Frais de mandat : l’occasion ratée des parlementaires

L'Assemblée nationale, le 19 décembre 2018. Parmi les 15 parlementaires visés par une enquête, sept (cinq sénateurs et deux députés) siègent toujours dans les assemblées.  ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
L'Assemblée nationale, le 19 décembre 2018. Parmi les 15 parlementaires visés par une enquête, sept (cinq sénateurs et deux députés) siègent toujours dans les assemblées. ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
L'Assemblée nationale, le 19 décembre 2018. Parmi les 15 parlementaires visés par une enquête, sept (cinq sénateurs et deux députés) siègent toujours dans les assemblées. ©AFP - PHILIPPE LOPEZ
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Pendant des années, certains parlementaires français ont pu abuser de leur enveloppe de frais de mandat sans être inquiétés. La justice vient d’ouvrir 15 enquêtes préliminaires pour de possibles détournements. Mais les règles récemment mises en place par les assemblées laissent encore des possibilités de fraude.

► Une enquête de Sylvain Tronchet, pour la cellule investigation de Radio France.

La France aura-t-elle son scandale des notes de frais des parlementaires comme au Royaume-Uni en 2009 ? Rien n’est moins sûr, tant l’opacité organisée depuis des années par l’Assemblée nationale et le Sénat sur ce sujet semble difficile à lever. Néanmoins, la récente ouverture d’enquêtes préliminaires par la justice pourrait mettre au jour des pratiques illégales au sein des assemblées. Notre enquête montre qu’elles avaient cours encore récemment, et que la réforme actuellement mise en œuvre laisse encore de la place pour les fraudeurs, bien loin de la volonté affichée lors de la présentation de la loi pour la confiance dans la vie politique votée en septembre 2017.

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15 anciens et actuels députés et sénateurs dans le collimateur de la justice

Quinze parlementaires ou ex-parlementaires font actuellement l’objet d’enquêtes préliminaires pour de possibles usages illicites de leur enveloppe de frais de mandat entre 2012 et 2017, a révélé L’Express le 11 décembre dernier. Des signalements de la HATVP (Haute autorité pour la transparence de la vie publique) auprès du parquet national financier en sont à l’origine. La HATVP soupçonne ces sept députés et huit sénateurs d’avoir détourné à leur profit personnel leur indemnité représentative de frais de mandat (IRFM). Cette somme forfaitaire (environ 6 000 euros au Sénat et 5 500 euros à l’Assemblée) leur était versée chaque mois afin de payer leurs dépenses non prises en charge directement par les assemblées : frais de permanence électorale, déplacements, communication, réceptions… Les détournements porteraient sur des sommes allant de 20 000 à 80 000 euros.

Plusieurs cas d’abus d’IRFM ont déjà été révélés (notamment par nos confrères de Mediapart ici ou ), mais à ce jour, aucun parlementaire n’a jamais été condamné pour de tels faits. Les dérives étaient rendues possibles par le fait que, jusqu’à aujourd’hui, l’usage de l’IRFM n’était pas contrôlé. Les sénateurs et députés disposaient comme ils l’entendaient des plus de 300 000 euros qu’ils allaient toucher au cours de leur mandat, en plus de leur indemnité parlementaire.

De possibles abus de prêts accordés par l’Assemblée nationale

D’après nos informations, parmi les 15 parlementaires visés par une enquête, cinq sénateurs et deux députés siègent toujours dans les assemblées. Leurs noms sont pour l’instant inconnus. En comparant leur situation patrimoniale entre le début (2012) et la fin (2017) de leur mandat, la Haute autorité a observé des variations anormales. Après examen des comptes bancaires dédiés sur lesquels était versée leur IRFM, certaines dépenses ont semblé suspectes, sans lien évident avec leur mandat.

Certains députés auraient également utilisé le système du prêt d’honneur pour s’enrichir. Cette facilité de caisse, toujours en vigueur, permet aux élus d’emprunter à l’Assemblée jusqu’à 18 294 euros, sur 20 mois maximum, à 3 % d’intérêts. Comme un crédit revolving, ce prêt est "rechargeable". La seule condition imposée est qu’il soit remboursé avant la fin du mandat. 

L’ex-député PS René Dosière, aujourd’hui président de l’ Observatoire de l’éthique publique, connaît le système pour y avoir eu recours. "C’est très pratique, nous a-t-il expliqué, les fonds vous sont versés en 24 ou 48 heures. Si la somme est destinée à un usage personnel, vous l’indiquez, et le remboursement est prélevé sur votre indemnité parlementaire. Si c’est pour un usage professionnel, c’est sur votre IRFM." Certains parlementaires dans le collimateur de la justice auraient emprunté de l’argent à titre personnel de cette façon, mais auraient fléché les remboursements sur leur compte de frais de mandat.

