Christophe Castaner à «La Dépêche» : «Si le 80 km/h n'a servi à rien, nous pourrons revenir au 90 km/h»

  • Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, à Paris, le 10 décembre 2018
    Le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, à Paris, le 10 décembre 2018 ludovic MARIN
  • h depuis le 1er juillet.
    h depuis le 1er juillet. Photo DDM, Laurent Dard
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Propos recueillis par Lionel Laparade

Christophe Castaner, le ministre de l'Intérieur, qui est aujourd'hui dans l'Aude, pour saluer le courage des fonctionnaires de ce département meurtri, revient sur l'Acte 9 des Gilets jaunes. Et dit les espoirs qu'il porte dans le Grand débat. "Si le 80 km/h n'a servi à rien en termes de sécurité routière, nous pourrons revenir au 90 km/h", indique également le ministre.

L'Acte 9 des Gilets jaunes a donné lieu à une mobilisation supérieure au précédent, en dépit du discours de fermeté de l'exécutif. Comment analysez-vous ce sursaut ?

On ne peut parler de sursaut. 84 000 gilets jaunes se sont mobilisés samedi à travers la France. Ils étaient 280 000 le 17 novembre, 136 000 début décembre. En tout état de cause, cette mobilisation n'a rien à voir avec les grandes manifestations que notre pays a pu connaître par le passé. Ce que je déplore et condamne, c'est que ces dernières semaines, il y a eu trop de violence, à Carcassonne, à Narbonne, partout en France. Et je veux en particulier condamner avec la plus grande fermeté les violences commises à l'encontre des journalistes. La liberté de la presse est un principe fondamental de notre démocratie. Les journalistes doivent pouvoir faire leur travail sans risquer d'être brutalisés. Il est plus que temps que la démocratie retrouve ses droits. On doit, dans notre pays, pouvoir débattre plutôt que se battre. Ce que je souhaite, c'est que le grand débat national qui s'ouvre maintenant se déroule dans un climat serein et constructif.

Dix et trois mois après l'attaque terroriste de Trèbes et les inondations, c'est important de se souvenir du rôle joué par les services de l'État dans la gestion de ces catastrophes ?

Je viens saluer le travail exceptionnel des policiers, des gendarmes et des sapeurs-pompiers qui ont accompli et accomplissent quotidiennement un travail remarquable au péril de leur vie, qui les conduit parfois jusqu'au sacrifice ultime, mais aussi la Préfecture et les services de l'Etat, qui coordonnent au quotidien notre action sur le terrain. La triste actualité de ce week-end, avec l'explosion dans un immeuble parisien qui a coûté la vie à deux sapeurs-pompiers en service, en est une nouvelle et douloureuse démonstration. Aujourd'hui plus que jamais, alors que nos forces de sécurité et de secours ont été à maintes reprises prises pour cible par des manifestants violents, nous devons faire bloc derrière ces héros du quotidien. C'est une fierté pour moi de pouvoir les décorer aujourd'hui pour leur apporter notre reconnaissance au nom du président de la République, du Gouvernement et des Français.

Pourtant, le gouvernement a programmé la suppression de plusieurs dizaines de milliers de postes de fonctionnaires…

Le Gouvernement ne fait pas une politique de rabot. Je sais bien que c'est ce que ressassent nos opposants, mais répéter une erreur n'en fait pas une vérité. Le budget de mon ministère en 2018 et 2019 aura augmenté de plus d'1 milliard d'euros. Pour nos écoles ce sera une hausse de 860 millions et pour la santé une augmentation de plus de 1.7 milliard cette année. Et si vous voulez du concret je peux vous parler des voitures neuves que nous allons acheter pour nos policiers ou nos gendarmes. C'est cela la réalité. Mais il ne s'agit pas de toujours dépenser plus pour dépenser plus. Nous voulons une action publique et un service public plus efficaces, mais nous nous sommes attentifs, aussi, à maîtriser nos finances publiques. Alors oui, nous supprimons des postes dans certaines administrations, quand des réorganisations sont possibles, quand le déploiement des outils numériques le permet. C'est le cas par exemple au sein de l'administration fiscale, grâce à la mise en place du prélèvement à la source. Mais nous créons des postes là où nous estimons qu'il y a une priorité, un besoin. A la justice, dans l'éducation nationale et dans les forces de l'ordre par exemple. Dans mon ministère, c'est 10 000 postes qui seront créés dans la police et la gendarmerie d'ici la fin du quinquennat, dont 1900 pour renforcer les services de renseignement et la lutte antiterroriste.

