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Bruno Le Maire : "Comment nous allons taxer les Gafa"

EXCLUSIF - Taux et seuils d'imposition, le ministre de l'Economie Bruno Le Maire dévoile au JDD son plan pour imposer les entreprises du numérique.

Bruna BasiniRémy DessartsChristine Ollivier , Mis à jour le
Bruno Le Maire estime qu'un accord pour une taxe européenne "est à portée de main".
Bruno Le Maire estime qu'un accord pour une taxe européenne "est à portée de main". © Lewis Joly pour le JDD

Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire dévoile son plan pour taxer les Gafa dans une interview au Journal du Dimanche. Sur un thème qu’il juge comme "un enjeu majeur du 21e siècle", il déclare soutenir la proposition portée par Pierre Moscovici, chargé des affaires économiques et monétaires à la Commission européenne, et affirme "qu’un accord est maintenant à portée de main" malgré les hésitations de quelques pays. "A quelques mois des élections européennes, nos citoyens ne comprendraient pas que nous renoncions", poursuit le ministre.

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Les émissaires de l'État français rentrent de Tokyo. Avec quels enseignements?
Depuis l'arrestation de Carlos Ghosn, tout ce qui nous anime, c'est la préservation des intérêts de Renault et la consolidation de l'alliance avec Nissan. C'est pourquoi j'ai souhaité qu'une mission se rende à Tokyo afin d'y rencontrer les autorités japonaises et, à leur demande, les dirigeants de Nissan. Ils nous ont confirmé que le Japon, comme la France, sont attachés à la préservation du premier constructeur automobile au monde. Nous avons toujours dit que si Carlos Ghosn était durablement empêché de diriger l'entreprise, il faudrait mettre en place une nouvelle gouvernance solide et pérenne. Nous y sommes. Nous avons donc demandé une convocation du conseil d'administration, qui devrait se tenir dans les prochains jours.

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La préservation de l'alliance Renault-Nissan implique-t-elle un rééquilibrage actionnarial?
Non, un rééquilibrage actionnarial, une modification des participations croisées entre Renault et Nissan n'est pas sur la table. Nous sommes attachés au bon fonctionnement de cette alliance qui fait sa force. Il faut bien mesurer la double révolution technologique à laquelle cette industrie est confrontée, celle des batteries et du moteur électrique d'une part et celle des véhicules autonomes d'autre part. Les constructeurs qui s'en sortiront seront ceux qui auront les moyens de financer des investissements considérables dans ces deux domaines.

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Une entreprise de l'envergure de Renault a besoin d'une gouvernance solide et stable

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Avez-vous lâché Carlos Ghosn?
La question n'est pas de le lâcher ou de le protéger. Le principe de la présomption d'innocence doit s'appliquer. C'est la justice japonaise qui tranchera sur les charges qui pèsent sur lui. Mais il y a aussi les intérêts de Renault et de l'alliance. Une entreprise de cette envergure a besoin d'une gouvernance solide et stable.

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Savez-vous dans quel état d'esprit est Carlos Ghosn?
Notre ambassadeur au Japon a des contacts réguliers avec lui dans le cadre de la protection consulaire. Il est évidemment tenu informé des décisions que nous prenons.

Jean-Dominique Senard, l'actuel président de Michelin, prendra-t-il la tête de Renault?
Il revient au conseil d'administration d'étudier les propositions présentées par le comité des nomi­nations. L'État actionnaire se prononcera. Ce que je peux dire, c'est que Jean-Dominique Senard a une compétence reconnue dans le secteur automobile. Chez Michelin, il a démontré sa capacité à réussir à la tête d'un grand groupe industriel et il a une conception sociale de l'entreprise à laquelle je suis personnellement attaché.

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La fin du diesel ne doit pas se solder par des fermetures de sites et par des difficultés pour les salariés concernés

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L'industrie automobile française est-elle prête à affronter la fin du diesel?
C'est un défi considérable. L'accélération technologique est stupéfiante. Mais il ne faut pas que cela se solde par des fermetures de sites et par des difficultés pour les salariés concernés. J'ai donc pris l'initiative de mettre en place une enceinte d'échanges entre État, élus et syndicats qui doit nous permettre de prendre vite les bonnes décisions. Une première réunion associera mi-février les présidents de Région, les représentants des syndicats concernés et l'État. Nous en avons déjà parlé avec Laurent Berger et Philippe Martinez. Notre objectif est d'accompagner cette transformation pour éviter les destructions d'emplois et créer de nouvelles filières.

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Mme Vestager va-t-elle bloquer la fusion d'Alstom et de Siemens?
Nous le verrons dans les prochaines semaines. Margrethe Vestager est une commissaire ­remarquable qui a apporté la preuve de son courage en imposant des amendes très significatives à de très grandes entreprises comme les géants du digital. Je la verrai à nouveau demain matin pour discuter de la politique de concurrence et redire à quel point la France est attachée à cettre fusion.

Les entreprise ont-elles répondu aux demandes de la Commission?
Oui, les conditions sont remplies pour que cette fusion soit réussie. Nous partageons cette vision avec mon homologue allemand Peter Altmaier. La révolution géopolitique en cours se traduit par l'émergence de champions industriels que personne n'avait vu venir. Dans le ferroviaire, c'est le cas avec le géant chinois CRRC, qui dispose d'un marché intérieur gigantesque. Il faut adapter nos règles de la concurrence du 20e siècle à la réalité industrielle du 21e siècle. Refuser la fusion entre Alstom et Siemens serait une erreur économique et une faute politique.

