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Education

Ce collège très privé qui s'attaque aux décrocheurs de la France rurale oubliée

REPORTAGE - A La Fère, dans l’Aisne, six jeunes adultes ont ouvert un collège hors contrat dédié aux décrocheurs scolaires et élèves de milieux très défavorisés. Soutenu par plusieurs entreprises et fondations, le cours Clovis pallie les faiblesses de l’Education Nationale avec des méthodes très empiriques.

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Le cour Clovis d'Espérance ruralité à La Fère

Le collège hors contrat Cours Clovis de La Fère. 

Clovis Espérance ruralité

Cinq nombres entiers sont écrits au tableau. L’exercice consiste à les ranger par ordre croissant. L’élève hésite, réfléchit, piétine devant le tableau à craie. Les minutes passent. Le professeur patiente avant de féliciter son élève qui a réussi cet exercice de niveau de classe élémentaire. Mais l’élève, contente d’avoir franchi ce cap, a…16 ans et entame en cette année scolaire sa troisième 4ème. C’est pour des élèves comme Elodie (son prénom a été changé) que le collège Clovis du nouveau réseau Espérance Ruralités a ouvert ses portes en septembre 2017 à La Fère dans l’Aisne.

A l’origine de ce projet, six jeunes adultes, très motivés, âgés de 23 à 31 ans qui ont décidé de quitter la routine et le confort de brillants parcours professionnels pour se consacrer pleinement à ce projet hors norme. L’idée? Venir en aide à cette France périphérique éloignée des grandes métropoles, décrite par le géographe Christophe Guilluy, où les services publics ont fermé les uns après les autres et où les portables captent mal voire pas du tout. Depuis la fermeture en juin 1993 du 41ème régiment d’artillerie de Marine, La Fère vit à l’heure du déclassement. Ici le taux de chômage des jeunes avoisine les 50% et celui des décrocheurs scolaires 35%. Un double record national! «J’ai ouvert un atlas, j’ai pointé cette fameuse diagonale du vide et suis tombé sur ce département hyper rural», raconte Jean-Baptiste Nouailhac, le directeur de l’école et cofondateur d’Espérance Ruralités assis dans son minuscule bureau inconfortable. Pour un quart des élèves de l’école, aucun des deux parents ne travaillent. La conduite de l’enfant à l’école peut parfois constituer la seule sortie de la journée.

Vouvoiement et uniforme

C’est dans un supermarché désaffecté loué par le distributeur Lidl que le cours Clovis a donc ouvert le 3 septembre 2017 agrémenté de trois Algécos en guise de salles de classe, le parking de la supérette faisant office de cour de récréation. A l’instar d’Espérance Banlieues, le pendant d’Espérance Ruralités dans les quartiers chauds de nos grandes villes, cette nouvelle école fonctionne avec des effectifs extrêmement limités: 30 élèves sur l’ensemble du collège répartis sur trois niveaux de la sixième à la quatrième. La priorité? Transmettre les fondamentaux et leur redonner confiance en eux.

Cela passe par des ateliers de bricolage pour valoriser l’intelligence de la main, par des après-midis de soutien le vendredi mais aussi par le vouvoiement réciproque, par un uniforme très simple (un polo blanc et un sweat bleu) et par la redécouverte de leur territoire afin qu’ils se le réapproprient et qu’ils en soient fiers. «En les vouvoyant, ils se sentent considérés, c’est un outil facile mais très efficace pour leur redonner de l’estime de soi et une forme de confiance en eux», souligne Grégoire, ancien ingénieur reconverti en prof de maths et de sciences. «La société leur renvoie une image très négative de leur région et de leur milieu, c’est aussi une source de grande souffrance que nous cherchons à casser en leur faisant redécouvrir les richesses de la Picardie.» Tous les jours, les couleurs du drapeau picard sont levées aux côtés de celles de la France. «Nous les emmenons visiter leur région qu’ils ne connaissent absolument pas.»  

Des dictées mimées

Les petits effectifs, c’est la clé pour reprendre les fondamentaux. «La moitié des élèves de 4ème ne savent pas en quelle saison nous sommes», souligne Marguerite de Tanoüarn, professeur de français. En arrivant en 6ème, ils ne savent ni lire, ni écrire et ne maîtrisent aucune opération en maths. Leur expression est limitée: ils utilisent le pronom personnel «il» à toutes les sauces. Face à ces lacunes incommensurables, le professeur de français est obligé d’innover dans ses méthodes. «J’utilise notamment la méthode d’Elisabeth Nuyts qui permet de verbaliser et donner du sens à tout ce que nous entreprenons.» Chaque dictée ou chaque leçon de grammaire est ainsi mimée afin de mieux incarner le texte et comprendre le sens de chaque phrase.