Acheter son logement, et le payer sur ses frais de mandat

Par le passé, d’autres prêts accordés par les assemblées, aujourd’hui supprimés, ont pu donner lieu à des dérives : les prêts immobiliers. D’après des documents que nous avons pu consulter, ils permettaient aux députés et sénateurs d’emprunter jusqu’à environ 300 000 euros à des taux très avantageux au début des années 2000 (2 % à l’Assemblée, 2,5 % au Sénat). "Les formalités étaient réduites au minimum, se souvient René Dosière, qui en a également bénéficié. On signait un simple document auprès des services de l’Assemblée. Et puis il y a eu quelques difficultés à obtenir les remboursements de la part de certains élus ou anciens élus, alors à la fin, ça passait par un notaire."

Ces prêts ont notamment favorisé un système aujourd’hui bien connu qui permettait aux parlementaires de s’enrichir via l’acquisition de leurs permanences parlementaires. Mais certains élus empruntaient également pour acheter leur domicile personnel. Un ancien sénateur socialiste, qui tient à garder l’anonymat raconte. "J’ai emprunté 300 000 euros pour acheter mon appartement. J’ai donc rempli le document que m’ont présenté les services du Sénat. Ce n’est que bien plus tard que je me suis rendu compte qu’il prévoyait que les échéances seraient prélevées sur mes frais de mandat. Quand Jean-Pierre Bel est arrivé à la présidence du Sénat, on a mis bon ordre dans tout ça." Effectivement, les prêts immobiliers du Sénat ont été supprimés en 2013. Ceux de l’Assemblée ont pris fin en 2009, mais en 2017, il y en avait 80 toujours en cours de remboursement.

Un complément de rémunération qui ne disait pas son nom

Pour comprendre comment l’IRFM a pu devenir un élément obscur de la rémunération des parlementaires, il faut remonter aux origines. "Le problème c’est qu’on a une image officielle de la politique comme d’une activité bénévole, désintéressée, et donc ne devant pas être rétribuée, explique Éric Phélippeau, universitaire, auteur de L’argent de la politique (Presses de Sciences Po, 2018). L’indemnité parlementaire a été créée au moment de la révolution, presque en catimini, parce que les députés étaient loin de chez eux, qu’il fallait se loger à Paris, que tout cela coûtait cher. Au début, elle était censée tout payer, mais elle s’est avérée insuffisante. En 1953, on créée donc une 'aide au secrétariat', mais là encore, sans trop de débats publics. On a très peu d’informations, et dès cette époque-là, on sait qu’une partie de cet argent peut finalement revenir dans le train de vie du député".

Cette "aide" prendra différentes formes jusqu’à la création, en 1997 de l’IRFM. Mais si cette enveloppe avait pour vocation officielle de couvrir les frais professionnels, elle s’est parfois fondue dans la rémunération du député, au point qu’il a fallu attendre 2015 pour que députés et sénateurs soient définitivement obligés d’ouvrir un compte bancaire dédié à sa gestion.

"Nous sommes dans une hypocrisie qui dure depuis une trentaine d’années. L’IRFM a été créée comme un complément de salaire, parce qu’on avait en tête qu’un député était mal payé" explique Luc Carvounas. Le député PS du Val de Marne plaide pour une augmentation de l’indemnité parlementaire à 8 000 euros nets mensuels (actuellement environ 5 500 euros nets) et la disparition de l’enveloppe de frais de mandat.

En 2012, Mediapart révèle, pièces à l’appui, les premiers cas d’abus d’usage de frais de mandat. Sous la pression, l’Assemblée annonce une première réforme du système : les députés devront signer une déclaration sur l’honneur attestant qu’ils ont fait bon usage de leur IRFM. Mais son président de l’époque, Claude Bartolone, refuse totalement le principe du contrôle :

Abus, mode d’emploi : le cas Anne-Christine Lang

Pourtant, la déclaration sur l’honneur et l’établissement d’une liste de dépenses autorisées, en 2015, n’ont pas empêché les dérives. Pour preuve, nous nous sommes procuré les relevés de compte d’IRFM d’une députée sur l’année 2016. Anne-Christine Lang était à l’époque membre du groupe socialiste. Elle y est arrivée en 2014, suite à l’entrée au gouvernement de Jean-Marie Le Guen, dont elle était la suppléante. Cette députée de Paris siège toujours à l’Assemblée, mais sous l’étiquette LREM.

