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Pourquoi le "Sciences-Po d'extrême-droite" fondé par Marion Maréchal ne décolle pas

De rares étudiants, pas de statut... Derrière l’emballement médiatique, le démarrage de l’Issep, « Sciences-Po » d’extrême droite fondé par Marion Maréchal, est poussif.

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586 veriteMarion Marechal (former FN deputy of Vaucluse) during the inauguration of her new school: the ISSEP in Lyon in the confluence district.  Marion Marechal is the director of ISSEP, a private school of political science, recruiting students with 3

Inauguration de l’Issep par Marion Maréchal, le 22 juin 2018, à Lyon. La première promotion de l’école ne compte qu’une quinzaine d’étudiants. La direction annonce par ailleurs une cinquantaine d’inscrits aux stages de formation continue.

Konrad K./Sipa

Académie politique », « Sciences-Po de droite », « métapolitique » Marion Maréchal a réussi un joli coup médiatique avec le lancement de son école en juin, puis avec la rentrée officielle en octobre. Mais, derrière les gros titres et les forêts de micros, l’intendance n’a pas franchement suivi. Cinq mois après l’inauguration de son Institut des sciences sociales, économiques et politiques (Issep), la jeune directrice n’avait toujours pas obtenu le statut d’établissement d’enseignement supérieur privé. « Rien n’empêche une association de louer un local et d’y tenir des réunions », ironisait alors un haut fonctionnaire du ministère de l’Enseignement supérieur. Avant de reprendre plus sérieusement : « Sur le fond, nous avons été très surpris d’entendre Marion Maréchal répéter tout le mois d’octobre qu’elle était à la tête d’une école supérieure privée, alors que c’était juridiquement faux. »

Cancre administratif

Celle qui ambitionne de former « des dirigeants aptes au discernement et à l’esprit critique » s’est en effet révélé un cancre en matière de formalités administratives. Incapable de communiquer des informations basiques au ministère sur le fonctionnement de sa future école, comme l’avait déjà relevé l’émission Quotidien, de Yann Barthès, sur TMC. Dans la déclaration d’ouverture de l’Issep, transmise au rectorat de Lyon, Marion Maréchal promettait ainsi 450 heures d’enseignement et une liste de quelque 21 professeurs. Mais, fin septembre, son dossier ne renseignait plus que 90 heures de cours et apportait des informations lacunaires sur à peine six professeurs.

Le 3 octobre, le rectorat a donc réclamé par courrier des pièces complémentaires. Quinze jours plus tard, un responsable de l’Issep est venu les déposer en mains propres. Las, cette fois, ce sont les éléments concernant la direction de l’école qui pêchaient. Légalement, la direction d’un établissement supérieur doit en effet être assurée par un des administrateurs de l’école mentionnés dans la déclaration d’ouverture. Or ce n’était pas le cas de Marion Maréchal. Le 4 janvier, l'Issep a enfin reçu l'autorisation d'ouvrir un établissement d'enseignement supérieur privé et il est officiellement ouvert depuis le 14 janvier.

Diplôme non reconnu

Pour cette première rentrée, les étudiants ne se sont de toute façon pas bousculés au portillon. A ce jour, une quinzaine d’élèves ont intégré le magistère 1 de Management de projets et sciences politiques, et évoluent dans les 300 mètres carrés du rez-de-chaussée d’un immeuble moderne du quartier d’affaires de Lyon. A titre de comparaison, le plus petit Institut d’études politiques, celui de Rennes, compte plus de 1 300 étudiants et Sciences-Po Paris en accueille quelque 13 000 chaque année. Histoire d’attirer de nouvelles recrues, l’école organise régulièrement des conférences de personnalités médiatiques ouvertes au public. Dernier en date, le journaliste Eric Zemmour devait présenter le 14 novembre son best-seller Destin français. « Ils essaient de draguer les enfants de la bonne bourgeoisie conservatrice lyonnaise, commente un connaisseur du projet. Mais ce n’est pas gagné. »

Le fait que les magistères de l’école ne soient pas reconnus par l’Etat freine les inscriptions. D’autant que l’année coûte 5 500 euros. « Nous ne vendons pas un tampon de l’Etat, mais bien une formation d’excellence qui permet d’être compétitif sur le marché du travail », affirme sans rire Marion Maréchal. Dans trois ans le délai minimum légal , elle tentera néanmoins de décrocher le précieux sésame de l’Etat. D’ici là, l’Issep cherche à nouer un partenariat avec une université italienne ou d’autres facs européennes, afin de jouer sur les équivalences de diplômes entre établissements européens. « On va profiter des bons côtés de l’Union européenne », sourit un membre de l’équipe.

