Surveiller pour punir : la notation des citoyens chinois

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Le crédit social chinois, système de notation des citoyens par le pouvoir, est souvent présenté comme une actualisation des scénarios d'anticipation les plus préoccupants. Il se place pourtant dans la tradition des instruments de contrôle du capitalisme, dont il s'inspire directement.

Le système de " crédit social" mis en place par le pouvoir chinois, consiste en l'attribution d'une note aux citoyens en fonction de leur comportement.  Il repose sur la collecte d'une myriade de donnée sur les personnes et les entreprises, de leur comportement dans les transports en commun à leur « moralité » sur les réseaux sociaux, en passant par leur respect du code de la route. Tout cela donne une note agrégée qui permet d’identifier la « qualité » du citoyen et d’en déduire le périmètre de ses droits. 

Ainsi les individus dont la note serait trop basse, se verraient alors privés du droit de postuler à certains emplois, d’inscrire leurs enfants dans certaines écoles ou encore de prendre les transports en commun. L’organe de presse du gouvernement chinois, Global Times, déclarait ainsi récemment que 11 millions de personnes avaient été empêchées de prendre l’avion. 4 millions et demi de prendre le train. 

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Sans donner plus d’informations sur l’échelle de temps et de mise en oeuvre, cette information donne néanmoins une idée de l’ampleur du dispositif de contrôle mis en place par les autorités chinoises.

Ce système de surveillance généralisé se ainsi sur l’idée simple que pour changer les pratiques, il faut leur donner un coût. L’idée n’est d’ailleurs pas neuve : modifier les comportements en modulant le prix qui leur est associé est même au coeur des politiques publiques. C’est ce que les économistes appellent le signal prix. Une illustration de ce fameux « signal » pourrait être, par exemple, d’augmenter le prix du diesel pour inciter les consommateurs à s’en passer. 

Mais là où le pouvoir chinois se distingue, c’est qu’il ne se limite pas au renchérissement du coût économique des comportements considérés comme déviants. Il y associe des sanctions d’ordre pratique, qui touchent les citoyens dans leur vie de tous les jours. 

Ainsi, en cas de « mauvaise conduite » de certains citoyens, le pouvoir chinois s’arroge le droit de leur interdire l’accès à un certain nombre de services, bénéfices auxquels ils ont normalement droit.

Mais au-delà du caractère profondément dérangeant, voire carrément terrifiant de ces procédés qui nous rappellent les uchronies orwelliennes de la série Black Mirror, il est intéressant de relever que le pouvoir chinois se sert ici de techniques bien connues du capitalisme, à des fins de surveillance et de contrôle. 

Ce système de « crédit social » trouve d’ailleurs ses origines dans une expérimentation de notation pour accéder au crédit bancaire. Mis en oeuvre par la Banque populaire de Chine, ce  système de credit score, consiste en une note, partant de 300 et pouvant atteindre 850, en fonction des informations, récoltées directement auprès du ministère de la sécurité ou de celui des télécommunications. 

Sur un modèle bien connu aux Etats-Unis, mais aussi, dans une moindre mesure, en France, la banque réunit une série de données sur le mode de vie ou encore la santé de la personne afin de décider si elle lui accorde un crédit et, si oui, à quel taux d’intérêt.  

Validé en 2012 par la Commission pour le développement et la réforme, ce projet s’est ensuite déployé, à partir de 2014, dans une quarantaine de municipalités pilotes, utilisant ces procédés pour valider l’accès à un certain nombre de services. Mais là encore, les autorités chinoises ne se contentent pas d’une simple vérification des activités numériques de leurs citoyens. 

Elles se servent notamment des nouvelles technologies de surveillance, déployées peu à peu dans tout le pays. Se servant notamment des logiciels de reconnaissance faciale qui devraient, comme nous l’explique un article du Monde diplomatique, coloniser tous les centres urbains du pays à l’horizon 2020. 

Baptisé poétiquement « Filet du ciel », ce système de vidéosurveillance se conjugue au programmes « Yeux perçants » qui doit permettre aux paysans de relier leurs téléviseurs aux caméras de surveillance, de plus en plus présentes dans l’arrière-pays chinois. Un gage de sécurité et de protection, « le plus beau cadeau que l’on puisse faire », selon les mots-mêmes du président Xi-Jinping. 

C’est d’ailleurs tout le génie du pouvoir autoritaire chinois : celui de réussir à capter les armes du capitalisme pour les présenter comme les garants du modèle politique chinois. 

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