Autre fléau: les écrans. «Dès qu’ils sont chez eux ils sont devant les écrans jusqu’à tard dans la nuit, certains font des nuits blanches pour jouer à des jeux en réseau», s’inquiète un enseignant. Conséquence: leur capacité de concentration ne dépasse pas 5 minutes. «Nous sensibilisons les enfants au risque du sur-utilisation du numérique mais également leurs parents.» Autant professeurs qu’éducateurs, les six adultes sont présents toute la journée dans le collège. A la différence d’un contrat Education nationale, les professeurs affichent pour la plupart 35 heures par semaine avec les élèves. Payés environ 2.000 euros nets par mois, les professeurs exercent souvent plusieurs matières mais sont présents surtout pendant les repas, assurent la surveillance des récréations et participent à l’étude dirigée obligatoire le soir pour aider les élèves à apprendre leurs leçons. «Cette grande amplitude horaire nous permet de mieux cerner les problèmes de chacun.»

«La satisfaction est pour l’heure plus éducative que scolaire», confie une enseignante qui a du mal à se projeter sur la suite. «Le brevet des collèges est un objectif encore très lointain, ici le rythme de progression et de rattrapage est forcément très lent.»

Le Crédit Agricole et Saint-Gobain

Les frais de fonctionnement de ce collège si spécifique s’élèvent à environ 300.000 euros par an. Les familles ne peuvent pas contribuer à plus de 10% de ce budget. Mais l’idée n’est pas non plus de rendre la scolarité totalement gratuite. En versant de 25 à 50 euros par mois, les familles sont responsabilisées. Pour trouver les 90% restants, Jean-Baptiste Nouailhac a d’abord levé 130.000 euros en trois minutes à l’occasion de la Nuit du bien commun. Mais pour boucler son budget il a pu bénéficier de l’aide du Crédit Agricole, du groupe Saint-Gobain, de la Fondation Brageac, des héritiers du groupe Seb qui soutient des œuvres éducatives ou encore des membres de la famille Mulliez.

Cet établissement est encore au stade du «projet pilote». Pour dépasser le cadre expérimental, le cours Clovis va devoir dupliquer son propre modèle avec la difficulté qu’en «milieu rural, nous n’avons pas accès au même vivier de bénévoles qu’en banlieue», souligne le directeur. Pour mutualiser les coûts, Espérance Ruralités vise un développement par «plaque régionale» de sorte que les personnels puissent travailler sur les deux établissements et offrir ainsi de vrais temps plein. L’ouverture d’un deuxième établissement dans l’Aisne est envisagée pour septembre 2020. Auparavant, «nous aurons besoin de structurer notre méthode de levée de fonds». D’ici là, le cour Clovis aura peut-être déménagé dans le château de La Fère abandonné depuis six ans. Ce site, qui appartient à France Domaine, va être mis aux enchères. «Ce cadre immense nous permettrait d’accueillir nos élèves dans de meilleures conditions et surtout d’ouvrir le lycée, s’enthousiasme déjà le directeur, par l’éducation nous pourrions ainsi faire revivre un territoire.»

La nuit est tombée, l’étude dirigée est terminée. Les élèves vont pouvoir rentrer chez eux après avoir fait leurs devoirs et appris leurs leçons avec leurs propres professeurs. Le parking reste éclairé par la lumière des phares des voitures des parents venus chercher leurs enfants. Les parents d’élèves rencontrés ce soir-là sont dithyrambiques sur le cours Clovis. «Notre fils, victime de harcèlement scolaire, a repris goût à l’école. Mutique, il a retrouvé la parole», confie ce père d’élève. «Je dois me serrer la ceinture pour payer les 50 euros par mois de frais de scolarité mais au moins les résultats sont là», confie cette mère d’élève qui a conseillé le collège à toutes ses amies.

Dans son bureau, Jean-Baptiste Nouailhac prépare son budget pour la rentrée prochaine. Une classe de troisième sera ouverte et un nouveau directeur pédagogique recruté. Des frais supplémentaires qu’il faudra absorber en allant chercher de nouveaux mécènes car les familles ne pourront pas être mises davantage à contribution. Le budget est loin d’être bouclé. C’est l’autre spécificité du modèle hors contrat: rien n’est jamais totalement acquis.

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