Sur les six relevés de compte que nous avons pu examiner, qui s’étalent entre février et septembre 2016, de nombreux paiements semblent éloignés de l’idée que l’on peut se faire des frais professionnels d’une députée. On y trouve notamment des frais médicaux : cinq paiements à des médecins (dont 1 000 euros payés en carte bleue à un stomatologue et 680 euros payés à un autre spécialiste) et 11 règlements dans des pharmacies pour 360 euros au total. Des paiements d’autant plus problématiques qu’ils étaient par ailleurs remboursés – au moins partiellement – à la députée sur son compte personnel. "Je pensais de bonne foi que l’Assemblée nationale remboursait ces frais sur mon compte IRFM, nous a expliqué Anne-Christine Lang au téléphone, puis dans un mail. Il s’agit d’une négligence de ma part" ajoute-t-elle.

Extraits d'un relevé de compte bancaire dédié à l'IRFM de la députée Anne-Christine Lang.
Extraits d'un relevé de compte bancaire dédié à l'IRFM de la députée Anne-Christine Lang.
- DR

Mais les frais médicaux ne sont pas les seules dépenses étonnantes que l’on trouve sur ses relevés. En six mois, elle utilise ainsi 22 fois sa carte bleue de députée dans des grandes surfaces, dont 15 dans celle qui se trouve juste à côté de son domicile, pour un total de 1 539 euros. Il s’agissait, selon elle, d’achats de vêtements (qui sont autorisés) ou "de petits achats pour des réunions ou plus rarement de grosses courses pour l'organisation d'une soirée militante", explique-t-elle. Mais lorsqu’on lui fait remarquer un paiement de 111 euros chez Leclerc, dans une station balnéaire où elle partait en vacances, Anne-Christine Lang évoque à nouveau "une négligence".

Les relevés font également apparaître sept paiements dans des magasins de jouets ou de puériculture, pour un total de près de 600 euros. "Ce sont probablement des cadeaux pour des naissances ou mariage" nous a expliqué la députée sans pouvoir nous dire précisément lesquels, et sans exclure encore de possibles "négligences". Elle explique de la même façon le fait qu’elle ait pu payer, à quelques reprises, des péages d’autoroute sur la route des vacances depuis son compte dédié à l’IRFM.

Anne-Christine Lang à l'Assemblée nationale en 2018.
Anne-Christine Lang à l'Assemblée nationale en 2018.
© AFP - JACQUES DEMARTHON

Autre élément surprenant à la lecture de ces relevés de compte : le niveau des retraits en liquide. La députée retirait, tous les mois environ 1 500 euros au distributeur. Certes, rien ne l’interdit, mais ces retraits pouvaient représenter jusqu’à 40 % de la somme que lui versait mensuellement l’Assemblée nationale pour ses frais. Au téléphone, Anne-Christine Lang nous a expliqué qu’elle préférait "régler en liquide pour des raisons de confidentialité. Je n’avais pas envie qu’on sache où je mangeais, avec qui, etc.". Mais selon elle, cet argent liquide servait bien à payer des dépenses professionnelles. 

Néanmoins, l’un d’entre eux a particulièrement attiré notre attention. Il s’agit d’un retrait de 250 livres sterling, en août 2016, en Angleterre, alors qu’elle y passait des vacances, selon nos informations, ce qu’elle nous a confirmé. "J’ai organisé deux dîners" nous a-t-elle affirmé dans un premier temps au téléphone, sans vouloir nous préciser avec qui, avant de nous donner une autre explication par mail : "J'ai réglé un 'pot' avec des élues féministes anglaises et une veste à Canterbury" écrit-elle, sans nous préciser qui étaient ces élues.

