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Selon une récente étude, les infections résistantes aux antibiotiques ont fait près de 33 000 morts en Europe en 2015. Entretien avec Mélanie Colomb-Cotinat, qui a participé à l'étude.
Une vaste étude menée par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) a recensé quelque 672 000 infections dues à des bactéries résistantes aux antibiotiques, ayant entraîné 33 000 décès. Le point avec Mélanie Colomb-Cotinat, de Santé publique France, qui a contribué à cette étude à l’échelle du pays.
Comment avez-vous procédé pour mener cette étude ?
Nous avons utilisé à la fois des données de surveillance et des données déjà publiées. Des laboratoires volontaires déclarent les cas de bactériémie (présence de bactéries dans le sang) à bactérie résistante au réseau national de chaque pays européen, lequel envoie ensuite les données à l’ECDC. Nous avons alors estimé, à partir du nombre de bactériémies liées à une bactérie et de la littérature scientifique, le nombre de cas d’autres types d’infection avec la même bactérie : infections urinaires, pneumopathies, infections ostéoarticulaires… L’idée était de couvrir le plus largement possible les différents types d’infection.
Enfin, à partir de là, nous avons estimé, toujours à l’aide de la littérature, la mortalité et la perte de qualité de vie, calculée en « années de vie ajustées sur l’incapacité » (DALYs). Cette mesure représente le nombre total d’années perdues à cause d’un décès ou d’une incapacité, ici à la suite d’une infection à bactérie résistante. Par exemple, 30 DALYs représentent soit une personne qui a perdu 30 années de sa vie, soit 30 personnes qui ont perdu une année de vie, ou encore une configuration intermédiaire. Cet indicateur, que l’Organisation mondiale de la santé utilise déjà dans d’autres études sur l’impact global des maladies, a l’intérêt de prendre en compte la durée de vie impactée par une maladie. Il peut servir à comparer des maladies et aider à prioriser les actions de santé.
Pourquoi vous être concentrés sur 16 bactéries résistantes ?
Il existe énormément de bactéries et de types de résistance et, pour autant, on ne surveille pas tout en France, en Europe ou ailleurs. Les bactéries très résistantes, mais très peu pathogènes, comme les staphylocoques blancs, ne font pas l’objet d’une surveillance nationale par exemple. Nous nous sommes donc focalisés sur les bactéries à la fois résistantes et qui occasionnent le plus fréquemment des infections, ainsi que sur les bactéries hautement résistantes émergentes : des bactéries qui suscitent une grande inquiétude, car elles sont ultrarésistantes, y compris aux traitements de dernière ligne. Si l’on contracte une infection avec une de ces bactéries, il y a un risque d’aboutir à une impasse thérapeutique.
Quels sont les principaux résultats ?
Le premier est le poids énorme de l’antibiorésistance. Près de 700 000 infections recensées en Europe ! Les études précédentes l’avaient déjà souligné, mais l’indicateur DALY offre une comparaison assez frappante : en termes d’années de vie perdues, l’impact des infections à bactéries résistantes – près de 900 000 DALYs – équivaut à celui de la grippe, de la tuberculose et du sida cumulés.
Nous avons aussi pu comparer nos résultats avec ceux d’une autre étude européenne publiée en 2009 par l’ECDC, fondée sur des données de 2007. L’étude de 2009 s’appuyait sur une méthodologie différente (en termes de nombre de bactéries ou de types d’infection pris en compte, notamment), mais en réappliquant sa méthodologie à nos données, nous avons pu montrer que globalement, les nombres d’infections et de décès dus aux 16 bactéries résistantes étudiées ont plus que doublé entre 2007 et 2015, même si pour quelques bactéries, comme le staphylocoque doré résistant à la méticilline, ces nombres diminuent dans beaucoup de pays européens.
Enfin, notre étude montre que les populations les plus touchées sont les personnes de plus de 65 ans et les enfants de moins de 1 an. Cela avait été peu mis en évidence auparavant, même si ce n’est pas une surprise : les plus de 65 ans sont plus fragiles, mais aussi plus souvent hospitalisés. Or du fait de leur fonction, les hôpitaux et cliniques constituent des lieux où la pression de sélection de bactéries résistantes est forte, ce qui augmente le risque de développer une infection à bactérie résistante. Quant aux bébés, ils sont eux aussi plus fragiles, vivent en collectivité et reçoivent parfois beaucoup d’antibiotiques – autant de facteurs de risque.
Près d’un tiers des décès dus à des bactéries résistantes ont lieu en Italie. La Grèce est aussi particulièrement concernée. Pour quelle raison ?
