Les ports français dans la tourmente du « no-deal »

Les ports français font face à l'incertitude qui entoure le Brexit, dont la date se rapproche à grand pas.

Les ports français tentent de se préparer du mieux possible face à la brume qui enveloppe encore l’avenir des relations Royaume-Uni – UE.

Il ne reste que 71 jours avant la date fixée pour la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Et après le rejet de l’accord du Brexit par la Chambre des Communes le 15 janvier, les préparatifs côtés français au scénario du « no-deal » se sont accélérés.

Edouard Philippe, le Premier Ministre, l’a qualifiée de « moins en moins improbable », jeudi 17 janvier. « J’ai pris la décision de déclencher le plan lié au Brexit sans accord », a-t-il annoncé.

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Donald Tusk, le président du Conseil européen, a laissé entendre que le Royaume-Uni devrait revoir sa décision de quitter l’UE, après un rejet très net de l’accord de retrait au parlement britannique.

Préparé depuis avril 2018, ce plan doit servir à donner un « cadre juridique qui répond aux enjeux » d’une telle situation. Une loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance des mesures exceptionnelles va être promulguée dans la semaine.

Les Hauts-de-France en première ligne

Ces mesures concernent essentiellement les ports et aéroports français, les points situés en première ligne, à la frontière avec le Royaume-Uni. La région des Hauts-de-France est particulièrement concernée, avec les ports de Dunkerque, Boulogne-sur-Mer et surtout Calais, où 200 milliards de marchandises transitent tous les ans. Un tiers de tout ce qui entre ou qui sort de l’île de Grande-Bretagne.

« On est inquiet évidemment, parce que c’est quelque chose de nouveau, que ça soit avec ou sans accord », souffle Jean-Paul Mulot, le représentant de la Région au Royaume-Uni.

Les ports de la région pourraient devenir les points de transit des marchandises et de personnes de toute l’Europe dès le 29 mars en cas de « no-deal », avec tous les contrôles supplémentaires entraînés par la sortie du marché unique.

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L’exécutif ne s’y trompe d’ailleurs pas et explique qu’un plan « va être lancé dans les jours qui viennent. Chaque port avait été chargé de définir la nature des travaux nécessaires : ce sera la construction de parkings ou la mise en place de bâtiments de contrôle ». 50 millions d’euros vont spécialement être alloués aux ports et aéroports.

Besoin de place pour faire face au changement

Devant l’urgence de la situation, Jean-Paul Mulot assure que la Région « n’est pas en retard mais le timing est très serré ». Et l’incertitude n’aide pas. « On a mis des options pour acheter des terrains et des structures modales au Tunnel et à Calais parce qu’on ne connaît pas encore l’issue du problème », détaille le représentant.

« Il faudra des surfaces de parking complémentaires, aussi bien pour l’import que pour l’export, appuie Christian Minet, directeur d’exploitation du port de Dunkerque. Soit à l’intérieur du port, soit à en arrière-zone ». La loi d’habilitation prévoit justement de bousculer quelques règles d’urbanisme pour autoriser au plus vite les constructions.

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Mais là encore, la taille des infrastructures dépend de l’issue du feuilleton Brexit. « Tous les aménagements nécessaires doivent être lancés au plus tard début février. On espère que cela sera suffisant pour être prêt au moment du Brexit », prévient le directeur dunkerquois.

Du personnel supplémentaire est attendu

Une grande part de ces aménagements concerne la partie contrôle des marchandises. « Jusqu’il ici, il n’y avait qu’un seul Service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières (Sivep), à Dunkerque, avec cinq employés seulement », remarque Jean-Paul Mulot. Ces Sivep servent à effectuer les contrôles sanitaires sur les marchandises en provenance de l’extérieur de l’UE.

Un autre est désormais en construction à Calais, « sur le terrain du port », informe Jean-Marc Puissesseau, président de la Société des ports du détroit, qui regroupe Calais et Boulogne. « Nous n’avons cependant pas l’intention de contrôler à l’export », fait-il remarquer, préférant laisser cette charge aux britanniques.

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Le recrutement de personnel de contrôle est malgré tout crucial au bon fonctionnement des activités portuaires. Ce ne sont pas moins de 200 agents des douanes et 200 agents de contrôle sanitaire qui sont attendus sur l’ensemble des Hauts-de-France. Le gouvernement a mis en place des formations accélérées pour répondre aux besoins et assure que « 600 recrutements seront réalisés dans les semaines qui viennent ».

« Ça sera la pagaille »

Le renfort annoncé doit permettre de fluidifier le trafic dans les ports français, où des files plus fournies de camions sont attendues. Un système de déclaration en ligne sera mis en place pour éviter de trop gros embouteillages. « Les transporteurs devront les remplirent avant d’arriver aux contrôles. Sinon, ça sera la pagaille », avertit le représentant de la Région Hauts-de-France.

En attendant d’y voir plus clair sur le Brexit, les eurodéputés français se sont également mobilisés pour garantir une transition en douceur aux ports français. Au début de l’été, la Commission européenne avait annoncé un plan de re-routage du fret maritime en provenance d’Irlande qui ignorait totalement les infrastructures françaises pour se concentrer sur les ports belges et néerlandais.

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Des fonds européens à portée de main

Avec cette intégration au Mécanisme d’Interconnexion Européen (MIE), les ports français peuvent espérer recevoir des crédits de l’UE pour aménager leurs infrastructures. « Il est essentiel que, pour ces investissements, la solidarité européenne joue à plein. En particulier pour les ports français, qui peuvent craindre que les temps de contrôle des marchandises augmentent », explique l’élue. Elle table sur une hausse de 5 % du trafic à l’import comme à l’export.

Dans le présent budget européen, il reste 65 millions à disposition dans le MIE, mais la députée verte ne s’arrête pas là et plaide pour qu’un fonds d’urgence soit également mis en place au niveau européen pour « soutenir nos transporteurs, nos ports et nos collectivités afin de compenser les effets négatifs du Brexit dur et leur nécessaire adaptation ».

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