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Sarah Bernhardt reçoit la légion d'honneur le 14 janvier 1914 : une injustice réparée

L'actrice Sarah Bernhardt et Edmond Rostand dans les jardins de la villa «Arnaga» à Cambo-les-Bains vers 1900. Rue des Archives/Rue des Archives/Tallandier

LES ARCHIVES DU FIGARO - Il y a 105 ans, la célèbre comédienne surnommée la «Grande Sarah» ou «la Divine» était faite chevalier de l'ordre des arts et des lettres. Cette nouvelle réjouissait profondément Le Figaro, qui loue son «génie merveilleux» et son «labeur magnifique».

Une récompense tardive. Le 14 janvier 1914 la grande tragédienne Sarah Bernhardt, presque septuagénaire, est distinguée par la Patrie: l'actrice est nommée chevalier de la légion d'honneur. Pour la plus grande joie de ses admirateurs et de la presse parisienne. Pour tous, la trop longue injustice est enfin réparée -Aristide Briand avait déjà proposé par le passé l'artiste pour la croix de la légion d'honneur, mais le Conseil de l'Ordre avait refusé. C'est René Viviani, ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts dans le gouvernement Doumergue, qui, vers 16 heures, annonce l'heureuse nouvelle par téléphone à «la voix d'or». La cent neuvième femme à avoir le droit d'épingler le ruban rouge est très émue. Le soir après la représentation de Jeanne dorée dans son théâtre, les artistes et le personnel félicitent «la patronne» et lui remettent une croix en diamant selon l'Éclair.

Des félicitations affluent des quatre coins du monde

L'actrice Sarah Bernhard (1844-1923) arrivant à Ne York pour sa tournée d'adieu aux États-Unis en 1912. CSU/©Rue des Archives/BCA/CSU

Personne ne conteste la légitimité de la décoration pour cette figure exceptionnelle, qui par ses innombrables créations à Paris et ses abondantes tournées dans le monde a œuvré pour la gloire et le prestige de la France depuis tant d'années, en faisant triompher l'art dramatique français. Ainsi on peut lire dans le quotidien de l'actualité des spectacles Comoedia, du 18 janvier, que la comédienne a connu toutes les gloires, a été acclamée par tous les peuples du monde et «a porté l'admiration et le respect des lettres françaises à travers tout l'univers». De fait des télégrammes de félicitations arrivent de tous les points du monde et tout particulièrement de l'Angleterre et de l'Amérique. Le Journal du 17 janvier révèle que pour la seule journée de la veille elle en reçoit plus de deux mille. Mais ils arrivent aussi de France. Ainsi l'auteur dramatique Edmond Rostand la félicite en ces termes: «Chère grande amie, je vous embrasse de tout mon cœur. C'est les larmes aux yeux que je vous donne ma plus enthousiaste accolade.»

Cette distinction si méritée procure une grande joie à nombre de personnes dont Robert de Flers, grand admirateur de Sarah Bernhardt qui écrit dans Le Figaro: «L'on peut dire que c'est sur le champ de bataille, sur le champ de victoire que l'on vient de décorer cette artiste si grande que les plus grandes après elle s'inclinent avec autant de grâce que de respect sur son passage où il reste encore de la lumière.» Voici en intégralité son article.


En partenariat avec RetroNews, le site de presse de la BnF

Article paru dans Le Figaro du 16 janvier 1914.

Mme Sarah Bernhardt chevalier de la légion d'honneur

Portrait de la comédienne Sarah Bernhardt peint par Georges Clairin en 1876. Bridgeman Images/RDA/Bridgeman Images

Ce fut une grande nouvelle et une grande joie. Nous l'avons tous accueillie avec le plus sincère élan de reconnaissance pour le ministre qui sut si bien comprendre qu'il importait pour la Légion d'honneur que Mme Sarah Bernhardt reçût bien vite ce petit bout de ruban rouge: on aurait dû depuis si longtemps l'accorder à son génie merveilleux, à son labeur magnifique.

Comment ne pas être ému par l'adorable énergie que Mme Sarah Bernhardt ne cesse de mettre au service de son art. Il sembla qu'il ne lui en coûte aucun effort. Son courage fait bon ménage avec cette grâce supérieure qui est la sienne. C'est en souriant -souvent à travers des larmes- que chaque soir elle descend de la scène, la représentation finie; c'est en souriant qu'elle s'éloigne presque chaque année pour de longs mois, malgré l'angoisse de quitter des êtres chers. C'est en souriant qu'elle dompte la fatigue ou la douleur. Elle sait qu'elle n'a point le droit de s'appartenir, qu'elle se doit à ses personnages, et qu'il lui est défendu de souffrir d'une autre souffrance que de la leur.