Selon Dominique Monnet, de l’ECDC, coauteur de l’étude, l’impact des bactéries résistantes est particulièrement fort dans ces pays à cause du nombre important d’infections dues à des bactéries résistantes aux carbapénèmes et à la colistine : dans ces pays, ces infections sont responsables de plus de 40 % des années de vie perdues à cause des bactéries résistantes. Elles surviennent principalement en milieu hospitalier. Les carbapénèmes et la colistine sont des antibiotiques de dernière ligne : lorsqu’une bactérie leur résiste, les options pour traiter les patients infectés sont très limitées, et l’issue est ainsi souvent plus mauvaise qu’avec d’autres bactéries résistantes.
Si le nombre d’infections dues à ces bactéries ultrarésistantes est si élevé dans ces pays, c’est principalement pour deux raisons : une forte consommation d’antibiotiques, en particulier de carbapénèmes et de colistine (une enquête récente de prévalence a montré que, dans les hôpitaux italiens, 45 % des patients hospitalisés un jour donné reçoivent au moins un antibiotique, alors que la moyenne européenne est de 31 %, et les hôpitaux italiens rapportent l’une des plus fortes proportions d’usage d’antibiotiques à spectre élargi en Europe), ainsi que des pratiques inhomogènes de prévention et de contrôle de la transmission de ces bactéries en milieu hospitalier. Le plan de lutte 2017-2020 mis en place en Italie vise d’ailleurs une diminution drastique de l’utilisation des antibiotiques tant chez les humains que chez les animaux.
Quelle est la situation en France ?
Comme dans toute l’Europe, l’impact du staphylocoque doré résistant à la méticilline, qui était il y a une dizaine d’années la cause principale d’infections à bactéries résistantes, est en très forte diminution grâce à la politique de prévention mise en place. Les infections liées à cet agent pathogène survenant principalement en milieu hospitalier, cette politique a consisté en grande partie à augmenter le niveau d’hygiène à l’hôpital : prévenir la transmission entre patients, se laver les mains, faire attention lors de la pose d’un dispositif invasif comme un cathéter.
En revanche, l’impact des entérobactéries Escherichia coli résistantes aux céphalosporines de troisième génération a considérablement augmenté. Nombreuses dans les flores digestives humaines où elles sont commensales, les bactéries E. coli sont facilement responsables d’infections graves, que l’on a beaucoup traitées avec des céphalosporines de troisième génération. Leur résistance à cette classe d’antibiotiques est ainsi nettement en hausse depuis 10-15 ans en Europe, et on ne parvient pas à l’enrayer. Le phénomène est particulièrement inquiétant, car lorsqu’une bactérie devient résistante à cette classe d’antibiotiques, il ne reste qu’une seule classe pour traiter le patient, les carbapénèmes. Or on voit déjà apparaître des entérobactéries résistantes aux carbapénèmes. En France, pour l’instant, on compte peu d’infections à ce dernier niveau, mais la résistance aux céphalosporines de troisième génération augmentant, on craint que les choses ne s’emballent et ne conduisent à des impasses thérapeutiques.
Pourquoi n’arrive-t-on pas à enrayer la progression de ces entérobactéries résistantes ?
Dans le cas du staphylocoque doré résistant à la méticilline, un facteur de réussite était que cette bactérie est responsable d’épidémies hospitalières majoritairement. La situation est différente avec les entérobactéries. D’abord, on est à une tout autre échelle : les entérobactéries sont les bactéries majoritaires de la flore digestive. Chacun en porte mille fois plus que des staphylocoques dorés. De plus, les entérobactéries vivent dans nos intestins. Or tout ce qui est péril fécal est beaucoup plus difficile à maîtriser : on cohabite tous les jours avec ces bactéries, et partout. Elles se dispersent très vite par transmission via les mains souillées.
Comment renforcer la lutte ?
Il faut agir sur tous les leviers en même temps : le bon usage des antibiotiques, d’une part, et les mesures d’hygiène, d’autre part, avec une vision globale du problème. Les bactéries se propagent entre l’environnement, l’animal et l’humain. Une grande partie de la prévention repose sur des mesures simples d’hygiène appliquées à tous ces niveaux : se laver les mains en rentrant chez soi, ou avant de prendre soin d’une personne ou d’un animal et après, ou après s’être mouché, par exemple. Il est important aussi de respecter les principes d’utilisation des antibiotiques. Nous sommes tous acteurs de la lutte contre l’antibiorésistance.
Un suivi systématique va-t-il être mis en place à l’échelle européenne ?
Il était déjà mis en place en France, il l’est maintenant à l’échelle européenne. L’ECDC a prévu de produire l’année prochaine un rapport sur les données de surveillance mises à jour, et d’utiliser ensuite la même méthodologie pour faire régulièrement le point sur la résistance aux antibiotiques en Europe.
A. Cassini et al., Attributable deaths and disability-adjusted life-years caused by infections with antibiotic-resistant bacteria in the EU and the European Economic Area in 2015 : a population-level modelling analysis, Lancet Infect. Dis., 5 novembre 2018.
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