Sauver la planète passe par notre assiette

Un groupe de scientifique donnent leurs recommandations pour une alimentation plus saine, plus durable et abondante pour tous. [Shutterstock]

L’alimentation est le meilleur levier pour améliorer la santé humaine et la durabilité de l’environnement, selon un groupe de scientifiques, qui estime qu’un bon régime alimentaire pourrait réduire de 20 % la mortalité adulte dans le monde.

La moitié de la population mondiale est mal nourrie (trop, trop peu, ou de manière inadéquate). En parallèle, les ressources de la planète sont surexploitées et nous courrons à la catastrophe climatique. Comment résoudre ces problèmes, à première vue très éloignés ? En changeant ce que l’on met dans son assiette, selon un rapport du groupe EAT publié dans la revue médicale The Lancet.

Dans leur rapport, Se nourrir dans l’anthropocène : une alimentation issue de production durable, des chercheurs se penchent sur les liens étroits entre la santé, la protection de l’environnement et l’alimentation. Leur conclusion est scientifiquement rigoureuse, relativement simple et accessible à tous, il s’agit d’adopter un régime alimentaire qui favorisera l’utilisation efficace des ressources et la protection de la planète, ainsi que la santé humaine.

Dans les grandes lignes, les auteurs recommandent de manger plus de protéines végétales, sans pour autant renoncer à la viande rouge, et moins de sucre. Cela passe par le doublement de la consommation mondiale de noix, fruits, légumes et légumineuses, la réduction de moitié de la consommation de sucres ajoutés, véritable catastrophe sanitaire, et la réduction de moitié de la consommation de viande rouge dans les pays les plus développés.

Outre ses bienfaits climatiques, un régime ainsi équilibré permettrait notamment de réduire de 20 % la mortalité adulte dans le monde en évitant jusqu’à 11,6 millions de décès par an. Aujourd’hui, « un régime alimentaire malsain représente un risque plus élevé de morbidité et de mortalité prématurées que celui causé par la somme des rapports sexuels non protégés, de l’alcool, des drogues et du tabac » réunis.

Pour Fabrice DeClerck, directeur de recherche de EAT, il faut retenir trois choses importantes des suggestions du rapport. Premièrement, les recommandations sont basées sur des fourchettes d’ingrédients flexibles, facilement adaptables aux individus et sociétés diverses. Ensuite, il n’y a pas besoin de supprimer la viande, seulement de la consommer de manière plus raisonnée. Et enfin, les propositions ne sont pas une dénonciation des agriculteurs et producteurs. « Il est important de changer de système agroalimentaire en travaillant avec eux, et non contre eux », insiste-t-il.

Quant aux recommandations spécifiques, elles sont très diverses et on ne peut pas appliquer la même recette à tous les pays. « Une taxe sur la viande, par exemple, comme l’envisagent les Britanniques, est une idée intéressante. Au Royaume-Uni, ça se tient, mais dans un pays comme l’Éthiopie, ça n’aurait pas de sens », fait-il remarquer.

Urgences multiples

C’est pour pallier le manque de coordination des objectifs scientifiques permettant de transformer le système alimentaire mondial que la commission EAT-Lancet s’est formée, rassemblant 37 scientifiques de 16 pays issus de disciplines diverses.

Leur objectif n’était pas des moindres : établir un régime alimentaire sain et durable à l’échelle planétaire pour nourrir près de 10 milliards d’humains d’ici 2050. Ils se sont donc penchés sur deux facteurs à l’impact disproportionné sur la santé et la durabilité : la consommation (alimentation saine) et la production (production durable).

Parmi les chevaux de bataille des auteurs du rapport, l’importance de la dimension politique d’une alimentation saine. Les pouvoirs publics auraient ainsi tout intérêt à donner des informations aux citoyens sur leur alimentation, afin de réduire la facture des maladies liées à la malnutrition, comme l’obésité, de plus en plus courante dans nos pays.

Les politiques européennes comme la PAC sont aussi à revoir. « Ça fait 60 ans qu’on aide la production de graines (blé, riz, etc.) parce que dans un contexte de faim, on encouragé la production de calories, et non de produits ayant une bonne valeur nutritionnelle », explique Fabrice DeClerck. « Mais aujourd’hui on se retrouve avec une consommation trop faible de tout le reste : légumes, légumineuses, fruits, noix. »

C’est aussi l’avis de Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l’université de Grenoble et Directeur de la Maison des Sciences de l’Homme Alpes, qui a lancé avec des collègues l’initiative Lundi Vert, une incitation à manger plus sain et plus durable une fois par semaine. Le projet est aussi une étude qui permettra d’ici un an d’en savoir plus sur les changements d’habitudes alimentaires et leurs motivations.

Il regrette que les politiques agricoles européennes favorisent un schéma alimentaire fondé sur les protéines animales. Pour lui, les fonds devraient être réaffectés vers d’autres types d’aliments et vers l’accompagnement des agriculteurs qui veulent s’adapter aux nouvelles habitudes.

Au niveau français, l’action pourrait commencer par la correction des informations disponibles sur des sites officiels, qui encouragent une consommation de viande exagérée et ne font pas assez de place aux légumes. Cela pourrait s’assortir de campagnes d’informations publiques sur les besoins alimentaires réels, car nombre de citoyens pensent encore qu’une alimentation sans viande n’est pas aussi saine.

Fabrice DeClerck explique que le collectif travaille par ailleurs avec une quarantaine d’entreprises privées, afin de favoriser une production agroalimentaire plus équilibrée. Il existe aussi des collaborations avec les mairies de villes européennes, comme Londres ou Stockholm.

C’est aussi le cas de Paris, qui a récemment adopté une stratégie pour une alimentation durable proposant un régime flexitarien (à faible consommation de viande, notamment) et une agriculture à émissions de gaz à effet de serre réduites. La stratégie implique aussi l’augmentation de la production de fruits et légumes dans le bassin parisien, des pratiques assurant la protection de l’eau et des mesures de stockage de carbone.

« Aucun levier n’est plus puissant que l’alimentation afin d’optimiser la santé humaine et la durabilité de notre environnement. Pourtant, notre système alimentaire menace aujourd’hui à la fois la santé humaine et la stabilité de notre planète », soulignent les auteurs du rapport. Le message commencerait-il à passer ?

 

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