Gebru Mehari et d’Hadush Tsegay, originaires d’Érythrée, ont été accueillis en septembre 2018 à Fundão, au Portugal. Ils ont désormais trouvé un travail dans l’agriculture. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants.
Gebru Mehari et d’Hadush Tsegay, originaires d’Érythrée, ont été accueillis en septembre 2018 à Fundão, au Portugal. Ils ont désormais trouvé un travail dans l’agriculture. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants.

Face à sa démographie en déclin, et fort d'une volonté de se positionner comme un pays “humaniste”, le Portugal ne rechigne pas à attirer de nouveaux arrivants sur son territoire. En 2018, 86 personnes sauvées en mer Méditerranée par des navires humanitaires ont été accueillies. InfoMigrants est parti à la rencontre de 19 d’entre elles, secourues par l’Aquarius en juillet et hébergées depuis septembre dans un ancien séminaire religieux à Fundão, au nord-est de Lisbonne.

“Ce que je connaissais du Portugal ?” La question fait rire Augustina. “La première fois que j’en ai entendu parler, c’est en Italie !” Originaire du Nigeria, Augustina Sunday a pris le chemin de l’exil à 19 ans. En juin 2018, elle a été secourue en mer par l’Aquarius après être montée dans une embarcation de fortune depuis les côtes libyennes. Débarquée en Italie avec l’équipage du navire humanitaire, elle a finalement été envoyée quelques semaines plus tard au Portugal, conformément à un système de “répartition” trouvé entre plusieurs pays européens.

Comme elle, 18 rescapés de l’Aquarius venus d’Érythrée, du Nigeria, du Yémen et du Soudan ont bénéficié de cet accord et ont été accueillis en septembre par la Ville de Fundão, à 250 km au nord-est de la capitale.

Le séminaire de Fundão est désormais loué par la mairie pour des opérations sociales. Depuis septembre, la Ville y accueille 19 rescapés de l’Aquarius arrivés au Portugal grâce à un accord européen de répartition. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants. Ils sont hébergés dans un ancien séminaire religieux entouré de vastes champs. À l’entrée du bâtiment, des photos sont exposées. Ce sont leurs portraits. D’un côté, des clichés pris à leur débarquement de l’Aquarius en Italie, de l’autre, des photos prises au Portugal, quelques mois plus tard. Les mines fatiguées ont laissé place à de nouveaux visages, souriants. Mais tous restent marqués par de graves traumatismes après des parcours migratoires extrêmement risqués, notamment lors de leur passage en Libye où plusieurs racontent avoir été séquestrés par des trafiquants. Certains ont encore des balles dans le corps, d’autres souffrent d’insomnie ou de problèmes d’alimentation.

Dans la cour intérieure du séminaire, entre les orangers, Augustina s’arrête un instant, pensive, avant de poursuivre : “Ce que je sais maintenant, c’est que le Portugal est un pays paisible”.

Augustina Sunday vient du Nigeria. Depuis septembre, elle fait partie des 19 rescapés de l’Aquarius accueillis à Fundão. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants. Un programme d’accueil de 18 mois

Au rez-de-chaussée, une des salles de l’édifice a été transformée en bureau par la mairie de Fundão. C’est là que Paula Pio, coordinatrice du centre d’accueil, jongle entre les demandes de subventions, l’organisation des repas et les démarches administratives des “accueillis”. Quatre autres personnes, dont deux stagiaires, travaillent à ses côtés. “Avec tout ce que nous avons à gérer, aucun jour ne se ressemble ici !”, explique Paula, qui était auparavant chargée des affaires sociales à la mairie.

La municipalité de Fundão s’est portée volontaire pour effectuer cet accueil, organisé conjointement avec le Haut-commissariat pour les Migrations au Portugal (ACM) et le Service des étrangers et des frontières (SEF). Si depuis plusieurs années la mairie accueille dans ce séminaire des étudiants venus des pays lusophones d’Afrique et des travailleurs saisonniers, l’arrivée de demandeurs d’asile est un nouveau défi.

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“Entre appui juridique, bilan de santé et cours intensifs de portugais, les premières semaines ont été intenses”, se rappelle Paula. Cet accompagnement, les 19 arrivants en bénéficieront pendant un an et demi. Une période pendant laquelle ils sont logés, nourris et aidés dans toutes leurs démarches. Ils reçoivent également 150 euros mensuels pour leurs frais personnels. Pour le moment, seule une personne, originaire du Yémen, a quitté le programme pour rejoindre sa famille en Allemagne.

