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Au Burkina Faso, des robinets pour combattre le terrorisme

L’Alliance Sahel finance un programme de raccordement au réseau d’eau potable dans les régions isolées soumises à la menace djihadiste.

Par  (Tougan, envoyée spéciale)

Publié le 17 janvier 2019 à 17h29, modifié le 17 janvier 2019 à 17h29

Temps de Lecture 5 min.

Ramata Drabo, une habitante de Tougan, dans le nord-ouest du Burkina Faso, se sert du robinet d’eau potable récemment installé à l’entrée de sa cour.

Quand Ramata Drabo tend sa tasse vers le robinet à l’entrée de sa cour, elle trouve le geste magique. De l’eau jaillit de la terre aride. La région de la Boucle du Mouhoun, où se situe la commune de Tougan, dans le nord-ouest du Burkina Faso, a beau être l’une des plus arrosées du pays, seulement 64 % de la population y a accès à l’eau potable. Femmes et jeunes filles, souvent préposées à la tâche, doivent parcourir de longues distances pour accéder aux forages, au mépris de la fréquentation de l’école pour les plus jeunes.

« Finies les corvées d’eau ! », lâche, soulagée, Ramata Drabo en dioula. « Avant je mettais près de deux heures chaque jour pour transporter mes barriques de 200 litres sur mon pousse-pousse », poursuit cette ménagère de 51 ans, qui a vu son quotidien changer depuis le branchement de son foyer, il y a cinq mois. « Ça nous facilite la vie, on a de l’eau potable à la maison, avant on avait souvent mal au ventre avec l’eau du puits », ajoute son frère Issa Drabo, assis à côté de sa modeste case en briques de terre cuite, recouverte de sable rouge : « Ça a aussi déchargé mon épouse, elle a plus de temps maintenant pour travailler au marché et vendre plus. »

Pour raccorder son domicile au réseau de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), Issa Drabo n’a eu à débourser que 15 000 francs CFA (23 euros), contre les 30 000 normalement requis. Le reste de la somme a été pris en charge par l’Agence française de développement (AFD, partenaire du Monde Afrique). « C’est ce qui m’a décidé à faire la demande, sinon je n’aurais pas pu, je n’avais pas les moyens », explique le chef de famille, qui travaille comme maçon et éleveur pour subvenir aux besoins de sa femme et de ses cinq enfants.

« Ici, l’eau, c’est la vie »

Près de 4 000 ménages, soit 32 000 personnes, ont déjà été raccordés grâce à ce système de subventions mis en place par l’ONEA et l’AFD en janvier 2018. D’ici deux ans, l’objectif est d’équiper 4 000 autres foyers dans 19 centres urbains du nord et de l’est du pays, près des frontières avec le Mali et le Niger. Des régions périphériques menacées par l’insécurité, où l’accès à l’eau potable reste difficile et le taux de pauvreté élevé.

A Tougan, à la lisière du Sahel, les habitants ont peu d’options. Seuls 10 % d’entre eux bénéficient d’un branchement privé à domicile, les autres doivent se fournir à des puits situés à plusieurs kilomètres ou à des bornes-fontaines plus proches mais où les eaux de surface peuvent stagner ou être polluées. « Ici, l’eau, c’est la vie », martèle Edouard Zerbo, le maire de cette commune de 27 000 habitants, dont près de 90 % vivent de l’agriculture : « On l’utilise pour tout : boire, cuisiner, se laver, cultiver, abreuver les animaux. Sans elle, les activités économiques sont affectées et les dépenses de santé augmentent à cause du développement de maladies. »

Au Burkina Faso, pays enclavé aux ressources hydriques limitées, les disparités régionales sont fortes. Les villes de l’arc frontalier comptent ainsi quatre fois moins de branchements par habitant que la capitale. « Dans ces zones, les ressources sont plus rares. Il y a des châteaux d’eau et des forages, mais si les foyers n’ont pas de robinets ni les moyens de payer le raccordement, cela pose problème », indique le ministre de l’eau et de l’assainissement, Niouga Ambroise Ouédraogo.

La commune de Tougan, dans le nord-ouest du Burkina Faso, compte 27 000 habitants, dont seuls 10 % bénéficient d’un branchement à l’eau potable chez eux.

« Sentiment d’abandon »

Pour avancer, un programme de branchements au réseau d’eau potable a été imaginé. C’est le premier projet de l’Alliance Sahel au Burkina Faso. Créée en juillet 2017 sous impulsion franco-allemande, l’initiative se veut le volet « développement » de la lutte contre le terrorisme dans les pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Elle s’est donné pour objectif de financer et coordonner près de 600 projets dans les pays membres de cette coalition militaire.

A Tougan, le projet a été mis en place en moins de deux mois grâce à des procédures allégées. « Il fallait que ce soit démonstratif, qu’il y ait un impact concret sur les populations, pour montrer le retour de l’Etat dans ces zones. C’est précisément ce sentiment d’abandon par le pouvoir central qui a facilité la prolifération du banditisme ou du terrorisme dans certaines régions », fait valoir Tanguy Denieul, directeur local de l’AFD, qui subventionne le projet à hauteur de 2 millions d’euros.

Sentiment de marginalisation, pauvreté chronique, rareté des ressources, changement climatique… Les défis sont de taille pour la stabilisation des régions frontalières du Burkina Faso, devenu la cible des djihadistes depuis 2015. Ces derniers mois, la situation sécuritaire dans le nord et l’est s’est dégradée, alourdissant le bilan humain à plus de 250 morts en trois ans dans le pays. De quoi alarmer les autorités burkinabées et la diplomatie internationale.

« C’est un premier pas »

Dans un rapport remis au Conseil de sécurité le 12 novembre, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, exprimait son inquiétude face à la détérioration sécuritaire dans la zone des « trois frontières » (Mali, Niger et Burkina Faso) et au manque de moyens de la Force conjointe du G5 Sahel, qui peine toujours à se mettre en place depuis son lancement en février 2017. « Trop souvent, on se focalise sur le court terme, sur l’aspect sécuritaire, mais aucune solution ne sera trouvée si on ne s’attaque pas en même temps aux causes profondes qui conduisent certains à embrasser la cause terroriste », souligne Jean-Marc Châtaigner, envoyé spécial de la France pour le Sahel.

Le temps presse. Dans la Boucle du Mouhoun, où les assauts des groupes armés se sont multipliés, le taux de pauvreté flirte avec les 50 %. « Nous sommes isolés, nous devons faire face à la menace terroriste et nous n’avons pas assez d’infrastructures. Il n’y a pas de routes et pendant la saison des pluies, les pistes sont inondées », pointe Issa Drabo. « On avait l’impression d’être délaissés par les autorités avant le projet de branchements à l’eau potable. Je suis soulagé aujourd’hui, c’est un premier pas », confie-t-il, guettant déjà à l’horizon la nouvelle route en construction, qui devrait connecter sa commune au reste du pays d’ici à la fin de l’année.

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