Côté financier, c’est le black-out complet. L’Issep engrange les frais de scolarité réglés par les étudiants, soit un maximum de 182 000 euros cette année, si l’on rapproche les chiffres de fréquentation annoncée et les tarifs de l’école (magistère 1 et formation continue). En tant qu’association, elle peut aussi bénéficier de dons de particuliers et d’entreprises. « Nous ne communiquons ni sur notre budget, ni sur nos donateurs », évacue la direction, tout en précisant que « les dons étrangers ne sont pas acceptés ».

« Pluralisme » de façade

Quelles seront les spécificités des enseignements de l’Issep par rapport à Sciences-Po ? « L’éventail des matières étudiées est plus large, assure avec aplomb Marion Maréchal. Nous sommes une école de sensibilité conservatrice, mais qui s’attache au retour d’un vrai pluralisme intellectuel. » Le « conseil scientifique » de l’école donne une idée de ce pluralisme. Il est coprésidé par Patrick Louis, un agrégé d’économie, ancien eurodéputé et conseiller régional sur les listes de Philippe de Villiers, et Jacques de Guillebon, rédacteur en chef du très « marioniste » L’Incorrect. En 2012, ce dernier avait soutenu que « l’homosexualité est un désordre mental » et « un mal ».

Autour de la table se trouve aussi un journaliste du site d’information de Steve Bannon, le sulfureux ex-conseiller de Donald Trump, qui rêve de faire triompher le populisme d’extrême droite en Europe. Et l’ancien fondateur d’un parti royaliste qui avait rassemblé 0,96 % des voix dans le VIIe arrondissement de Paris aux municipales de 2008. « Nos enseignements seront moins formatés «pensée unique» qu’à Sciences-Po, détaille Jacques de Guillebon. Par exemple, on étudiera ce qui est intéressant chez Charles Maurras [l’écrivain royaliste du début du xxe siècle]. » Marion Maréchal mentionne, elle, les courants du catholicisme social ou de la décroissance, plutôt à gauche. « Nous assumons le souhait de former une nouvelle élite patriote, défend-elle, qui intégrera le souci de l’indépendance et de la prospérité de son pays dans son projet professionnel. »

Cette « nouvelle élite » sera aussi façonnée par les stages de formation continue ouverts à tous. A en croire la direction de l’Issep, une cinquantaine de personnes se sont déjà inscrites aux dix week-ends intitulés « Leadership et sciences politiques ». Un vrai séminaire pour apprenti souverainiste. La session s’ouvre sur trois heures consacrées à « Qu’est-ce qu’un chef ? » et se clôt par quatre heures sur « Le transhumanisme, avenir de l’homme ? ». Sans oublier, en option, un stage d’aguerrissement pour l’indispensable « dépassement de soi » et l’« endurcissement ».

Futurs soutiens politiques

« L’idée de Marion est de professionnaliser des sympathisants politiques ou responsables d’associations sur qui la droite de la droite pourra s’appuyer si elle prend le pouvoir, décrypte Jean-Yves Le Gallou, ex-haut fonctionnaire et ancien du FN, qui l’a aidée à bâtir le programme. Elle occupe le terrain de la formation qui a été totalement déserté par les partis politiques depuis les années 1990. » Le stage comporte d’ailleurs des cours spécifiques sur les campagnes électorales, et deux week-ends sont réservés à la communication, avec deux cours de 5 heures pour réussir un débat ou une interview télévisés.

Tout en niant un quelconque « tremplin personnel », Marion Maréchal a reconnu dans Le Figaro Magazine que l’Issep lui permettait de « faire de la politique autrement ». « On a tous compris qu’il s’agissait de former ses futurs soutiens », sourit Paul-Marie Coûteaux, ex-eurodéputé villieriste, qui prodigue ses conseils à la benjamine des Le Pen. « Marion lit beaucoup, elle se prépare intelligemment, observe cet ancien porte-parole de Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2012. Elle connaît bien l’histoire de France et sa part de providence. » Elle en aura bien besoin pour assurer l’avenir de son école.

 

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