Vous gardez espoir que cette fusion sera autorisée?
C'est l'intérêt de la France et de l'Allemagne. C'est l'intérêt de l'Europe. Je veux avoir confiance dans le sens de l'intérêt général européen de la Commission européenne.

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Je pense qu'il faut ouvrir un droit d'amendement citoyen, qui permettrait aux Français d'améliorer les textes en cours de discussion

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Avec le grand débat qui vient de commencer, plus rien ne va se passer pendant deux mois?
Pas du tout. À côté du projet de loi Pacte qui arrive à son terme, nous continuons à travailler sur les grandes transformations annoncées par le président de la République : la réforme des retraites, l'indemnisation du chômage et la fonction publique. Avec le débat, nous prenons le temps d'expliquer et surtout d'écouter les attentes des Français. C'est un moment essentiel.

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Si le gouvernement maintient son cap politique, à quoi servira le grand débat?
Le champ de la discussion est considérable, comme celui de nos institutions, de leur fonctionnement, celui des modalités de consultation. Je pense qu'il faut ouvrir un droit d'amendement citoyen, qui permettrait aux Français d'améliorer les textes en cours de discussion. Idem pour les référendums d'initiative citoyenne avec certains garde-fous. Enfin, nous allons pouvoir débattre des dépenses et des impôts. C'est une chance historique pour les Français de se prononcer : quelles dépenses baisser pour réduire la fiscalité ?

Les 20% de Français les plus riches vont-ils payer plus d'impôts demain?
Nous voulons accélérer la baisse des impôts, et pour cela il faut accélérer la baisse des dépenses. L'objectif principal n'est donc pas d'augmenter les impôts des uns ou des autres. Après une hausse de trois points en dix ans, nous avons été les premiers à engager une réduction de la fiscalité. Je souhaite que nous puissions faire davantage.

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À quelques mois des élections européennes, nos citoyens ne comprendraient pas que nous renoncions à la taxe numérique

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Votre parti a lancé un concours Lépine des nouvelles mesures fiscales?
Il y a beaucoup de redistribution en France et trop d'impôts et de taxes ; 10% des contribuables paient déjà 70% de l'impôt sur le revenu. Cela n'interdit pas de se poser la question de la justice fiscale. Elle est légitime. Mais l'idée n'est pas d'augmenter les impôts.

Comment comptez-vous taxer des services numériques et notamment les géants américains, les Gafa?
Il s'agit d'un enjeu majeur du XXIe siècle et d'une question de justice et d'efficacité. Nous soutenons une proposition européenne portée par Pierre Moscovici. Il reste quelques pays hésitants. Nous avons fait une offre de compromis en décembre avec l'Allemagne et je suis convaincu qu'un accord est maintenant à portée de main d'ici à la fin mars. À quelques mois des élections européennes, nos citoyens ne comprendraient pas que nous renoncions.

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D'ici là, allez-vous proposer une taxe nationale?
Oui. Nous travaillons à une taxe appliquée dès cette année qui touchera toutes les entreprises qui proposent des services numériques représentant un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros au niveau mondial et 25 millions d'euros en France. Si ces deux critères ne sont pas réunis, elles ne seront pas imposées. La taxe sera applicable à compter du 1er janvier 2019, et son taux sera modulé en fonction du chiffre d'affaires avec un maximum de 5%. Elle devrait rapporter environ 500 millions d'euros.

Comment allez-vous procéder pour faire voter cette taxe?
Nous présenterons un projet de loi spécifique en Conseil des ministres d'ici à fin février qui sera rapidement soumis au vote du Parlement.

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Nous allons mettre l'accent sur les investissements industriels dans nos territoires

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Qu'allez-vous entreprendre pour lutter contre l'évasion fiscale des grands groupes?
Nous allons mener un combat décisif pour réviser les règles fiscales internationales applicables aux multinationales, notamment avec l'adoption d'une fiscalité minimale dans le cadre du G7. Objectif : aller chercher l'argent qui va là où il ne devrait pas aller, dans le but d'échapper à l'impôt. C'est-à-dire en partant vers les paradis fiscaux et les pays qui pratiquent le dumping fiscal. Ce sera un outil puissant de lutte contre l'évasion fiscale.

Serez-vous demain à Versailles pour accueillir les investisseurs étrangers à la deuxième édition du sommet "Choose France"?
J'y serai pour défendre l'attractivité de notre pays. En 2017, nous avons accueilli 1.300 investissements étrangers, qui représentent 34.000 emplois créés ou maintenus. C'est le meilleur résul­tat ­jamais enregistré. Et il sera similaire en 2018. Preuve que les effets de nos réformes et de nos choix fiscaux sont déjà là. Mais nous ­devrions pouvoir faire encore mieux grâce aux mesures récentes que nous avons mises en place. Nous allons notamment mettre l'accent sur les investissements industriels dans nos territoires.

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Malgré deux mois de crise des Gilets jaunes?
La crise que nous venons de traverser sera un élément du rebond français. Il faut entendre le besoin de justice, de transparence, de ­dignité et tout simplement de vivre, qui s'est exprimé.

Qu'attendez-vous des Rendez-Vous de Bercy mardi prochain, ouverts par Melinda Gates?
Cet événement doit nourrir notre réflexion sur les moyens de réduire les inégalités les plus criantes. Cela passe par l'engagement des entreprises en faveur de pratiques plus équitables et durables. Je pense en particulier à nos banques, qui se sont engagées à orienter plus de dépôts vers les énergies renouvelables. Je partage l'avis de Christine Lagarde sur les inégalités. Elles sont moralement inacceptables et économiquement stupides. 

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