Et voilà pourquoi Mme Sarah Bernhardt a perpétuellement sur le visage cette beauté, ce rayonnement -qui est déjà une récompense- et que l'on n'aperçoit guère que dans le regard de ceux qui n'ont rien refusé d'eux-mêmes à leur foi ou à leur art.

Est-elle très près, est-elle très loin? On ne sait. Il ne lui faut qu'un instant pour passer du rêve à la vie.

Toute cette puissance d'influence, de séduction, d'enchantement, Mme Sarah Bernhardt l'a consacrée à défendre la grande cause du théâtre français, des lettres françaises, et elle a su parfois, à force de vérité et de noblesse expressive, faire acclamer notre langage par des foules qui, sans le comprendre, en sentaient mystérieusement le prestige et la douceur. Elle fut l'infatigable, l'héroïque ambassadrice du génie de notre race. Rien ne l'arrêta, rien ne la rebuta dans cette mission qu'elle accepta toujours avec ce parfait désintéressement qui, malgré tant de millions gagnés, ne lui permit d'enrichir que sa gloire, qui retentit chaque fois que l'on prononce ce nom fier, caressant et mystérieux: Mme Sarah Bernhardt.

Sarah Bernhardt (1844-1923) dans le rôle du duc de Reichstadt dans la pièce de théâtre «L'Aiglon» d'Edmond Rostand. Photo extraite du journal «Le théâtre» en 1900. Rue des Archives/©Rue des Archives/Collection Gre

Les années en s'écoulant n'ont point diminué tant d'ardeur, n'ont point atténué tant d'incroyable vaillance. Et l'on peut dire que c'est sur le champ de bataille, sur le champ de victoire que l'on vient de décorer cette artiste si grande que les plus grandes après elle s'inclinent avec autant de grâce que de respect sur son passage où il reste encore de la lumière.

Ce qu'il faut savoir, ce que savent tous ceux qui la connaissent, c'est que cette divine interprète de l'idéal et du réel sait être, quand il lui convient -et il lui convient tous les jours- la femme la meilleure, la plus simple, la plus capable de s'émouvoir d'une infortune ou de s'égayer d'un récit plaisant, même quand c'est elle qui le conte. Tout à l'heure, elle exprimait de la façon la plus déchirante la passion ou la douleur, et la voici maintenant enjouée, malicieuse, presque gamine, comme si elle trouvait, dans son génie même, une source claire et profonde de perpétuel rajeunissement. Elle s'emportera dans la discussion, avec véhémence, pour défendre la nuance, le geste ou le beau vers qui lui passe dans l'esprit ou devant les yeux. Ou bien elle sera distraite, absente et sourira à une pensée intérieure. Est-elle très près, est-elle très loin? On ne sait. Il ne lui faut qu'un instant pour passer du rêve à la vie. On ne sut jamais atterrir avec plus de légèreté et d'aisance.

On vient de décorer une fée. Il était temps, ou bien les étoiles, l'arc-en-ciel et le printemps auraient fini par s'en mêler.

Ce n'est point l'heure d'énumérer tant de rôles dans lesquels nous ne verrons jamais un autre visage que le sien. Ce qu'elle fut sous le pourpoint noir d'Hamlet, sous les voiles désolés de Phèdre ou sous le toquet florentin de Lorenzaccio, nous ne saurions l'oublier. Nous avons d'elle tant de grands souvenirs que notre mémoire en est comme embellie.

La «Grande Sarah Bernhardt», tragédienne, ici en 1894. Rue des Archives/©Rue des Archives/PVDE

Je suis sûr que toutes les femmes qui ont reçu avant Mme Sarah Bernhardt le ruban rouge en furent parfois gênées les soirs où elles songeaient que c'était elle avant toute autre qui eût dû obtenir cette distinction. Désormais, leur croix leur semblera plus brillante à porter.

Remercions donc M. Viviani qui nous a donné l'occasion, en attribuant à Mme Sarah Bernhardt une récompense tant de fois gagnée, de manifester notre tendre admiration, notre fervent enthousiasme pour celle qui n'ignora aucune des noblesses de l'âme, aucun des courages du cœur, aucune des beautés de l'art, et de tous les arts. Nous n'exceptons même point l'art d'être grand-mère, qui n'est point le moindre de ses orgueils.

Je me souviens avoir vu un jour une bien émouvante photographie. Elle représentait Mme Sarah Bernhardt penchée -comme elle seule sait se pencher- sur le berceau de son arrière-petite-fille. N'était-elle pas surprise ainsi dans son rôle essentiel, son rôle de marraine, qu'elle semblait avoir hérité directement des fées, ses sœurs?

On vient de décorer une fée. Il était temps, ou bien les étoiles, l'arc-en-ciel et le printemps auraient fini par s'en mêler. On ne doit point parler d'autre chose, ce soir, dans la forêt de Brocéliande.

Par Robert de Flers

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  • Little Varron

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