Justice

Homophobie en ligne : 200 plaintes pour faire écran à l’impunité

LGBT +dossier
Après huit mois de veille sur Internet, deux associations lancent jeudi une action en justice de grande ampleur pour poursuivre enfin ceux qui menacent et insultent les personnes LGBT sous couvert d’anonymat.
par Florian Bardou
publié le 14 janvier 2019 à 20h47

Ce sont des dizaines de messages haineux, parfois des centaines, publiés sur Internet chaque jour. Un flot de paroles fielleuses déversé dans l'anonymat, sans que les auteurs soient inquiétés. Des injures, des amalgames douteux entre homosexualité et pédophilie, mais aussi des incitations à la violence et des menaces de mort… Bref, de l'homophobie exprimée en toute décontraction, comme ici : «Il est temps de dire que les homos n'ont pas leur place dans ce monde», «Je prie pour rencontrer une LGBT en face de moi et lui casser la gueulrme [sic]», «Pas besoin d un AK 47, déjà l enfer vous y aller en delta plane [sic]», «Si je pouvais, je ferai subir le même sort au pd [sic] de France que les tchétchènes».

Repérés par des internautes sur Twitter ou des sites d'extrême droite comme Egalité et Réconciliation, ces propos, particulièrement violents, n'ont pas échappé aux associations Mousse et Stop Homophobie. A l'issue de huit mois de veille et avec l'aide du réseau «avocats gay-friendly», ces deux organisations militantes vont déposer jeudi un peu plus de 200 plaintes contre X pour «injure publique», «diffamation publique» et «provocation publique à la haine et à la violence» en raison de l'orientation sexuelle.

L'objectif de cette offensive judiciaire est double : tirer la sonnette d'alarme sur l'impunité qui règne en ligne, en particulier sur les réseaux sociaux, à l'égard des propos haineux d'abord ; mais surtout obtenir de la justice que leurs auteurs soient condamnés, sachant que les déclarations LGBTphobes sont des délits punis dans le code pénal par de fortes amendes, voire de la prison. «Tout est parti du constat qu'aujourd'hui, on nous signale de très nombreux propos homophobes qu'on n'a pas le temps de poursuivre, explique à ce sujet Me Etienne Deshoulières, avocat au barreau de Paris et coordinateur de cette action en justice de grande ampleur. Il était urgent de sensibiliser les procureurs à ce flot de haine même si on ne souhaite pas engorger les tribunaux.»

Diatribes. Parmi les 213 plaintes déposées simultanément dans une douzaine de juridictions par les deux associations, 18 concernent des menaces de mort en ligne, notamment celles proférées à l'encontre de Lyès Alouane, jeune militant engagé contre l'homophobie à Gennevilliers. «Le message qu'on veut faire passer, c'est que ceux qui tiennent ce genre de propos en ligne sous couvert d'anonymat laissent des traces, poursuit Me Deshoulières. On peut donc les retrouver pour les faire condamner.»

C'est que sur le Net, outre le refuge de l'anonymat, les auteurs de messages de haine jouissent à ce jour d'une réelle impunité pénale. Et quand ils ne sont pas poursuivis - c'est majoritairement le cas -, leurs propos illégaux sont très mal modérés par les plateformes numériques comme Twitter ou Facebook, malgré l'obligation qui leur est faite de supprimer un contenu délictueux lorsqu'elles en ont connaissance. Résultat : selon les associations, les diatribes LGBTphobes tenues en ligne seraient ces derniers mois en pleine «recrudescence». «Internet est le premier théâtre d'expression de la haine LGBTphobe, confirme le président de SOS Homophobie, Joël Deumier. Or l'impunité nourrit et légitime l'homophobie.»

Dans son dernier rapport, publié en mai, l’association relevait que 22 % des témoignages d’actes de haine envers les homos, les bis ou les trans recueillis en 2017 l’avaient été pour des messages LGBTphobes postés sur Internet, des cas qui ne représentent néanmoins qu’une infime portion des manifestations des LGBTphobies en ligne, difficile à comptabiliser tant elles sont légion.

«Responsabilité». La faute à des leviers de lutte insuffisants ? Mise en place en 2009 pour permettre aux internautes de signaler les contenus illicites à la police, la plateforme gouvernementale Pharos n'a, par exemple, toujours pas les moyens d'action nécessaires pour faire face à l'ampleur de la tâche, regrette Joël Deumier. Sur les 150 000 signalements qui lui sont faits chaque année, seuls 9 % sont liés «à des discriminations» et sans que l'on sache le nombre d'enquêtes ouvertes.

«Nous demandons que les responsables de la plateforme publient chaque année le nombre de signalements qu'elle traite pour des faits de haine et ce qui est fait ensuite, indique le président de SOS Homophobie. On plaide également pour une responsabilité pénale des plateformes numériques quand elles ne suppriment pas un contenu haineux.»

Annoncé pour 2019, un projet de loi visant à renforcer la lutte contre la haine en ligne envisagerait de contraindre plus sévèrement Facebook, Twitter et consorts à - enfin - supprimer les contenus haineux. Reste à savoir si ces initiatives mettront un frein à l’homophobie qui prospère en ligne.

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