Extrait d'un relevé de gestion de l'IRFM de la députée Anne-Christine Lang.
Extrait d'un relevé de gestion de l'IRFM de la députée Anne-Christine Lang.
- DR

Enfin, un dernier point a attiré notre attention, cette fois-ci sur les relevés de gestion de son IRFM que lui envoyait tous les mois l’Assemblée nationale et que nous avons également obtenus. Sur six mois, tous portent la mention "Remboursement prêt d’honneur" pour environ 1 000 euros. Anne-Christine Lang nous a effectivement confirmé qu’elle a bénéficié d’un prêt à usage personnel (voir plus haut) de l’Assemblée pour un montant de 18 000 euros fin 2014. Ce prêt était donc remboursé par prélèvement "à la source" sur son indemnité de frais de mandat, comme en attestent les relevés de gestion. Cette situation semble problématique, Anne-Christine Lang ayant signé, en 2016, une déclaration sur l’honneur attestant qu’elle avait bien utilisé l’IRFM aux fins définies dans le règlement de l’Assemblée depuis 2015. Or ce type de prêt à usage personnel n’en faisait pas partie. La députée, elle, affirme qu’elle s’est conformée aux règles fixées par l’Assemblée. D'après nos informations, elle ne fait pas partie des 15 parlementaires actuellement visés par une enquête préliminaire.

La réforme de 2017, une occasion ratée

La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique devait mettre un terme aux dérives d’utilisation de l’IRFM. C’était du moins l’ambition de François Bayrou quand il affirmait lors de sa présentation trois mois plus tôt : "Nous allons proposer que le remboursement des frais de mandat des parlementaires se fasse au réel, c’est-à-dire en présentant des factures". Sauf qu’en novembre 2017, les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat décident de rester sur l’ancien système d’avance. L’IRFM est remplacée par l’AFM (avance de frais de mandat), mais globalement le principe est le même : les députés et sénateurs continuent de toucher une enveloppe mensuelle, respectivement de 5 500 et 6 000 euros. Une nouveauté tout de même, ils devront être capables de justifier leurs dépenses en cas de contrôle. Parce qu’ils seront dorénavant contrôlés.

"Soyons clairs, il n’y a pas de contrôle des frais de mandat. C’est de l’enfumage !". Le juriste Paul Cassia n’y va par quatre chemins. Pour ce professeur de Droit à l’université Panthéon-Sorbonne Paris 1, le système mis en place ne permet pas de garantir que les abus seront réprimés à l’avenir. "Les sénateurs seront contrôlés par leur comité de déontologie, qui est composé de sénateurs, poursuit-il. L’autocontrôle n’est pas un contrôle. Imaginons que le président du Sénat, Gérard Larcher, utilise mal ses frais de mandat. Qui va aller lui dire ?" Cette question, nous l’avons posée à François Pillet, le président du comité de déontologie au Palais du Luxembourg. Ce sénateur du Cher s’offusque quand on l’interroge sur son indépendance : "Vous savez, l’indépendance, ça ne s’achète pas en supermarché. On l’est ou on ne l’est pas. Et puis nous serons assistés d’experts comptables qui effectueront les contrôles." Quand on lui demande si les rapports des expert comptables seront publics afin de s’assurer qu’il n’y aura pas d’arrangements entre sénateurs, il paraît décontenancé : "Non… Ils resteront secrets." En dernier ressort, c’est le bureau du Sénat (présidé par Gérard Larcher) qui décidera d’éventuelles sanctions en cas d’abus, là encore, dans le secret de son huis clos.

C’est également le bureau qui prendra, le cas échéant, des sanctions à l’Assemblée nationale. Une "mauvaise idée" pour l’ancienne députée PS Barbara Romagnan : "Que le bureau fasse correctement son travail ou pas, de toute façon les citoyens seront fondés à penser qu’il peut y avoir des arrangements entre groupes politiques pour qu’on n’en parle pas. Et même si ça n’était pas le cas, le soupçon existera." Le bureau de l’Assemblée devra en tout cas faire la preuve de sa transparence sur ces sujets. D’après nos informations, au cours de la législature 2012-2017, les différents déontologues de l’Assemblée l’ont saisi au moins une dizaine de fois pour des cas d’abus d’usage d’IRFM. Aucun compte rendu de ses réunions sur cette période n’en fait état.

Quand la déontologue de l’Assemblée critique la réforme du système

Autre faille du nouveau système mis en place : les députés, comme les sénateurs, ne seront pas contrôlés tous les ans. Les règlements des deux assemblées expliquent juste qu’ils devront l’être "au moins une fois par mandat". À l’Assemblée, c’est la déontologue qui sera chargée de ces contrôles. Salariée à mi-temps par le Palais Bourbon, Agnès Roblot-Troizier ne dispose pas des moyens lui permettant de contrôler toutes les factures des 577 députés. Cette professeure de Droit a surtout jeté un froid, en novembre 2017, quand elle a été amenée à rendre son avis sur la réforme du contrôle des frais de mandat. Dans un document de 11 pages, qui n’a pas été rendu public par l’Assemblée (voir ci-dessous), elle dénonce la façon dont les députés ont interprété la loi pour la confiance dans la vie politique. Elle pointe notamment le fait qu’ils puissent lui opposer le secret sur certaines informations telles que le nom des personnes qu’ils ont invité au restaurant. Sa conclusion est cinglante : "il m'apparaît que le projet soumis au Bureau est […] très en-deçà de l'objectif législatif tendant à contribuer au rétablissement de la confiance entre les citoyens et les parlementaires grâce au contrôle de leurs dépenses. Le contrôle de qualification juridique des frais de mandat prévu par la loi laisse place à une vérification comptable partielle et imparfaite." 

