Témoignage

Journalistes de LCI agressés: «Un tel déferlement de haine, ça fait flipper»

A Rouen, une petite foule de «gilets jaunes» a attaqué une équipe de la chaîne d'information en continu. Violemment frappé au sol, un agent de sécurité accompagnant les reporters a eu le nez fracturé. Un des journalistes raconte la scène.
par Jérôme Lefilliâtre
publié le 13 janvier 2019 à 17h48

Les images ont fait le tour des réseaux sociaux depuis samedi. Sur une vidéo publiée par le journal régional Paris Normandie, on voit une équipe de LCI, la chaîne d'information en continu de TF1, se faire attaquer par plusieurs personnes à Rouen (Seine-Maritime), en marge de la mobilisation.

Un agent de sécurité accompagnant les journalistes se retrouve au sol, violemment frappé par des manifestants, puis est évacué grâce à l'intervention d'autres mécontents venant s'interposer. Hugo Blais, 30 ans, journaliste reporter d'images et pigiste (c'est-à-dire non titulaire) pour LCI depuis trois ans, faisait partie de cette équipe. Il raconte l'agression à Libération.

«Nous étions deux journalistes, un rédacteur et un reporter d’images, à Rouen. Deux agents de sécurité nous accompagnaient, un pour chaque journaliste. C’est le cas depuis plusieurs semaines. Avant, il n’y en avait qu’un pour deux, mais le dispositif a changé à cause des agressions qui ont eu lieu contre plusieurs journalistes. On était arrivés tôt le matin pour suivre le matin le déplacement de Laurent Nunez, le secrétaire d’Etat à l’Intérieur, qui était allé saluer les troupes. Après, on devait rester en veille dans la ville, voir s’il se passait des choses intéressantes à filmer. A 11 heures, sur la place de l’Hôtel-de-ville, un petit groupe d’une dizaine de personnes nous a adressé un "bonjour, au revoir, dégagez". On est partis manger et on est revenus vers 12h30 au même endroit.

Il y avait plus de monde, peut-être 150 à 200 personnes. Des cortèges partaient dans la ville, de façon un peu dispersée. A notre arrivée, nous nous sommes fait huer. Seule la caméra était visible, il n’y avait aucun logo qui nous rendait identifiables. Des huées, on est rapidement passé aux insultes, puis à des jets de projectiles. Ça va très vite, tu vois une bouteille de bière se fracasser contre le sol, ça devient oppressant et en dix secondes, tu es entouré sans comprendre ce qui se passe. Je vois le rédacteur qui m’accompagnait tomber par terre, être relevé par son agent de sécurité, puis s’enfuir. Mon agent me dit "casse-toi, casse-toi" et je commence à courir vers un buisson. Pendant ce temps-là, mon agent se retrouve débordé, frappé au sol, comme on le voit sur la vidéo. L’agression s’arrête parce qu’il y a des manifestants qui s’interposent, qui le relèvent et l’exfiltrent. C’est pareil pour moi, il y a un homme de 45 ans environ qui s’est approché et m’a emmené plus loin. On s’est finalement retrouvés, les quatre membres de l’équipe, près des CRS, à qui on a raconté la scène.

«L’agent a pris beaucoup de coups, mais il s’est bien recroquevillé, comme il est entraîné à le faire dans ces cas-là. Il s’en sort avec des ecchymoses sur le visage et un nez fracturé. Il a été emmené à l’hôpital, dont il est ressorti l’après-midi même. On a porté plainte au commissariat ensuite, avant de repartir en voiture à Paris. Ce n’est pas facile de voir mon agent de sécurité prendre des coups pour moi. Lui, il dit que c’est son boulot mais bon… Les coups visaient les journalistes. Et ceux qui nous ont attaqués ne font pas la différence, ils englobent les agents dans le système, les assimilent parfois à des policiers en civil.

«Ce n’est pas évident d’exprimer ce que j’ai ressenti sur le moment. De la peur, oui, évidemment. Sur le coup, on ne sait pas quoi faire. On est paumés. Quand je revois les images, ça me fout les poils. Je ne comprends pas comment on passe des insultes, auxquelles on s’est habitués ces dernières semaines, à un tel déferlement de haine. Ça fait flipper. Il n’y a pas eu d’événement déclencheur : on était en train de marcher dans le rassemblement, on faisait le tour de la ville, on attendait les ordres de la rédaction. La caméra était éteinte, on n’a répondu à aucune provocation. Je ne suis pas dégoûté de faire mon métier, j’y retournerai dans deux jours, mais je réfléchis beaucoup depuis hier à cette haine des journalistes. Je trouve aberrant qu’on doive être accompagnés par des vigiles. Il y a un problème d’éducation aux médias. La seule chose rassurante dans tout ça, c’est d’avoir reçu beaucoup de soutien de la part des confrères.»

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