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L’orthographe, cette arme de séduction

INTERVIEW - Si aujourd’hui la séduction peut se faire par écrans interposés, il n’en demeure pas moins que l’écriture reste centrale, un moyen de communication privilégié. La sociologue Marie Bergström explique au Figaro en quoi les fautes d’orthographe peuvent être discriminantes.

Adieu la lettre d’amour, la plume, la page blanche! Place aux SMS, aux emojis, aux acronymes... Un langage 2.0. Aujourd’hui, la séduction peut se faire par écrans interposés. Il n’en demeure pas moins que l’écriture demeure centrale, un moyen de communication privilégié.

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Et si, comme le dit Nietzsche, «chaque mot est un préjugé», comment ne pas craindre l’échange avec l’autre? Comment ne pas appréhender la conversation virtuelle précédant la rencontre physique? Marie Bergström, sociologue et chercheuse à l’Institut National d’Études Démographiques (Ined), a étudié les relations amoureuses sur les sites et applications de rencontres. Elle a notamment réalisé une enquête auprès des usagers afin d’évaluer l’importance accordée à l’orthographe. Elle explique au Figaro en quoi les fautes peuvent être discriminantes pour certains individus.

LE FIGARO. - Les utilisateurs des sites de rencontre sont-ils sensibles aux fautes d’orthographe?

Marie BERGSTRÖM. - Les sites de rencontre demandent à leurs usagers de se présenter, se décrire, préciser leur profession, leur niveau d’éducation et même de diplôme. Ils n’avaient pas prévu que l’orthographe deviendrait un critère de sélection supplémentaire. C’est un critère qui ressort de l’usage. Les utilisateurs que j’ai interrogés dans le cadre de ma recherche sont nombreux à émettre de façon spontanée une réticence envers les personnes qui font des fautes de français. La mauvaise orthographe suscite un dégoût qui souvent empêche de poursuivre l’interaction.

« Les fautes d’orthographe traduisent une inégalité face à la langue »

Quels sont leurs profils?

Cette aversion provient des classes moyennes et supérieures, diplômées de l’enseignement supérieur. Pour ces personnes scolairement dotées, la faute d’orthographe peut être discriminante. Il faut comprendre que, dans ce contexte de sélection des partenaires, le jugement de l’orthographe exprime des critères sociaux. Sur les sites et applications qui présentent une mixité sociale, l’orthographe devient, de façon consciente ou non, une manière de situer socialement l’interlocuteur.

Chez les personnes diplômées, la faute d’orthographe conduit très souvent à une disqualification immédiate et cela se constate aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Le jugement exprimé s’inscrit souvent, chez les deux sexes, dans un registre moral. Une mauvaise écriture est perçue comme de l’immaturité, comme un manque de valeurs et d’éducation, comme de la négligence, de la vulgarité et même, de la bêtise. En réalité, cela révèle un mépris de classe.

Orthographe : transmettre l?amour des mots par Rachid Santaki - Regarder sur Figaro Live

Ne prend-on pas le temps de connaître la personne avant de se concentrer sur la façon dont elle écrit?

La question de l’orthographe intervient au tout début de l’interaction. Lors des rencontres ordinaires, les premières impressions se font sur l’apparence: nous observons la personne, la façon dont elle est habillée, dont elle se tient et parle. Ce sont des indicateurs sociaux. Le langage en fait partie, mais l’écrit est plus socialement clivé que l’oral. Avec les sites de rencontres, nous sommes passés d’un modèle où les premières impressions reposent sur le corps à un modèle où elles reposent sur un profil, c’est-à-dire une photographie et l’écrit.

« Contrairement à d’autres langues, le français est peu phonétique et il est donc plus difficile de savoir comment s’épelle un mot »

L’orthographe comme enjeu sur des sites qui privilégient d’abord le physique, n’est-ce pas paradoxal?

Le fait que ces plateformes sont de plus en plus tournées vers l’image et le visuel ne diminue pas l’importance de l’écrit: les applications mobiles, comme les sites avant eux, reposent fondamentalement sur la communication écrite. Pour les utilisateurs, les fautes d’orthographe expriment des traits de caractère. Or, elles traduisent en réalité une inégalité face à la langue.

Cette attention portée à l’orthographe est-elle spécifique à la France?

C’est particulièrement le cas en France. Contrairement à d’autres langues, le français est peu phonétique et il est donc plus difficile de savoir comment s’épelle un mot. D’où l’inégalité face à l’écrit. On observe également une insécurité linguistique chez les classes moyennes. Elles sont plus susceptibles par rapport à la langue, ont peur de mal écrire et essaient d’asseoir leur statut social, leur légitimité, par une bonne expression et une orthographe maîtrisée.

« Un ‘’salut ça va ?’’ peut-être rédhibitoire »

On aurait pourtant cru que les sites de rencontre favoriseraient le «langage SMS»…

Il est possible d’observer de nouveaux modes de communication sur ces plateformes: des emojis, symboles et raccourcis… Mais ce sont tout particulièrement les fractions de classes qui disposent de beaucoup de capital culturel qui se montrent intolérants envers le langage texto. Chez les jeunes, il y a quand même une certaine tolérance et c’est une question de contexte: les conventions langagières ne sont pas les mêmes pour un sms, un message «chat» ou un émail.

Y a-t-il des expressions, fautes rédhibitoires?

Beaucoup d’utilisateurs socialement favorisés répondent qu’un «salut ça va?» est rédhibitoire parce qu’ils attendent un message plus original. C’est aussi un enjeu de distinction sociale. Ils demandent à ce que l’approche soit travaillée, apprécient les jeux de mots et les pirouettes linguistiques ou encore, valorisent l’humour. C’est une manière de situer les autres socialement, de savoir à qui on «a affaire».

Orthographe : la lente agonie de l?expression écrite ? Les décrypteurs répondent à vos questions - Regarder sur Figaro Live

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