ou deux jours maximum. Cette fois-ci, cela faisait 19 jours que l’Europe ne trouvait pas de solution pour des gens en détresse. Un triste record.

Avec le mauvais temps depuis deux semaines, tout le monde était entassé dans une pièce de moins de trente mètres carrés. On ne pouvait pas dormir, la plupart des gens avaient le mal de mer, ce qui accélèrait la déshydratation surtout chez les très jeunes, dont un bébé d’un an et deux enfants de 5 ans et 7 ans. Les conditions étaient indescriptibles.

L’urgence médicale et psychologique était extrême depuis des jours et des jours, la limite avait largement été atteinte. On ne peut pas prolonger indéfiniment la souffrance. C’est pour cela que certaines personnes ont arrêté de se nourrir : elles n’en pouvaient plus, elles ne savaient plus quoi faire.

Comment avez-vous géré l’accès à l’eau et à la nourriture ?

H. G. : Pour l’eau potable, le bateau est équipé d’une pompe pour transformer l’eau salée en eau claire. Malheureusement, elle ne fonctionnait pas depuis deux semaines et demi. Il manquait une pièce et trouver cette pièce demande d’avoir accès à un port. Les réserves d’eau potable étaient en diminution constante.

Ensuite, on a sur le bateau énormément de riz et de haricots. Nous prévoyons un menu pour la durée théorique de la mission, pour des personnes secourues qui restent entre 24 heures et 48 heures maximum sur le bateau. L’alimentation proposée n’est pas du tout diversifiée car, en théorie, nous ne devrions pas nous retrouver dans une telle situation.

Avez-vous discuté de la situation politique avec les migrants ?

H. G. : Il y avait des personnes très différentes sur le bateau : des mineurs isolés, des femmes avec enfants, des militants politiques... On explique aux personnes secourues que, malheureusement, les pays européens ne respectent pas leurs propres lois et qu’ils les utilisent à des fins politiques. Et elles le comprennent. Beaucoup des personnes secourues sont des réfugiées politiques, des opposants dans leur pays, ils ont une fine compréhension de la politique. Il n’y a pas un grand étonnement.

Certains ont une vision plus biaisée de la réalité. Une des mamans sur le bateau, qui venait de Libye, a pris ce bateau car il partait un vendredi. Elle pensait que son fils pourrait aller à l’école le lundi…

Dans quel état psychologique se trouvait l’équipage ?

H. G. : Nous aurions déjà dû procéder à des changements d’équipage une semaine avant, mais nous avons demandé à rester un peu plus pour finir ce que nous avions commencé. Les 22 personnes de l’équipage sont exténuées, et ceux, comme moi, qui ont dû quitter le Sea Watch 3, ont le sentiment d’avoir abandonné les personnes secourues.

C’est la première fois dans l’histoire de Sea Watch que l’équipage descend du bateau avant les personnes secourues. Même dans l’histoire de la marine, cela n’arrive jamais normalement. Cette situation ne pouvait plus durer, ça ne pouvait plus attendre le lendemain.