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Les «gilets jaunes», accélérateur populiste européen

OPINION. Le soutien apporté aux «gilets jaunes» par les leaders italiens du Mouvement 5 étoiles et de la Lega n’est pas surprenant. Le basculement de l’opinion publique française, à quelques semaines des élections européennes du 26 mai, est un enjeu de taille pour tous les populistes de l’UE

Luigi di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles italien. Rome, 20 octobre 2018. — © Max Rossi/REUTERS
Luigi di Maio, leader du Mouvement 5 étoiles italien. Rome, 20 octobre 2018. — © Max Rossi/REUTERS

Quelques mots ont suffi. En adressant sur son blog un message de soutien aux protestataires français – «Gilets jaunes, ne faiblissez pas!» – le leader du Mouvement 5 étoiles italien, Luigi Di Maio, a sonné une charge inédite, aussitôt suivi par son collègue et allié de la Lega, Matteo Salvini.

Les deux vice-premiers ministres italiens butaient, depuis leur accession commune au pouvoir à Rome en mai 2018, sur l’obstacle Emmanuel Macron. Fort de l’influence de son pays à Bruxelles, de l’appui du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et de son alliance avec Angela Merkel, le président français avait jusque-là réussi à établir un «cordon sanitaire» difficile à franchir pour les dirigeants populistes. La nouvelle Italie issue des urnes s’était retrouvée marginalisée au Conseil européen des 13 et 14 décembre 2018. Son président du Conseil, Giuseppe Conte, homme lige de la coalition Lega-5 étoiles, en fut réduit à faire de la figuration…

Changement d’axe

En ces premiers jours de 2019, le changement est radical. Affaibli par la crise politique et sociale des «gilets jaunes», Emmanuel Macron a perdu beaucoup de sa superbe sur le plan international. Plus grave: alors que l’euro a fêté ses 20 ans le 1er janvier, la France risque de se retrouver acculée cette année à une aggravation des déficits similaire à celle de l’Italie, parvenue de son côté à sauver en décembre son projet de budget grâce à un compromis trouvé in extremis avec l’exécutif communautaire.

L’axe tissé par Matteo Salvini avec le chancelier autrichien Sébastian Kurz, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, et l’homme fort de la Roumanie Liviu Dragnea (dont le pays assume la présidence semestrielle de l’Union jusqu’au 31 juin) est donc désormais en position de force à quelques jours du vote des députés britanniques sur le Brexit, le 15 janvier. Même si Emmanuel Macron et Angela Merkel se retrouveront le 22 janvier à Aix-la-Chapelle pour signer un nouveau traité de l’Elysée sur la coopération franco-allemande, la digue anti-populiste rêvée par le président français se fissure de toute part.

Notre système est pensé pour un mouvement horizontal et spontané comme le vôtre et nous serons heureux si vous voulez l’utiliserLuigi Di Maio, vice-premier ministre italien et chef du Mouvement 5 étoiles

Les «gilets jaunes» ont en plus une vertu: plus leur mouvement dure et plus il s’enracine, plus les thèses défendues par les populistes au pouvoir en Italie gagnent en crédibilité. Ce qui pouvait encore apparaître comme une exception péninsulaire et méditerranéenne devient, si la France bascule à son tour dans le populisme, une évidence continentale.

Pas étonnant, dès lors, que Luigi Di Maio ait proposé aux protestataires français, sur son blog, «d’organiser des événements sur le territoire», de «choisir des candidats», de «définir le programme électoral» en vue d’une potentielle liste aux élections européennes et de mettre à leur disposition la plate-forme numérique «Rousseau» de son mouvement. Pas étonnant aussi que le ministre italien du Travail, souligne les similitudes entre les manifestations françaises et l’émergence de son propre mouvement, qui s’est toujours revendiqué de la démocratie directe contre la démocratie représentative. «Notre système est pensé pour un mouvement horizontal et spontané comme le vôtre et nous serons heureux si vous voulez l’utiliser», a expliqué le vice-premier ministre italien. Traduisez: nos méthodes ont fait leurs preuves. Elles sont à votre disposition.

Une France affaiblie

Sur le papier, la France n’est pas un terrain de chasse aisé. Entre la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement national de Marine Le Pen, le ratissage politique souverainiste, eurosceptique et populiste semble bien verrouillé. Sauf que ni l’un ni l’autre n’ont pour l’heure réussi – malgré leurs tentatives – à mettre les «gilets jaunes» sous coupe réglée. Et que l’actuel gouvernement italien a plutôt intérêt à une France faible, chaotique, affaiblie à Bruxelles.

Mieux: une bataille politique italienne interposée se joue aussi sur le terrain de l’Hexagone. Sorti de nulle part, éclaté en différentes tendances, issu de la société civile, le Mouvement 5 étoiles voit d’un assez bon œil ces «gilets jaunes» hors carcan politique, sorte d’accélérateur européen du populisme de la base, face à la tendance nationaliste et pyramidale représentée par la Lega de Salvini. Lequel est pour sa part beaucoup plus proche du Rassemblement national de Marine Le Pen et des thèses propagées au cours de ses tournées européennes par Steve Bannon, l’ex-conseiller de Donald Trump.