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Pour les patients amputés du bras, apprivoiser leur prothèse n’est pas évident. Il faut en effet réussir à effectuer des contractions musculaires puissantes et peu naturelles. Mais une équipe de chercheurs est parvenue à mettre au point une prothèse qui ne nécessite ni apprentissage, ni intervention chirurgicale. Elle décode les mouvements du « membre fantôme », c'est-à-dire la sensation, rapportée par certaines personnes amputées, que le membre manquant est toujours relié au corps.
« Il y a cinq ans, nous avons commencé à explorer la mobilité du membre fantôme, explique Jozina de Graaf, neuroscientifique de l’Institut des sciences du mouvement, à Aix-Marseille Université. Nous avons montré qu’environ 75 % des personnes qui ont un membre fantôme peuvent le ‘bouger’, à un niveau variable selon les patients. De façon intéressante, associées à la mobilité du membre fantôme, on observe des contractions musculaires au niveau du moignon. »
Partant de ces observations, l’équipe a mis au point une prothèse capable de décoder ces contractions musculaires. « Nous avons adapté le paradigme qui existait déjà pour les prothèses de l’avant-bras », précise Nathanaël Jarrassé, de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique de Sorbonne Université. « Mais, contrairement aux personnes amputées en dessous du coude qui, elles, possèdent encore dans l’avant-bras les muscles qui permettaient de bouger le poignet et les doigts, les personnes amputées du bras ne les possèdent plus. »
L’équipe a utilisé des techniques d’apprentissage automatique (machine learning en anglais), en entraînant un algorithme à reconnaître le schéma de contraction musculaire propre à chaque mouvement du membre fantôme et propre à chaque patient. « Il s’agit d’un algorithme de classification, comme ceux qui reconnaissent des visages ou des chiens dans une image. Sauf que le nôtre reconnaît les signaux électriques des contractions musculaires du membre résiduel », explique Nathanaël Jarrassé.
Deux patients ont ainsi réussi à saisir, à l’aide de la prothèse – non portée, mais placée près de leur moignon de bras – un cylindre, une balle, puis une pince à linge, et sont parvenus à les lâcher au-dessus d’un récipient. Et ce, après seulement quelques minutes d’entraînement. Un résultat qui ne va pas de soi avec les prothèses actuelles. « Celles qui équipent les personnes amputées au niveau du bras sont très contraignantes », explique Nathanël Jarrassé. « À partir de deux muscles dans le moignon, il faut apprendre à effectuer des contractions particulières pour mobiliser les articulations du coude, du poignet et de la main sur la prothèse. Les contractions des groupes musculaires n’ont en plus rien à voir avec les mouvements effectués. En conséquence, le dialogue avec la prothèse est très complexe et implique une charge cognitive lourde. »
Certes, des éléments du nouveau prototype restent à perfectionner. Par exemple, la fatigue, l’anxiété ou encore la sudation perturbent les schémas de contraction musculaire. « Néanmoins, explique Jozina de Graaf, nous avons apporté la preuve de concept que même sans chirurgie, il était possible d’obtenir des résultats. Et au-delà de ça, poursuit-elle, notre travail permet de libérer le tabou du membre fantôme. Il y a encore des patients qui n’osent pas en parler, de peur de passer pour fous ou de se voir répondre que cela correspond en fait à un refus d’accepter leur condition. » L’équipe comporte d’ailleurs une socio-anthropologue qui travaille sur la perception du phénomène du membre fantôme. Les chercheurs espèrent que leur recherche, à la fois fondamentale, appliquée et multidisciplinaire, contribuera à porter un nouveau regard sur le membre fantôme et à ne plus le considérer seulement sous l’angle de la douleur.