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Quand députés et sénateurs s’attribuent de "l’argent de poche"… 

La décision des députés qui suscite le plus de critiques de la part de la déontologue a de quoi étonner. Alors qu’il était prévu que tous les frais soient contrôlés, les parlementaires se sont accordé une enveloppe mensuelle pour laquelle ils n’auront pas besoin de justificatifs. D’un montant de 600 euros pour les députés, elle s’élève à 885 euros chez les sénateurs. Une décision étonnante, qui serait de surcroît contraire à la loi du 15 septembre 2017 selon le juriste Paul Cassia : "La loi ne permet que deux régimes de paiement des frais des parlementaires : ou la prise en charge directe par les assemblées, ou le remboursement sur facture. Les députés et les sénateurs ont contourné la loi. Ces sommes, c’est de l’argent de poche !"

Questeur de l’Assemblée nationale, le député LREM d’Ille-et-Vilaine Florian Bachelier masque à peine sa gêne quand on lui demande ce qui a conduit à cette disposition. "Personnellement j’étais pour la justification au premier euro, explique-t-il, mais c’est un équilibre qui a été trouvé avec les députés des circonscriptions rurales qui se demandaient notamment comment ils allaient pouvoir justifier leurs dépenses quand ils paient un pot à un tournoi de foot par exemple." Tous ne sont néanmoins pas sur cette ligne. Le député LREM du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin a décidé qu’il ne profiterait pas de cette facilité. Il justifiera toutes ses dépenses : "Six cents euros c’est énorme ! estime-t-il. Dans toutes les entreprises ou les associations où j’ai travaillé, quand j’achetais un ticket de métro, il me fallait un justificatif pour être remboursé. Pour moi, ces 600 euros n’ont pas de sens, et ça jette un petit voile de doute là où il n’y en pas besoin."

La transparence des frais, seule solution efficace ?

Matthieu Orphelin fait également partie de ces députés qui ont décidé de lever le voile sur l’utilisation de leurs frais de mandat. Tous les trimestres, il publie sur son site internet leur répartition par poste et commente leur évolution. Ils ne sont qu’une poignée à le faire actuellement. Sa collègue LREM de Haute-Savoie, Marion Lenne, met en ligne ses relevés de compte bancaire dédié à l’AFM. "J’ai toujours été convaincue que l’argent des citoyens devait être en totale transparence avec les citoyens, explique-t-elle. Au début c’était la page la moins consultée du site, et maintenant que les gens le savent, ils viennent voir. Parfois on me pose des questions, donc j’explique." L’initiative ne fait néanmoins pas l’unanimité. "Quand c’est sorti, j’ai eu une réflexion d’un de mes collègues qui est venu me demander de façon assez agressive si j’avais besoin de ça, pour être honnête."

Pourtant la transparence des frais des parlementaires est appliquée dans de nombreux pays aujourd’hui. C’est le cas aux États-Unis, dans les pays nordiques, mais aussi au Royaume-Uni où, après l'énorme scandale de 2009 (voir plus haut), les membres du parlement doivent publier toutes leurs dépenses qui sont par ailleurs contrôlées par une autorité indépendante. "Quand on va sur le site de cette autorité, explique Elsa Foucraut de l’association Transparency international, on se rend compte que, lorsqu’il n’y a pas d’abus, les dépenses d’un parlementaire sont somme toute banales, et qu’il n’y a rien à cacher." L’association a récemment déploré les avancées insuffisantes du système mis en place par les parlementaires français. Paul Cassia le regrette également : "Un parlementaire qui sait que ses notes de frais ne seront remboursées que si elles sont publiées ne commet pas d’irrégularité. Il ne peut pas en commettre." La transparence, les deux assemblées n’en ont jamais voulue, malgré quelques tentatives. En 2011, un projet de loi en ce sens avait été déposé. Il était présenté par François de Rugy, alors député EELV, qui enterra l’idée une fois devenu président de l’Assemblée nationale.

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