Cette ancienne salle de formation du séminaire a été transformée par la mairie en bureau. C’est là que Paula Pio, coordinatrice du centre, et son équipe travaillent. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants. Une intégration rapide sur le marché du travail

Grâce au soutien des autorités portugaises, et notamment du SEF, les dépôts de demandes d’asile de chacun des rescapés ont été accélérés. En novembre, ils ont reçu un titre de résidence provisoire de six mois, le temps de l’instruction des dossiers. Ce document leur permet désormais de travailler.

Et être accueilli dans une petite ville est un avantage pour trouver un emploi. "Tout le réseau de la mairie a été mobilisé pour qu’ils puissent intégrer dès le mois de décembre des entreprises locales que nous connaissons, ou avec lesquelles nous sommes en contact", poursuit Paula. "Tous nous ont fait savoir qu’il était important pour eux de retrouver un rythme et d’être indépendant financièrement, notamment pour envoyer de l’argent à leur famille”. Quatre mois seulement après leur arrivée, 13 d’entre eux ont déjà trouvé un travail rémunéré à Fundão ou aux alentours.

Gebru Mehari et Hadush Tsegay, originaires d’Érythrée, travaillent à 20 km du séminaire. Chaque matin, c’est un des responsables d’Unitom Farming, une entreprise agricole et fruitière qui compte environ 120 hectares de cerisiers, de pêchers et d’oliveraies, qui vient les chercher.

 Gebru Mehari et d’Hadush Tsegay, originaires d’Érythrée, travaillent depuis décembre à quelques kilomètres de Fundão dans le secteur agricole. Crédit : Maëva Poulet / InfoMigrants. Ce lundi-là, ils sont chargés de tailler les pêchers de la Quinta das Rasas, l’une des propriétés d’Unitom Farming. Avec les autres employés, dont plusieurs Népalais et un Espagnol, la communication se fait avec des gestes simples et quelques mots techniques appris en portugais. Dans un anglais approximatif, Gebru Mehari explique ne jamais avoir travaillé dans l’agriculture auparavant. Il n'en souffre aucunement : “On apprend facilement et les gens sont chaleureux”. Hadush lui ne parle ni anglais ni portugais. Mais son large sourire en regardant l’étendu du champs ensoleillé en dit long sur sa sérénité.

“Ils arrivent tous les matins avec énormément de volonté”, se félicite de son côté Aires Proença, en charge de leur équipe. “Ici, il suffit de vouloir apprendre, être Portugais ou pas, ce n’est pas la question !”

L’agriculture, un secteur pourvoyeur d’emplois

Parmi le petit groupe de rescapés, Gebru et Hadush ne sont pas les seuls à avoir trouvé un travail dans le secteur agricole. Deux autres Érythréens, Habtom Bayre et Namareiam Gebrekidan, sont embauchés à la journée dans une entreprise de jus de fruits. “La demande est forte car nous sommes aussi dans une région en voie de désertification, où la tendance est au manque de main-d’oeuvre, notamment dans l’agriculture”, précise Paula.

Plus d’une fois, le Premier ministre portugais António Costa a lui-même indiqué que le pays avait “besoin” de nouveaux arrivants pour remédier au vieillissement de la population et à la baisse de la natalité.

Depuis le début de l’été dernier, le gouvernement a répété à plusieurs reprises être prêt à accueillir des immigrés en participant à des programmes européens de réinstallation, mais aussi en se positionnant de manière favorable à chaque demande de répartition de migrants rescapés de navires humanitaires. En 2018, 86 personnes secourues en mer Méditerranée sont arrivées au Portugal. 

Le soir, un cours de “Portugais pour Tous”

En fin d’après-midi dans le séminaire, l’ambiance change. À 19 heures, alors que l’équipe de Paula a fermé son bureau, un cours de “Portugais pour Tous” est proposé dans l’une de nombreuses salles de formation. Animé par une professeure de l’Institut d’emploi et de formation professionnelles (IEFP), une institution publique, il est également ouvert à d’autres ressortissants étrangers de la région.

Tout juste rentré du travail, Gebru prend place sur l’une des tables et y dépose un grand classeur noir remplis de fiches de vocabulaire. Sur celles-ci, il indique la traduction de certains mots en tigrigna, sa langue natale.

L’apprentissage de cette nouvelle langue est pour lui la plus grande barrière à laquelle il a été confronté depuis son arrivée. Mais il espère bien la surmonter. Car si sa demande d’asile est acceptée, il aimerait s’installer au Portugal et être rejoint par sa femme et ses deux enfants, restés en Érythrée.  

 

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