POLITIQUE - Il se présente tantôt comme un "journaliste de rue", tantôt comme un "journaliste gilet jaune". Téléphone au poing, l'individu anonyme qui a interpellé l'éditorialiste Jean-Michel Aphatie en l'accusant d'être un "journaliste millionnaire anti-gilets jaunes" n'en était pas à son coup d'essai. C'est déjà lui qui avait diffusé la vidéo dans laquelle le comédien Franck Dubosc prenait ses distances avec les gilets jaunes. Copieusement injuriée dans la foulée, la star populaire du film "Camping" avait dû revenir sur ses propos.
Sa vidéo visant Jean-Michel Aphatie a eu moins de succès, beaucoup d'internautes saluant le calme et le sang-froid de l'éditorialiste face à un interlocuteur ambigu et protégé par son anonymat. Ce "journaliste en gilet jaune" serait, selon nos informations, un certain Marc Rylewski, inconnu du grand public et sans affiliation politique apparente.
Joint par Le HuffPost sur son compte Twitter, où il ne partage que ses vidéos de "journaliste gilet jaune", Marc Rylewski a confirmé après la publication de cet article qu'il en était bien l'auteur. Celui-ci se présente sur le site Copains d'avant comme un photographe de 49 ans, divorcé mais "toujours vivant". Un article de presse américain de CBS le décrit en 2005 comme un "paparazzi bien connu" sur la place de Paris.
Un autre article du Matin, qui l'avait interviewé après sa vidéo de Franck Dubosc, le décrit comme un Français connaissant la Suisse où il aurait de la famille. "J'aimerais créer un programme avec des gilets jaunes comme invités, une émission quotidienne un peu dans l'esprit de 'C dans l'air', avec une parole libre, mais autour du mouvement", expliquait-il alors. Face à la réaction de l'artiste, qui l'aurait "envoyé bouler", il aurait alors décidé de publier la vidéo.
Sur sa chaîne Youtube, créée en mai 2018 avec pour mot d'ordre "Aller au coeur de la pensée du système" et sous le pseudonyme d'Isadora Duncan (du nom de la célèbre danseuse américaine qui mourut à Nice au début du XXe siècle, étranglée par son foulard), l'individu s'est depuis un mois fait une spécialité d'interpeller des personnalités de tous bords, essentiellement des figures médiatiques et politiques, sur leur adhésion ou leur analyse du mouvement des gilets jaunes.
D'une vidéo à l'autre, la méthodologie est la même: le "journaliste gilet jaune" va au devant d'une personnalité sortant de son lieu de travail sans se présenter, en la filmant et en l'interrogeant sur ce qu'elle pense de l'actualité politique et sociale. Si certains interlocuteurs esquivent l'échange, celui-ci porte généralement sur une ligne complotiste, anti-médias, anti-élites, voire antisémite.
"Gilet jaune? J'en fréquente, ils sont moins cons que toi"
Chantal Jouanno interrogée sur son salaire "qui représente celui de 176 gilets jaunes", Alain Duhamel interpellé sur sa "grosse carrière au service du pouvoir"... Parfois cordiale, à l'image de celle avec le journaliste économique François Lenglet dont Marc Rylewski se dit "grand fan", la discussion peut aussi tourner au comique ("Vous êtes gilet jaune?", lance-t-il à Enrico Macias qui lui répond "Je suis déjà pied noir") ou quand il semble confondre le président des Républicains Laurent Wauquiez avec le ministre de l'Economie Bruno Le Maire.
Mais la méthodologie tourne aussi parfois au vinaigre. À l'image de cette interaction brève et musclée avec l'ancien ministre Bernard Tapie, propriétaire du journal La Provence, qu'il a mis au service du mouvement des gilets jaunes.
"Comment peut-on être sûr que c'est pas une manoeuvre politicienne de votre part pour gagner votre procès? Que vous vous soyez entendu avec Macron pour pas perdre votre procès?" l'interpelle l'individu derrière son téléphone. "Vous avez rien d'autre comme connerie à me demander? Vous êtes qui d'abord pour me parler comme ça?", s'agace Bernard Tapie. "Je suis un journaliste de rue, un gilet jaune", se défend-il. "Vous êtes surtout un connard. Gilet jaune? J'en fréquente, ils sont moins cons que toi", réplique "Nanard" en lui claquant la porte au nez. "Vous avez une voiture italienne, c'est vos amis de la mafia?", conclut le "journaliste" après le départ de son interlocuteur.
Au Matin, l'homme ne se présentait pas comme un habitué des ronds-points. Ses vidéos ne parlent jamais des "actes" militants du mouvement des gilets jaunes et se concentrent exclusivement sur des personnalités. "Je suis d'accord avec la plupart de leurs revendications. Je pense par exemple qu'il faut un certain dégraissage de l'État et surtout beaucoup plus de transparence sur l'utilisation des finances publiques", confiait-il alors.
Quenelle et "bétail goy"
Journalistes à la solde du pouvoir, complots politiques, accusations de mépris envers les gilets jaunes, le ton du "journaliste de rue" bascule aussi à l'occasion dans l'antisémitisme. Après avoir défendu face à Jean-Michel Aphatie la "quenelle", geste anti-système assimilé par certains à un salut nazi inversé et popularisé par le polémiste Dieudonné, l'individu à la caméra a également publié un échange éclairant avec le secrétaire d'Etat en charge du Numérique, Mounir Mahjoubi.
"Est-ce qu'on peut dire que le bétail goy se rebelle?", l'interroge d'emblée le photographe. "Je sais pas trop de quoi vous parlez Monsieur...", lui répond poliment le ministre. "Cette révolution des gilets jaunes, qui provient du peuple, c'est un peu comme il est dit dans le Talmud [un des principaux textes du judaïsme, NDLR] que les chiens de goys doivent être écrasés et là ils se rebellent..."
"Je sais pas trop ce que vous dites monsieur. J'ai l'impression que c'est un peu insultant ce que vous dites, que c'est un peu violent ce que vous dites Monsieur...", finit par écarter Mounir Mahjoubi en s'éloignant.
"C'est violent pour les chiens de goys Monsieur", conclura le "journaliste".
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