 

Avec le Grand débat national, Emmanuel Macron s'expose aux critiques des territoires ruraux, «les oubliés de la République», très représentés parmi les Gilets jaunes ?

La colère des gilets jaunes vient de loin. La hausse du carburant et les difficultés de pouvoir d'achat en ont été les déclencheurs, et nous y avons répondu par des mesures fortes et immédiates. Mais je crois que ce mouvement est plus fondamentalement l'expression d'une inquiétude, qu'il faut entendre, face aux mutations profondes et rapides auxquelles notre pays et nos territoires sont confrontés : la métropolisation, la question écologique, la transformation numérique, avec la crainte d'une coupure entre les élites et le peuple. Toute la politique voulue par le président de la République et conduite par le Gouvernement vise précisément à répondre à ces défis, à faire en sorte que les Français soient mieux représentés et que personne ne soit laissé au bord du chemin. C'est le sens de la priorité donnée à l'éducation, aux réformes engagées pour développer l'apprentissage et la formation, pour offrir de nouvelles protections aux Français et garantir partout l'accès aux services publics. Le grand débat national initié par le Gouvernement sera l'occasion de répondre de manière encore plus précise aux attentes légitimes de nos concitoyens.

Plusieurs maires ont d'ores-et-déjà annoncé que leur implication dans la conduite du Grand débat se résumera à un «service minimum», comme si la défiance avait gagné les rangs des élus de proximité. Le lien est-il rompu ?

Je ne partage pas cette analyse. Partout sur le territoire, les maires se sentent pleinement concernés par ce moment difficile que traverse notre pays. Dès le début du mouvement des Gilets Jaunes, des milliers d'entre eux se sont déclarés disponibles pour faciliter le dialogue en ouvrant leur mairie et en mettant à disposition des cahiers de doléances pour recueillir les attentes de leurs administrés. Ils sont les élus du quotidien, au plus proche des habitants. Leur rôle n'est certes pas le même que celui de l'Etat, mais il est non seulement légitime mais essentiel. Quant au lien, je vous assure qu'il n'est pas rompu ! Jacqueline Gourault travaille main dans la main avec les associations d'élus et va leur présenter d'ailleurs aujourd'hui même les supports à leur disposition pour les aider dans la mise en œuvre du Grand débat.

Si l'abandon du 80 km/h est réclamé dans le cadre du Grand débat, l'exécutif pourrait-il revenir en arrière

Les 80 km/h n'ont qu'un objectif : sauver des vies, et je crois que nous pouvons tous nous retrouver autour de cet enjeu simple. Ceux qui détruisent les radars, la nuit, portent une bien lourde responsabilité. Il faut d'urgence retrouver le sens et la hiérarchie des valeurs. Entre une minute perdue et une vie sauvée, il n'y a pas à hésiter. Nous nous sommes engagés à évaluer le résultat des 80 km/h au bout de deux ans ; en attendant nous serons totalement transparents sur les résultats. Si cette mesure n'a servi à rien, alors oui nous pourrons revenir au 90 km/h. Mais si grâce à cette mesure, la mortalité sur les routes a reculé et si on a sauvé des vies, on fait quoi ? On y renonce ?

La cagnotte pour les forces de l'ordre a rassemblé plus d'un million d'euros. Soutenez-vous cette initiative ?

Bien sûr ! Et je veux remercier les Français qui ont contribué. C'est un signe fort de soutien qu'ils apportent à ces femmes et à ces hommes qui s'engagent et risquent leur vie pour les protéger chaque jour. Mais pour les aider, ce que je demande aussi, c'est que chacun les respecte au quotidien. J'ai en mémoire les scènes du 11 janvier 2015, les policiers applaudis… Quel contraste avec les violences inacceptables commises contre nos forces de l'ordre ces dernières semaines ! Comment accepter l'attaque contre le peloton autoroutier de Narbonne qui a été dévasté et incendié ? Elle a été d'une rare violence, les locaux ont été complètement incendiés et deux véhicules de gendarmerie sont partis en fumée. Nos policiers et nos gendarmes sont là pour assurer notre sécurité et défendre nos libertés. Le civisme, le respect des lois et des règles, sont le meilleur hommage et le plus grand service qu'on puisse leur rendre.

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